ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – Vera et les Mousquetaires

Né le 27 mars 1895, Roland LEIGHTON est le fils de Robert LEIGHTON et de Marie CONNOR.

Robert et Marie sont écrivains. Ils résident dans le Nord de Londres. Deux enfants complètent cette famille, Roland né en 1895 et Clara, sa sœur cadette, en 1898.

La famille LEIGHTON déménage ensuite vers l’Est de l’Angleterre, près de Norwich. Leur maison nommée « Heather Cliff » est située sur les hauteurs de la plage de Lowestoft.

Roland est un très bon élève. Il poursuit ses études secondaires à Uppingham, commune située à 25 km à l’Est de Leicester.

Pendant son séjour à l’internat d’Uppingham, Roland rencontre plusieurs jeunes hommes de son âge avec lesquels il se lie d’amitié. Il y a Edward BRITTAIN, Victor RICHARDSON et Geoffrey THURLOW.

La sœur aînée d’Edward se prénomme Vera. Elle aime la compagnie des amis de son frère. Ces jeunes hommes sont intellectuellement brillants. Les conversations autour de la littérature sont inépuisables. Vera adore également la littérature dont elle veut faire son métier. Dans ce groupe de garçons qui aime à s’appeler « Les Mousquetaires », le cœur de Vera a choisi Roland. Vera et Roland s’aiment. Une belle histoire peut commencer…

Roland LEIGHTON (The Vera Brittain Fonds, McMaster University, Mills Merorial Library)

En juillet 1914, Roland LEIGHTON quitte Uppingham. Il doit poursuivre ses études au collège Merton d’Oxford. Quelques jours plus tard, le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France et envahit dès le lendemain la neutre Belgique. Le 4 août à 23h00, le gouvernement britannique, garant de la neutralité belge, décrète qu’un « état de guerre existe entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne ». Trois jours plus tard, Sir John FRENCH débarque sur le territoire français avec un premier contingent du Corps Expéditionnaire composé de militaires de métier.   

La conscription n’existant pas au Royaume-Uni, une campagne d’enrôlement est lancée dès le mois d’août 1914 par Lord KITCHENER, Secrétaire d’Etat à la Guerre.  Roland est volontaire. Son souhait de rejoindre la Royal Navy ne peut aboutir en raison d’un problème de myopie. Il se fait alors incorporer dans le Norfolk Regiment où il suit une instruction militaire. Roland n’étudiera jamais au collège Merton d’Oxford… Comme lui, ses copains « Mousquetaires » s’engagent dans l’Armée britannique.

Trois des Quatre « Mousquetaires » : de gauche à droite, Edward BRITTAIN, Roland LEIGHTON et Victor RICHARDSON (The Vera Brittain Fonds, McMaster University, Mills Merorial Library.)

Transféré au Worcestershire Regiment, il débarque le 31 mars 1915 à Boulogne-sur-Mer. Il découvre le front de l’Yser. A son arrivée, il découvre un territoire de désolation. Dans le bois détruit de Ploegsteert, Roland découvre avec étonnement que des fleurs arrivent encore à fleurir.

Violets, poème écrit de la main de Roland LEIGHTON (The Vera Brittain Fonds, McMaster University, Mills Merorial Library)

Le poète qu’est devenu Roland écrit alors un poème sur les violettes du bois de Plug Street (déformation de Ploegsteert), des fleurs qui ont conservé leur couleur bleue dans une terre tellement arrosée de sang.

Soldats britanniques en 1915- photo prise par Roland LEIGHTON à Ploegsteert
(The Vera Brittain Fonds, McMaster University, Mills Merorial Library)

Quelques semaines plus tard, dans le secteur d’Ypres, un médecin militaire canadien, est étonné lui aussi de découvrir des fleurs sur les champs de bataille. Il se nomme John Mac Crae. Son poème s’intitule « In Flanders Fields ». Il y parle des coquelicots qui fleurissent « entre les croix » dans les champs de Flandre.

Pendant l’année 1915, le Worcestershire Regiment de Roland LEIGHTON est engagé dans les combats du Pas-de-Calais et du Nord, à Neuve-Chapelle, à Aubers et au Bois-Grenier près d’Armentières.

Durant l’été 1915, Vera BRITTAIN, la fiancée de Roland LEIGHTON, s’engage comme infirmière. Elle devient élève infirmière au Devonshire Hospital de Buxton où elle soigne des blessés rapatriés.

Au mois d’août 1915, Roland bénéficie d’une permission. Il retourne en Angleterre pour se fiancer officiellement avec Vera. De retour en France, Roland entretient alors une correspondance régulière avec Vera. Le jeune Roland est inquiet. Vera tente de le réconforter. Roland et Vera se connaissent si peu. Ils ont tant d’amour à donner. Ils ont encore tant de moments de bonheur à vivre ensemble. Leur amour est tellement neuf.

En novembre 1915, Vera rejoint le First London General Hospital. Elle écrit à Roland : « J’ai aujourd’hui un seul souhait pour cette vie, c’est la fin de la guerre. Personnellement, après avoir vu ici tant de choses affreuses, je ne serai plus jamais la même et je me demande si, après la guerre, je pourrai encore rire. Un jour de la semaine passée, après avoir assisté à une terrible amputation, je suis sortie de la salle d’opération, les mains couvertes de sang, avec un esprit de révolte. Aujourd’hui est le jour de visite des parents d’un garçon de 20 ans qui viennent du Pays de Galles pour le voir. Il a perdu un œil, a été trépané et souffre de 14 autres blessures… ».

C’est en novembre 1915 que Roland écrit son poème « Hédauville », du nom d’un village de la Somme situé au Nord-Ouest d’Albert. Roland sait que la mort peut le surprendre à chaque moment. Tant de copains sont tombés à ses côtés. En recevant ce poème désespéré dans lequel Roland demande à sa fiancée de l’oublier, Vera cherche les mots pour réconforter celui qu’elle aime. Meurtrie profondément par les mots de Roland, Vera lui répond par un poème dont le titre est « Perhaps » (Peut-être). Un poème empli d’un amour éternel.

Roland doit bénéficier d’une permission pour Noël. Vera attend ce retour avec impatience. Elle est certaine de vouloir épouser Roland et souhaite avoir un enfant de lui. Si la guerre prend fin, leur avenir sera si heureux…

Louvencourt (Somme) avant la guerre

Le lendemain de Noël, Roland n’est toujours pas au rendez-vous. C’est par Clara, la sœur de Roland, que Vera apprend la terrible nouvelle. Roland a été tué le 22 décembre, atteint par une balle d’un sniper allemand alors qu’il se livrait à une banale corvée de réparation de barbelés près de Louvencourt. Roland est atteint à l’abdomen et à la colonne vertébrale. C’était une nuit de pleine lune…

Les autorités militaires renvoyèrent les effets personnels de Roland à ses parents. Vera était présente. Dans le colis, il y avait une veste ensanglantée et boueuse. Il y avait également plusieurs poèmes écrits par le jeune homme, donc celui nommé « Hédauville ».

Geoffrey THURLOW (photo : Nancy Wright pour findagrave.com)

En février 1916, Geoffrey THURLOW, un des Mousquetaires, est blessé à la face par un éclat d’obus alors qu’il combat en Flandre occidentale. Rapatrié en Angleterre pour y être soigné, il a la chance de revoir Vera. Elle vient lui rendre visite à l’hôpital à Londres. La blessure physique ne semble pas être la plus importante dans l’état de prosternation où se trouve Geoffrey. Il est atteint au plus profond de son âme. Vera écrit à son frère que Geoffrey est comme une « sorte de fantôme ». Geoffrey a peur. Deux mois plus tard, il retourne en France. Geoffrey THURLOW est tué le 23 avril 1917 à Monchy-le-Preux dans le Pas-de-Calais.

Victor RICHARDSON (The Vera Brittain Fonds, McMaster University, Mills Merorial Library)

Son ami Victor RICHARDSON s’est également engagé pour servir son pays. Victime d’une méningite, Victor n’est mobilisé qu’en septembre 1916. Au printemps 1917, son régiment – le King’s Royal Rifle Corps – prend part à la Bataille d’Arras. Le 9 avril au matin, en lançant une offensive pour prendre d’assaut la tranchée principale allemande, Victor est touché à la tête par une balle de mitrailleuse. Evacué vers l’arrière, Victor est soigné à l’Hôpital Général n°8 de Rouen. La blessure est grave. Victor perd d’abord l’œil gauche puis devient complètement aveugle.

Vera BRITTAIN à Malte (The Vera Brittain Fonds, McMaster University, Mills Merorial Library)

Vera est infirmière dans un hôpital sur l’Ile de Malte. Apprenant que son ami Victor est hospitalisé, elle obtient un congé pour lui rendre visite à Rouen. Le voyage est long. Vera est heureuse de constater que Victor semble prêt à affronter son handicap. Il apprend le Braille. Quand elle le quitte, elle n’imagine pas qu’elle ne le reverra plus vivant. Le 9 juin 1917 Victor meurt brutalement dans son lit d’hôpital.

Roland LEIGHTON, à gauche et Victor RICHARDSON quand ils étaient étudiants à Uppingham ( The Vera Brittain Fonds, McMaster University, Mills Merorial Library)

Comme ses amis, Roland LEIGHTON, Geoffrey THURLOW et Victor RICHARDSON, Edward BRITTAIN, le frère de Vera, s’est également engagé dans l’Armée de l’Empire britannique. Le 1er juillet 1916, en lançant l’assaut à la tête de ses hommes, le lieutenant BRITTAIN est touché à la cuisse par une balle puis blessé au bras par un éclat d’obus. Soigné dans un hôpital de l’arrière, il est envoyé en Angleterre en convalescence. Il rejoint le First London General Hospital à l’époque où Vera est employée comme infirmière. Les retrouvailles sont particulièrement émouvantes pour le frère et la sœur BRITTAIN. Décoré de la Military Cross, Edward rejoint le Continent en juin 1917. Il participe à la Bataille de Passchendaele puis est envoyé avec le 11th Sherwood Foresters en Italie. Le 15 juin 1918, Edward est tué à l’ennemi d’une balle dans la tête.

Edward BRITTAIN (The Vera Brittain Fonds, McMaster University, Mills Merorial Library)

Quatre jeunes hommes dont l’avenir paraissait brillant ont perdu la vie. Quatre mousquetaires qui ne vieilliront jamais.

Vera est effondrée. La perte de son fiancé, de son frère, de ses amis est insupportable. Seule l’écriture lui apporte la consolation que le monde d’après-guerre ne peut lui offrir. Si Vera s’est mariée quelques années plus tard, si Vera est devenue maman d’un garçon, John, et d’une fille prénommée Shirley, elle n’a jamais oublié ses « Mousquetaires ». En 1933, elle publie un roman autobiographique qui deviendra célèbre dans le monde anglo-saxon : Testament of Youth (Mémoire de jeunesse). Elle y parle de sa jeunesse heureuse, elle y parle de son frère et ses amis disparus pendant la guerre. Elle semble assister avec désespoir à l’effondrement de son monde. Tout naturellement, la femme engagée qu’elle est devenue militera jusqu’à la fin de sa vie au sein de mouvements pacifistes.

Vera BRITTAIN

Vera BRITTAIN est morte le 29 mars 1970 à l’âge de 76 ans.

Edward BRITTAIN et Geoffrey THURLOW avaient 22 ans, Victor RICHARDSON en avait 23.

A Louvencourt dans la Somme, quand il a été frappé par cette balle allemande, une nuit de pleine lune de l’hiver 1915, le jeune fiancé de Vera n’avait que 20 ans. Roland LEIGHTON repose pour toujours dans le sol du petit village de Louvencourt. Et si vous passez par-là, n’hésitez pas à lui déposer quelques violettes.

Tombe de Roland LEIGHTON à Louvencourt (photo : Michèle STOCKLIN-BECQUET) – à noter que Roland, né le 27 mars 1895, avait 20 ans.

Xavier BECQUET

Thanks to @SteveMarsdin

Sources : Archives de l’Université d’Oxford http://ww1lit.nsms.ox.ac.uk – Fonds Vera Brittain

Merci également aux sites www.1914-1918.be et https://horizon14-18.eu

LES VIOLETTES, de Roland LEIGHTON

Violettes du bois de Ploegsteert,

Exquises douceurs, elles sont pour toi.

(Il est étrange qu’elles soient bleues,

Bleues, alors que son sang versé était rouge,

Et qu’elles ont grandi autour de sa tête :

C’est étrange qu’elles soient bleues.)

Violettes du bois de Ploegsteert,

Songe à ce qu’elles ont été pour moi –

La vie, l’espoir, l’amour et toi.

(Tu ne les as pas vu pousser

Où gisait son corps mutilé,

Cachant l’horreur de ce funeste jour ;

Tout en douceur, c’est mieux ainsi.)

Violettes qui traversent la mer,

Vers ton cher, lointain, oublié pays,

Je les envoie en souvenir

Sachant combien tu comprendras.

(Traduction libre de Xavier Becquet) – dans le poème original est indiqué le lieu « Plug Street Wood » semblant être une adaptation britannique de « Ploegsteert Wood », le bois de Ploegsteert, situé dans la Province du Hainaut en Belgique où Roland a combattu.

VIOLETS

Violets from Plug Street Wood,

Sweet, I send you oversea.

(It is strange they should be blue,

Blue, when his soaked blood was red,

For they grew around his head:

It is strange they should be blue.)

Violets from Plug Street Wood,

Think what they have meant to me –

Life and hope and Love and You

(And you did not see them grow

Where his mangled body lay

Hiding horrors from the day;

Sweetest, it was better so.)

Violets from oversea,

To your dear, far, forgetting land

These I send in memory

Knowing you will understand

HÉDAUVILLE, de Roland LEIGHTON

(« HEDAUVILLE », poème écrit par Roland LEIGHTON à sa fiancée Vera BRITTAIN en novembre 1915)

Le soleil sur la route blanche
Qui descend en serpentant de la colline,
La clématite de velours qui s’accroche
Autour de ta fenêtre,
T’attendent encore.
Encore une fois, l’étang ombragé ondule
Ses berges autour de tes pieds.
Et quand le merle chantera dans ton bois,
Par hasard, il t’arrivera de rencontrer
Quelqu’un de doux que tu n’avais jamais encore vu.
Et s’il n’est pas tout à fait aussi vieux que le gars que tu connaissais
Et, de plus, moins orgueilleux et plus valeureux,
Alors, tu ne devrais pas lui permettre de partir !
(Car les marguerites sont plus réelles que les fleurs de la passion)
Ce sera mieux ainsi.

(Traduction Dr Loodts.P www.1914-1918.be)

PEUT-ÊTRE, de Vera BRITTAIN

(« PERHAPS », poème écrit par Vera BRITTAIN à son fiancé Roland LEIGHTON en décembre 1915)


Peut-être qu’un jour le soleil brillera à nouveau
Et que je verrai encore le ciel bleu
Et que j’éprouverai alors
Que je ne vis pas en vain malgré ton absence. 

Peut-être que les près fleuris sous mes pieds
Me donneront des heures de printemps ensoleillées et gaies

Et que je trouverai merveilleuse la floraison de mai
Et cela bien que tu sois mort.

Peut-être que la forêt estivale m’offrira ses reflets lumineux
Et les roses, leur couleur si bien seyante,
Et que les champs d’automne me donneront leur récolte
Bien que tu ne sois plus là.

Peut-être qu’un jour je ne tressaillirai plus de douleur
Au moment où l’année se termine
Alors que les chants de Noël retentissent à nouveau
Bien que tu ne puisses plus jamais les entendre.

Mais si ces différents moments peuvent à nouveau me donner de la joie
Je ne pourrai jamais plus connaître la plus grande
Parce que tu manqueras trop à mon cœur
Brisé alors depuis longtemps.

(Traduction Dr Loodts.P www.1914-1918.be)

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4 commentaires sur « ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – Vera et les Mousquetaires »

  1. Toujours infiniment reconnaissante et impressionnée par le parcours de ces vies fauchées en France qui associent les Britanniques. Merci.

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