Victimes de la Première Guerre mondiale – une Somme de vies brisées par 14 18.
Né le 28 février 1893, Henri DARAN est l’aîné de la fratrie. Une fratrie d’orphelins.
Les DARAN sont des Parisiens. Henri est l’aîné, suivi de Julien né en 1895, de Marthe en 1897, de Jeanne en 1899 et de Jean né en 1900.
Tout se présentait pourtant bien pour les enfants DARAN. Pierre DARAN, leur père, originaire de Castelnau-Magnoac dans les Hautes-Pyrénées était venu travailler à Paris. Maréchal-ferrant de profession, il s’est installé dans le XVe Arrondissement et s’est marié avec Jeanne MURET. Henri est le premier de leurs enfants. Jeanne qui était couturière est devenue marchande de vins. Les commerces des époux DARAN prospéraient et la vie des petits s’annonçait des plus douces.
Henri, l’aîné des cinq enfants DARAN, n’a que douze ans quand son père décède. Une mort dramatique suivie, moins de six mois plus tard, par celle de Jeanne, leur maman. Privés de toute famille sur place, les cinq enfants sont immédiatement pris en charge par l’orphelinat du XVe arrondissement.

A l’exception de Jean, nourrisson à la santé fragile exigeant une prise en charge sur place, les quatre enfants DARAN les plus âgés quittent Paris. Les familles d’accueil ne manquent pas en Province. Pour les DARAN, c’est le département de la Somme qui a été choisi. Dans les campagnes du Ponthieu et du Vimeu, les jeunes enfants peuvent bénéficier d’un air sain. Et pour de nombreux fermiers qui peinent à joindre les deux bouts, une petite rémunération supplémentaire pour élever un enfant est toujours bonne à prendre.
C’est le hameau de Yonval, dans la commune de Cambron, près d’Abbeville, qui est le lieu de destination pour les enfants DARAN. On ne compte même pas cinquante maisons dans le lieu-dit, et ce ne sont presque que des fermes. Le contraste est assurément surprenant pour les petits citadins.
Henri et son frère cadet Julien sont accueillis dans la ferme d’Eugénie et d’Henri Thiébaut, Rue des Monts, alors que Marthe et Jeanne sont hébergées chez Marthe et Moïse Mouret, Rue de Cambron.

Les enfants sont rapidement intégrés aux autres habitants, et les enfants de Yonval apprécient ces quelques camarades supplémentaires. Il y a moins de 200 habitants dans le hameau. Les enfants y sont rares.
Les copains d’Henri et de Julien sont Gaëtan BOUTROY, Emile LION, les frères CRIMET, les cousins SALLÉ. Ils sont tous fils de fermiers ou de journaliers agricoles. Il y a aussi Lucien MARSEILLE. Il est, comme eux, orphelin. Il a été accueilli par Alice et Octave DELCUZE et les aide aux travaux de la ferme.
Henri et son frère, les petits orphelins parisiens, sont assez doués pour l’école. Ils la quittent en sachant parfaitement lire et écrire.
Adolescents les frères DARAN ne sont plus pris en charge par l’Assistance Publique. Ils doivent subvenir à leurs besoins. Eugénie et Henri THIEBAUT accueillant trois nouveaux orphelins parisiens comme nourrissons, Henri et Julien doivent quitter la maison. Ils n’ont aucune difficulté à se faire employer et loger dans d’autres fermes du hameau. Henri vit et travaille dans la ferme d’Emile et Ernestine PLÉ et Julien chez Rose-Madeleine et Eugène FRANÇOIS.

La vie parisienne semble bien loin maintenant pour les DARAN. Ils ont toute leur place à Yonval et se sentent de plus en plus picards. Le territoire du hameau situé sur le plateau dominant la vallée de la Somme et la grande agglomération d’Abbeville en contre-bas constituent maintenant leur univers. Au retour du service militaire, ils pourront s’y installer et fonder une famille.
Henri est convoqué à ses vingt ans devant le Conseil de Révision d’Abbeville. Il est affecté au 120e Régiment d’Infanterie de Péronne, comme son copain Gaëtan BOUTROY, le fils des journaliers agricoles que sont Marcel et Marie, Rue de Cambron.
Henri DARAN et Gaëtan BOUTROY prennent le train, le 27 novembre 1913, en gare d’Abbeville. Des dizaines de jeunes hommes attendent avec eux le train qui va les emmener, pour certains vers Amiens, et pour d’autres comme les deux copains de Yonval, beaucoup plus loin. Le 120e RI a quitté ses locaux de Péronne en octobre dernier pour s’installer dans la caserne Chanzy de Stenay, dans la Meuse. Le voyage va être long, mais les wagons, emplis de jeunes hommes de vingt ans, ne vont pas respirer la tristesse. Partir au service militaire, ce n’est pas partir à la guerre…

Neuf mois plus tard, elle débute. La guerre est déclarée par l’Allemagne le 3 août 1914 et les hommes des régiments déjà présents à proximité des frontières de l’Est de la France, comme ceux du 120e RI, savent qu’ils seront les premiers à être envoyés au combat. Les Allemands ont débuté l’invasion de la Belgique, et si, dans les premiers jours d’août, ils sont retardés grâce à l’héroïque résistance de l’armée belge autour de Liège, les Français savent que l’ennemi tentera bientôt d’entrer sur le territoire national.
Le 22 août débute la grande offensive dans le Sud de la Belgique voulue par le général Joffre. Le 120e RI, après avoir passé la nuit de l’autre côté de la frontière, à Meix-devant-Virton, reçoit l’ordre de s’avancer à l’aube du samedi 22 août vers Bellefontaine et Tintigny, pour affronter les Allemands une vingtaine de kilomètres plus loin.
Les 3 000 hommes du régiment quittent Meix-devant-Virton à 5 heures du matin pour débuter l’ascension du petit chemin forestier qui va les emmener vers le plateau de Bellefontaine. Le brouillard est épais. La longue marche de la veille a profondément fatigué les organismes. Malgré tout, il faut marcher d’un bon pas, sur le chemin rendu boueux par les orages de la nuit, et porter sur les épaules ce terrible sac qui pèse au moins trente kilos.
L’état-major avait annoncé que les Allemands seraient positionnés au village de Léglise, bien au-delà de la rivière Semois. En réalité, l’ennemi a profité de la nuit pour se rapprocher de la frontière et tendre une embuscade sur le territoire du village de Bellefontaine.
Comme près de 500 hommes du 120e, Henri DARAN n’ira pas plus loin. Il est tué sans qu’on sache s’il a même tiré une seule balle. Il a 21 ans.

Son copain, Gaëtan BOUTROY survit au combat de Bellefontaine, puis quelques jours plus tard, à celui, tout aussi meurtrier, de la Bataille de la Marne. Ensuite la guerre s’enterre. Pour le 120e, l’univers est, pendant plusieurs mois, celui des tranchées du Bois de la Gruerie, un bois où le sang et la boue remplace peu à peu les arbres. Gaëtan ne survit pas longtemps à cet enfer. Il meurt le 24 octobre.
La guerre a décimé la jeunesse masculine à Yonval comme dans beaucoup de villages. Georges, l’aîné des frères CRIMET, est mort dans la Marne en novembre 1914, tout comme Léon SALLÉ. Lucien MARSEILLE, l’enfant de l’Assistance publique a été tué en mai 1915, à Mesnil-les-Hurlus. Henri, un des cousins SALLÉ, a été tué près de Fleury, dans le secteur de Verdun, en 1916. C’est aussi en 1916 que meurt Emile LION sur un lit d’hôpital.
Julien DARAN, le frère cadet d’Henri a été évacué pour maladie et blessé à plusieurs reprises. Cité trois fois à l’ordre du 51e Régiment d’Infanterie pour sa bravoure et son courage, Julien termine la guerre sans trop d’égratignures. Sur le plan physique.

Jean, le dernier de la fratrie des orphelins DARAN, a été convoqué devant le Conseil de Révision en 1918. C’est à Nouvion-en-Ponthieu, dans la Somme, qu’il s’est présenté. L’assistance publique l’avait en effet envoyé, comme ses frères et sœurs, dans la Somme, mais pas à Yonval. Jean avait été accueilli dans la ferme MAILLET à Forest-L’Abbaye, près de Crécy, où il était devenu domestique de ferme. En 1918, jugé trop faible, il n’a pas été mobilisé. Il a été appelé plus tard, après l’Armistice, échappant ainsi à l’horreur de la guerre.
Après la guerre, Julien DARAN a épousé Madeleine, une fille de Forceville. Il est devenu chef comptable à Abbeville et son épouse dactylographe.
Jean s’est marié avec Thérèsa, originaire de Fresnes-Tilloloy. Deux enfants sont nés au foyer, Pierre et Odette. La famille s’est installée à Abbeville. Jean est devenu garçon d’hôtel.
Les deux jeunes hommes sont restés dans ce coin de Picardie qui les avait accueillis.

Julien habitait Rue Sanson et Jean, Boulevard Voltaire, à quelques centaines de mètre l’un de l’autre, séparés par quelques pâtés de maison et le canal de la Somme. Les deux frères ont pu enfin apprendre à se connaître et à partager un passé si douloureusement enfoui.
Mais, dans ce bonheur fraternel reconstitué, un manque était évident. Après la perte des parents, jeunes adultes à qui la vie souriait, celle du frère aîné est tout autant insupportable.

Le nom d’Henri DARAN est inscrit sur le monument aux morts de Yonval. Il avait 20 ans.
Lionel JOLY et Xavier BECQUET
« De la Somme à Bellefontaine – 22 août 1914 » – recherche collaborative 1891, 1892, 1893 – Département Somme. Lionel JOLY a réalisé la collecte de données pour la commune de Yonval (dépendance de Cambron avant 1986).
La dépendance de Yonval a été détachée de Cambron en 1986 pour devenir une commune autonome.
Précisions: le patronyme DARAN a été écrit DARAND sur le monument aux morts de Yonval. Nous n’avons trouvé cette orthographe sur aucun document consulté.
Le prénom usuel d’Antoine Julien DARAN était Julien. Toutefois, sur certains documents consultés, c’est celui d’Antoine qui est utilisé.
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Ernest DULYS de GRAND-LAVIERS
Pierre Jean PAJOT d’ABBEVILLE
Noël DESTEVE d’ABBEVILLE et de CORREZE
Marcel CAROUGE d’ABBEVILLE
Charles MOIGNET d’ABBEVILLE
Georges MERCHEZ d’ABBEVILLE
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