Né le 13 juillet 1892, Henri LEMAIRE est le fils d’Eugène et Marie LEMAIRE, cultivateurs à Saint-Quentin-en-Tourmont. Les témoins qui ont assisté Eugène, devant le maire pour déclarer la naissance sont Philippe FOURNIER, douanier retraité et Jean-François MORCANT, préposé des douanes.
Cette scène est assez symbolique de la constitution de la population de ce petit village du bord de mer. On y trouve principalement des douaniers en exercice, des douaniers en retraite, des cultivateurs et des ouvriers agricoles. Il y a trois corps de garde de la douane sur le territoire de la commune.
Saint-Quentin-en-Tourmont est un village de 500 habitants qui vivent au bout de la Terre. Située entre la Baie de Somme et la Baie d’Authie, au Nord du Crotoy, le territoire de la commune est un des plus étendus de toutes les communes du département de la Somme, mais aussi un des plus pauvres. Une côte de plus de 12 km et plus de 3 000 hectares, dont seulement quelques centaines sont cultivés. La terre, c’est le sable, et il n’y a pas d’eau potable dans le village. Les cultures sont difficiles, et seules certaines essences d’arbres arrivent à casser ce sentiment de sables et de dunes à perte de vue.
L’insalubrité du pays, l’éparpillement des habitations, l’envahissement des sables, et le séjour prolongé de l’eau sur différents points du territoire rendent la vie difficile. C’est pourtant ici qu’Alexandre, venu de Quesnoy-sur-Airaines, est venu s’installer comme fermier au milieu du XIXe siècle.
Alexandre LEMAIRE est le grand-père d’Henri. Il est toujours bien vivant et partage sa maison avec son fils, Eugène, sa belle-fille, Marie, et ses petits- enfants. Deux filles sont nées au foyer avant Henri. Elles s’appellent Aurore et Marie-Thérèse. La mère de Marie vit aussi chez eux.
Le vieil Alexandre espère qu’Henri, le premier de ses petits-fils, reprenne un jour la ferme. Dans la ferme, comme dans chaque ferme du secteur, on trouve au moins un enfant de l’Assistance publique de Paris. Jean MARTIN est né à Paris. Placé à l’adolescence dans la ferme LEMAIRE, il y est resté. Le gîte et le couvert offrent deux bras supplémentaires pour les travaux de culture. Les conditions de travail et de vie ne semblant pas si mauvaises dans ce coin du Marquenterre, peu de ces jeunes orphelins quittent le village à l’âge adulte.
Henri va avec son père écouler leur production au marché du Crotoy ou à Rue. A la belle saison, il leur arrive aussi pour vendre œufs, volaille, lapins, d’aller au Fort-Mahon, petit village où une station balnéaire vient d’être créée, et qui commence à attirer quelques familles bourgeoises.
Henri adolescent sait qu’il va reprendre la ferme. Son père et son grand-père sont décédés. Son jeune frère, Louis, de douze ans son cadet, n’est encore qu’un enfant. Avec l’aide de sa mère et ses deux soeurs, Henri peut exaucer le voeu de son grand-père en poursuivant l’exploitation de la petite ferme familiale.
A 20 ans, Henri LEMAIRE est convoqué devant le Conseil de Révision à Rue, ville chef-lieu de canton. Pas besoin d’aller chercher le tramway mécanique qui relie Quend, le village voisin, à la ligne Paris-Boulogne desservant Rue. Non, Henri connaît trop bien les chemins de traverse. Il s’y rend en charrette avec Julien BOUCART, convoqué le même jour. La famille BOUCART réside dans le village mais les bouches sont nombreuses à nourrir. Comme certains de ses frères, Julien a quitté la maison familiale pour être hébergé dans la ferme où il travaille. Il est domestique de ferme d’Eugène GLACHANT, située dans la même rue que la ferme des LEMAIRE.
Henri LEMAIRE est affecté au 120e Régiment d’Infanterie de Péronne et Julien au 8e Bataillon de Chasseurs à Pied. Dommage ! Tous les deux sont incorporés le 9 octobre 1913 mais ils n’effectueront pas leur service militaire ensemble.
Après une dernière permission pour aider sa mère et ses soeurs aux travaux agricoles, en juillet 1914, Henri doit repartir au plus vite à Stenay, dans la Meuse, où est caserné le 120e RI. La guerre est imminente.
Henri participe aux premières escarmouches, le 10 août, à Mangiennes. A part trois hommes blessés, les pertes sont faibles pour le 120e. Il n’en sera pas de même le 22 août, dans la plaine du Radan à Bellefontaine, de l’autre côté de la frontière avec la Belgique. Plusieurs centaines d’hommes au pantalon rouge s’écroulent, à côté de lui, en tentant de traverser le plateau de Bellefontaine pour atteindre la rivière Semois. Beaucoup ne se relèvent pas. Henri n’est pas blessé, mais l’horreur de la guerre a vraiment commencé pour lui.
Après les combats de fin août, à Cesse dans la Meuse, et la Bataille de la Marne début septembre, le régiment a déjà perdu presque la moitié de ses effectifs. Le conflit s’immobilise ensuite, et c’est sur le front d’Argonne et du Nord de Verdun que les hommes du 120e vont débuter la guerre de tranchées.
Le 29 décembre 1914, malade, Henri LEMAIRE est évacué du Bois de la Gruerie. Il est dirigé vers l’hôpital de Sainte-Menehould, dans la Marne, pour y être soigné. Mais la maladie gagne très rapidement du terrain. Henri meurt, le 6 janvier 1915, de la fièvre typhoïde.

La triste nouvelle arrive à Saint-Quentin-en-Tourmont en juin 1915. Henri LEMAIRE, le petit-fils d’Alexandre, ne reprendra jamais la ferme familiale.
Hasard des destinées et des affectations, Julien BOUCART, le domestique de la ferme voisine, a eu beaucoup plus de chance. Trois semaines après le début de la guerre, à Arrancy dans la Meuse, il a été fait prisonnier par les Allemands. Il n’a rien connu des combats et a vécu plus de 4 ans dans le camp de prisonnier de Mersburg. Même si cette situation de captivité n’a pas été simple à vivre, Julien est bien vivant. Il est rapatrié en janvier 1919. Il n’est pas un embusqué. Il a simplement eu la malchance… ou la chance d’être fait prisonnier au début de la guerre. Lui est vivant mais sa famille a payé un bien lourd tribut à la guerre. Paul et Lucien BOUCART, deux des frères de Julien, ont été tués.
Marie, la maman d’Henri LEMAIRE, est restée dans la maison quelques années, avec Aurore, sa fille aînée. Puis la ferme s’est définitivement vidée de la famille LEMAIRE.
La seule trace du passage de la famille LEMAIRE à Saint-Quentin-en-Tourmont est aujourd’hui inscrite sur le monument aux morts du village.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET
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