Né le 27 mars 1891, Nathanaël DELAPORTE est le fils de Joseph DELAPORTE et d’Ambroisine SAGEOT.
Joseph DELAPORTE est serrurier dans l’entreprise DAVERGNE à Feuquières-en-Vimeu. La serrurerie est l’activité principale de cette commune de 1 800 habitants. Pour les hommes, les femmes comme pour les enfants, il est difficile d’envisager un autre avenir en cette fin du XIXe siècle que celui de travailler dans la serrurerie quand on habite dans le Vimeu industriel.
Les garçons de Feuquières fréquentent assez assidument l’école d’Adalbert DEGARDIN, l’instituteur public. Et dès l’âge de douze ans, l’embauche devient possible dans une des fabriques de serrures de la commune.

La famille DELAPORTE réside rue du Moulin. L’aîné de la fratrie est une fille prénommée Henriette. Nathanaël est le deuxième enfant du couple, suivi par Georgina, Yvon, Paul et Charles.
A l’adolescence, Georgina et Nathanaël rejoignent leur père chez DAVERGNE. Georgina est polisseuse et Nathanaël est serrurier. Mais le jeune Nathanaël a d’autres ambitions que celles d’être ouvrier d’usine. La mort de son père le touche profondément. Il choisit alors une autre voie. Alors qu’il n’a pas encore 20 ans, il se met à son compte et devient artisan serrurier à domicile, rejoint rapidement dans cette entreprise par son frère cadet, Yvon.

Mais 20 ans est aussi, pour un garçon, l’âge du service militaire. Bien que soutien de famille depuis le décès de son père, Nathanaël est convoqué devant le Conseil de Révision de Moyenneville et incorporé au 128e Régiment d’Infanterie d’Abbeville. Il prend le train en gare de Feuquières le 10 octobre 1912, en compagnie de Joseph DOUAY, de Lucien D’HIER. Les trois garçons doivent rejoindre la caserne Courbet d’Abbeville où est caserné le 128e RI.
Joseph DOUAY travaille comme ouvrier agricole dans la ferme familiale, rue de Hollande. Il y vit avec ses parents et ses frères et sœurs. Pour Lucien D’HIER, la vie est beaucoup moins simple. Il est orphelin. Il n’avait que deux ans quand son père est mort. Sa mère, Marguerite, s’est remariée ensuite. Lucien D’HIER ne trouve pas vraiment sa place dans la famille recomposée et quitte très tôt la maison familiale. Il devient ouvrier d’usine.

On parle essentiellement picard dans la caserne du 128e RI à Abbeville. Les jeunes soldats sont essentiellement originaires du Vimeu et du Ponthieu. On y trouve également quelques gars des cantons limitrophes de Seine-Inférieure, de l’Oise ou du Pas-de-Calais. Picard avec quelques différences linguistiques, mais c’est bien la langue la plus utilisée dans le régiment.
La vie de casernement comporte quelques contraintes, mais elle s’accompagne surtout de beaucoup de camaraderie et de solidarité. A l’automne 1913, plusieurs copains d’enfance de leur commune de Feuquières sont incorporés au 128e RI. Ils sont nés en 1892 ou 1893. Ils se connaissent très bien. Les nouveaux arrivés se nomment Fernand DUMONT, Louis FLAMENT et Alphonse WAMAIN.
Quand les trois nouveaux Feuquièrois rejoignent la caserne Courbet, ils sont loin d’imaginer que, neuf mois plus tard, la guerre décimera la petite bande de copains de la commune.

La mobilisation générale est décrétée le 1er août 1914 en France. Les jeunes soldats du 128e sont prêts depuis plusieurs jours. L’imminence du conflit ne faisait plus aucun doute pour l’état-major. Les hommes du 128e RI quittent Abbeville le 5 août et, après douze heures de trajet, débarquent en gare de Dun-sur-Meuse, près de Verdun.
Les six Feuquièrois combattent à Meix-devant-Virton en Belgique, le 22 août. Contrairement à d’autres régiments picards comme le 120e de Péronne, les hommes du 128e subissent peu de pertes pendant la Bataille des Frontières. Ils ont toutefois déjà côtoyé la mort et la souffrance. La guerre ne va vraiment pas être une partie de plaisir, et contrairement à ce qu’annonçaient les journaux, elle ne va pas durer quelques semaines seulement…
Après avoir perdu plusieurs dizaines de milliers d’hommes dans les combats en Belgique et dans l’Est de la France, le général Joffre donne l’ordre de retraite. Il n’emploie toutefois jamais ce terme lui préférant celui de réorganisation. Les hommes encore en état de combattre doivent rejoindre les bords de la Marne. C’est là que se livrera la grande bataille pour empêcher les Allemands de prendre Paris.

Le 29 août, alors que le 128e RI est encore dans les Ardennes, l’ordre lui est donné de stopper sa retraite. C’est lui qui a pour mission, au sein du 2e Corps d’Armée, d’arrêter la progression allemande. C’est vers Saint-Pierremont que l’attaque devra s’opérer. Les 2e et 3e Bataillons du 128e RI doivent rejoindre, dans la nuit du 30 au 31 août, Fontenois. C’est de ce petit hameau comptant moins de 60 habitants que l’attaque va être lancée vers Saint-Pierremont où des missions d’observation ont localisé la présence de troupes d’infanterie allemande.
Le 1er bataillon du 128e RI ne participe pas aux combats. Il est positionné à moins de dix kilomètres, dans le secteur de Bar-les-Buzancy, et ne recevra jamais l’ordre d’apporter son soutien aux combattants de Fontenois. Contrairement à ses copains de Feuquières, Nathanaël, qui a muté quelques mois plus tôt du 2e Bataillon au 1er ne connaît pas l’enfer du 31 août 1914 à Fontenois.

En fin de journée, quand les rescapés des 2e et 3e Bataillons rejoignent les hommes du 1er Bataillon, nombreux sont ceux qui manquent à l’appel. Joseph DOUAY est mort. Lucien D’HIER et Fernand DUMONT gravement blessés, sont laissés sur place et capturés le lendemain pour être internés en Allemagne. Parmi les victimes figurent aussi deux autres Feuquièrois, rappelés le 1er août : Sosthène BRIET et Lucien PRUVOT. Des sept Feuquièrois qui ont combattu à Fontenois, seuls Louis FLAMENT et Alphonse WAMAIN s’en sortent indemnes. Indemnes physiquement mais déjà profondément traumatisés.
Un mois après le début de la guerre, la bande des 6 copains Feuquièrois du service militaire est décimée. Ils ne sont déjà plus que trois à pouvoir participer à la Bataille de la Marne, début septembre 1914.

Les combats de Maurupt-le-Montois et de Pargny-sur-Saulx sont encore dévastateurs pour le 128e RI. Il y a tellement de pertes qu’on y parle presque plus picard. Les nouveaux arrivants arrivés pour combler les trous viennent de toutes les régions.
La fin de la Bataille de la Marne marque la fin de la guerre de mouvement. Les hommes commencent à creuser des tranchées et à s’y installer. C’est dans un des premiers combats de cette guerre de position qu’est tué Nathanaël DELAPORTE. Il meurt le 15 septembre 1914 à Servon. Sa petite entreprise de serrurerie met définitivement la clef sous la porte. Nathanaël ne vieillira jamais.
La guerre n’a épargné aucun des copains feuquièrois. Alphonse WAMAIN a été tué le 7 novembre 1914 en Argonne, au Bois de la Gruerie et Louis FLAMENT a disparu le 17 avril 1916 à Bras, dans la Meuse.

Après la signature de l’Armistice, les prisonniers ont été rapatriés. Lucien D’HIER et Fernand DUMONT sont rentrés dans la Somme. Diminués physiquement, ils ont bénéficié d’emplois réservés au Chemin de fer. Fernand est parti vivre à Longueau, près d’Amiens, et Lucien à Paris.
Les noms de leurs 4 copains qui effectuaient avec eux le service militaire, avant la guerre dans la caserne Courbet d’Abbeville, sont inscrits sur le monument aux morts de Feuquières-en-Vimeu.
Lionel JOLY et Xavier BECQUET

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