Né le 19 décembre 1892, Pierre THUILLIEZ est le fils d’Amélina et de François.
François est originaire de Pys, village du Nord de la Somme limitrophe du Pas-de-Calais. Amélina est née à Ville-sous-Corbie. C’est dans cette commune qu’ils se sont mariés et ont construit leur foyer. François était ouvrier agricole à Pys. C’est donc sans difficulté qu’il poursuit la même activité dans son nouveau village.

Ville-sous-Corbie, devenue Ville-sur-Ancre quelques années après la naissance de Pierre, est une commune du canton de Bray-sur-Somme située dans la vallée de l’Ancre, un des affluents de la Somme. La population y est d’un peu plus de 300 habitants quand Pierre vient au monde. Le territoire du petit village est traversé par trois chemins de circulation assez importants – d’Amiens à Péronne, d’Albert à Moreuil et de Méaulte à Corbie – et il est longé en partie par la grande ligne de chemin de fer reliant Paris à Lille. La halte n’est pas à Ville mais à Buire, soit à moins d’un kilomètre du village. Les Villains peuvent donc se rendre très facilement à Albert, à Corbie ou à Amiens, les trois principales communes de ce secteur du Nord-Est de la Somme.

La petite usine de serrurerie installée dans l’ancien moulin à eau est fermée. A l’exception de quelques hommes travaillant chez Rochet, l’usine de Cycles Automobiles d’Albert, les habitants exercent essentiellement leur métier dans la commune. L’agriculture est l’activité principale, mais on compte également de nombreux cordonniers à domicile qui fabriquent des chaussures pour les maisons amiénoises. Même si les Villains aiment à se rendre au marché d’Albert ou à certaines foires aux bestiaux à Amiens, ils sortent peu du territoire de la commune. On trouve tout sur place !

Emile DUVAL veille à diffuser les valeurs de l’enseignement public républicain auprès des jeunes générations pendant que Joseph HAUMESSER, Alsacien d’origine, veille à diffuser la parole divine. Eugène CARON, garde champêtre, annonce les bonnes ou les mauvaises nouvelles dans les rues, pendant que Fernand DESAINTUSAGE, facteur receveur des Postes, distribue les bonnes ou mauvaises nouvelles. Oscar QUENEL garde les troupeaux de moutons des fermes du village pendant que Paul ELOY en exploite la laine. Dans le village il y a des maçons, des charpentiers, des bûcherons, un charron, un maréchal-ferrant, un menuisier, des couturières. Si tous les habitants ont leur propre basse-cour et leur potager, on trouve, à Ville, tout ce dont on a besoin en complément. Charles CAUET tient une boulangerie Rue de l’Eglise et Jean-Baptiste BLANCHART une boucherie Rue d’En Haut. Il y a, bien sûr, plusieurs débits de boissons installés directement dans certaines maisons d’habitations. Et, deux boutiques dont de nombreux villages ne disposent pas : une bonneterie tenue par Marie GRIS et un « Magasin de Nouveautés », chez Hortense FALIZE dans la Rue d’En Bas.
La famille THUILLIEZ habite Rue de Méaulte. Pierre est le cadet de Maurice, né une année avant lui. La fratrie s’est agrandie ensuite avec l’arrivée de Marthe, de Marie, de Georgette, de Georges et de Simone. Les maigres revenus de domestique de ferme de François, le père, ne permettant pas de nourrir toutes les bouches, Maurice et Pierre doivent trouver un emploi dès qu’ils sont en âge de le faire. Maurice devient cordonnier à domicile et Pierre, ouvrier agricole dans une ferme du village.

En toute logique, Maurice, l’aîné de la fratrie, est le premier à partir au service militaire. Le Conseil de Révision l’a affecté au 120e Régiment d’Infanterie de Péronne, où il rejoindra la 7e Compagnie. Il quitte Ville-sur-Ancre en octobre 1912. Une année plus tard, c’est au tour de Pierre de se rendre à la gare de Buire pour prendre le train vers son lieu de casernement. Pierre THUILLIEZ est incorporé au 87e Régiment d’Infanterie de Saint-Quentin, dans l’Aisne.
Si le 120e RI est déjà positionné près des frontières de l’Est de la France quand la guerre est déclarée, début août 1914, le 87e RI ne tarde pas à le rejoindre. Tous les régiments de la Région militaire d’Amiens sont regroupés à proximité de la frontière avec la Belgique et le Luxembourg, au Sud de Montmédy, dans le département de la Meuse.
La guerre des frères THUILLIEZ va être brève.
Pierre THUILLIEZ a été affecté à la 4e Compagnie du 1er Bataillon du 87e RI. Le 19 août, le commandant du 1er Bataillon reçoit l’ordre d’accompagner un détachement de la 9e Division de Cavalerie renforcé d’une compagnie de cyclistes et de deux batteries d’artillerie, pour effectuer une mission de reconnaissance près de Neufchâteau, dans le Sud de la Belgique. A 11h, le 20 août au matin, les Français arrivent à leur lieu de destination. A midi, les hommes du 87e RI reçoivent l’ordre de gagner Longlier, village mitoyen de Neufchâteau, en s’infiltrant par la voie ferrée. Le piège se referme rapidement sur eux. Les Français ne s’attendaient pas à trouver, en face d’eux, quatre régiments d’infanterie et plusieurs batteries d’artillerie. Les Allemands sont plus de 10 000 alors que les Français sont dix fois moins nombreux. Le bataillon est décimé. Un homme sur deux est tué, blessé ou prisonnier. Les survivants s’enfuient et se cachent dans les bois. De nombreuses maisons du village sont incendiées et plusieurs civils sont tués ou pris en otages.

Pierre THUILLIEZ est capturé par les Allemands. Même si l’inconnu l’attend, il a la chance d’être encore vivant. Plusieurs copains de la Somme comme Jules NOIRET de Morcourt, Georges POUILLAUDE de Cléry ou Raymond SAVARY de Manancourt n’ont pas eu cette chance.
A quelques kilomètres au Sud de Neufchâteau, le 120e Régiment d’Infanterie se prépare à la grande offensive du 22 août. Il franchit la frontière le 21 au soir, et quitte Meix-devant-Virton, à l’aube du samedi 22 août, avec la mission de traverser les territoires de Bellefontaine et Tintigny, de franchir la rivière Semois, et de gagner le village de Léglise où doivent être positionnés les troupes allemandes.
Pour nombre de ces jeunes hommes qui n’avaient pas encore terminé leur instruction militaire, mais aussi pour presque tous leurs officiers, c’est l’épreuve d’un feu réel. A peine se sont-ils engagés dans la plaine du Radan, sur le territoire de Bellefontaine, que les mitrailleuses allemandes crépitent. Les Français tombent les uns après les autres. Les premières heures de combat sont particulièrement meurtrières. Les Allemands ont réussi leur effet de surprise. C’est seulement après la mise en place de l’artillerie française et l’arrivée de renforts que le combat s’équilibre aboutissant en fin de journée, à ce qu’aucun des deux camps ne considère qu’il a perdu la bataille. Pourtant, s’il s’agit d’un match considéré comme nul, les conséquences humaines sont terribles. Plus d’un millier d’hommes est hors de combat côté français, et chez les Allemands les pertes sont également très nombreuses.
Près de 200 jeunes hommes originaires de la Somme sont tués. Maurice THUILLIEZ est blessé. Il est soigné dans les locaux de l’école des filles, transformés, comme tous les lieux publics de la commune, en ambulances. Après la retraite de l’Armée française, il est capturé par les Allemands comme tous les blessés restés sur place et transféré en Allemagne.

A deux jours d’intervalle, alors que la guerre vient à peine de débuter, les deux frères THUILLIEZ sont prisonniers et sont jetés dans des camps de prisonniers en Allemagne, changeant à plusieurs reprises de camps. Altengrabow, Ordruf, Erfurt, Munsterlager, Soltau, Hameln deviennent, pour Pierre et Maurice, les lieux de leur détention sur le sol allemand.

Pierre est rapatrié le 8 novembre 1918 et Maurice le 17 décembre 1918. En raison de la proximité du front, les parents THUILLIEZ ont été évacués de leur village de Ville-sur-Ancre. Ils sont réfugiés à Aigneville, près de Gamaches, dans l’Ouest du département de la Somme. C’est dans ce village du Vimeu que Pierre et Maurice passent leurs quatre semaines de repos, au retour d’Allemagne, avant d’être à nouveau mobilisés par l’Armée pour assurer le maintien de l’ordre et préparer les reconstructions nécessaires. C’est à Aigneville que Maurice rencontre celle qui deviendra sa femme, Jeanne.
A Ville-sur-Ancre, les dégâts provoqués par les bombardements sont importants. Mais surtout, plus que les maisons perdues, ce sont les enfants disparus qu’on pleure. Plusieurs copains avec lesquels Pierre et Maurice THUILLIEZ ont fréquenté les bancs de la classe de Monsieur DUVAL, comme Félix VITASSE, Albert CHAMERT ou Charles LAMARRE, ne reviendront jamais au village. Ils ont été tués.

Après la guerre, Pierre THUILLIEZ quitte Ville-sur-Ancre pour habiter Rue Carette à Albert, avec son épouse Germaine et leur fils André. Il travaille à Méaulte comme ajusteur de fabrication dans l’usine POTEZ, devenue ensuite Société Nationale de Constructions aéronautiques du Nord. Pierre quitte Albert à la fin des années 1930 et s’installe avec sa petite famille Rue Laurendeau, dans le quartier Henriville d’Amiens d’où est originaire Germaine.
Maurice THUILLIEZ, comme son frère, quitte également son village de naissance après la guerre, pour habiter, comme lui dans la ville d’Albert en pleine reconstruction. Après avoir été cordonnier, puis employé agricole à Albert, il part également pour Amiens dans les années 1930 où il devient employé de commerce chez Deschildre. Avec son épouse Jeanne et leur fils René, ils résident 11bis Impasse Jean Scellier, voie se trouvant également dans le quartier Henriville.

De Ville-sur-Ancre à Albert et Amiens, en passant par la Belgique et les camps allemands, ni la vie ni la guerre n’ont jamais vraiment réussi à éloigner les frères THUILLIEZ l’un de l’autre.
Lionel JOLY et Xavier BECQUET
« De la Somme à Bellefontaine – 22 août 1914 » – recherche collaborative 1891, 1892, 1893 – Département Somme. Jean DELHAYE a réalisé la collecte de données pour la commune de Ville-sur-Ancre.
Précisions: selon les documents consultés, le prénom « Marius » est quelquefois utilisé au sujet de Pierre THUILLIEZ et celui d’ « Augustin » pour Maurice THUILLIEZ.
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Marius FERNET d’ALBERT
André GOSSELIN de CORBIE
Charles CLIN de BONNAY
Eugène MOREL d’AUTHUILLE
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