6 septembre 1914 : la fin des illusions

Parce que trop souvent, dans les manuels scolaires, le début de la guerre 14-18 s’est résumé à : l’attentat de Sarajevo, l’affiche de la mobilisation et la victorieuse Bataille de la Marne et ses taxis, nous qui avons perdu un aïeul avant que la guerre ne s’enterre, nous avons voulu en savoir plus… Parler des événements qui ont rythmé les premières semaines de la guerre, c’est une manière de rendre hommage à tous ceux qui en ont été les victimes. Des victimes bien souvent oubliées de la grande Histoire.

Nous ne sommes pas des historiens universitaires. Amateurs d’histoires de la Grande guerre et membres de familles de victimes de la Grande guerre, nous voulons simplement partager avec vous nos « petites » connaissances sur le sujet et nos propres découvertes. Les chroniques quotidiennes que nous avons fait paraître depuis le 28 juillet 2019 sont accessibles dans leur intégralité sur notre site. www.somme-bellefontaine.fr/le-debut-de-la-grande-guerre

S’il est des polémiques entre historiens ou statisticiens pour définir quelle est la journée la plus meurtrière de la guerre pour les Français, il n’y a aucun débat par rapport à l’effroi que peut nous inspirer le nombre de morts des deux premiers mois. Rien que pour les Français, il s’élève à plus de 200 000 ! Pour certainement encore plus de blessés et de prisonniers. Il est donc possible de penser que pour les jeunes Français qui ont débuté la guerre – mobilisés le 2 août ou déjà sous les drapeaux avant la déclaration de guerre – 1 sur 3 était déjà hors combat après seulement 2 mois d’un conflit qui allait en durer 52. Si on y ajoute les lourdes pertes allemandes, les pertes britanniques, mais également sur le front de l’Est, les pertes russes, polonaises, et dans les Balkans, les morts en Serbie, en Autriche-Hongrie, en Bulgarie, en Turquie…etc, sans oublier, bien sûr, les milliers de civils tués ou blessés, nous avons une idée de l’horreur qui pouvaient attendre les peuples européens, dans une guerre qui n’était pas encore vraiment mondiale, en ce mois de septembre 1914. Pour l’instant, avec la Bataille de la Marne, c’est juste la fin du début de la Grande guerre. La fin des illusions. Non, la guerre ne sera pas brève et les hommes ne reviendront plus terminer les moissons. La guerre va progressivement s’enterrer, et durer longtemps. Longtemps…

Après la 1ère bataille de la Marne, entre le 6 et 10 septembre 1914, et après la tentative malheureuse des Allemands de rejoindre les côtes de la Manche et de la Mer du Nord, le front s’installe alors, avant la fin du mois de septembre 1914, selon un tracé qui n’évoluera que très peu jusqu’en mars 1918. Des Vosges, jusqu’à la Belgique flamande, en passant par la Meuse, la Marne, l’Aisne, l’Oise, la Somme, le Pas-de-Calais, le Nord… D’une guerre de mouvement, une guerre d’offensive, on passe à une guerre de position, une guerre de tranchées. L’artillerie devient de plus en plus déterminante et meurtrière, et l’industrie de l’armement devient un enjeu primordial pour les gouvernants des pays en guerre. Les fantassins deviennent avant tout des terrassiers combattants. Les pantalons rouges disparaitront bientôt et ceux qu’on appellera ensuite les « poilus » seront équipés de casques Adrian. Une partie importante de la population des régions du Nord-Est passera sous la coupe des Allemands, et dans les territoires « libres », nombreux s’éloigneront des lieux de combats permanents et deviendront des réfugiés. Les réquisitions, les déportations, les exactions, puis les destructions volontaires ou par bombardement feront aussi de cette guerre une guerre de civils.

Parce qu’une guerre ne se résume pas à la lecture des noms qui sont inscrits sur des monuments, il est important de ne pas oublier que tout humain concerné par une guerre en devient une victime, même s’il ne meurt pas ou n’est pas blessé physiquement. Qu’on lui mette une arme dans les mains ou non. La Grande guerre c’est aussi des millions de veuves, des millions d’orphelins et des millions de parents qui pleurent leurs enfants.

Nous terminerons cette dernière chronique par prendre l’exemple de deux jeunes hommes qui avaient 20 ans en 1914.

120e groupe4

Le premier était originaire de Mers-les-Bains, en Picardie maritime. Issu d’une famille très modeste et orphelin de mère, il alternait travaux des champs et activité de docker, au port du Tréport, avant d’être incorporé au 120e régiment d’infanterie de Péronne. Il ne savait ni lire ni écrire et n’était jamais sorti du canton, quand il a quitté sa commune, le 28 novembre 1913.

Le régiment ayant quitté Péronne pour la Meuse, c’est à Stenay qu’il débuta son service militaire. Le dépaysement n’était pas si fort que ça puisqu’il y retrouvait des jeunes de Mers et des communes environnantes, comme Ault, Friaucourt, Meneslies, Saint-Quentin-La-Motte… Le 22 août 1914, quand il s’est engagé avec son bataillon dans la plaine du Radan, à Bellefontaine, on ne sait pas s’il a tiré un seul coup de feu et on ne sait rien des conditions de sa mort. Il n’est jamais allé plus loin que cette plaine, et son corps y repose encore aujourd’hui. Il avait 20 ans. Il s’appelait François BECQUET.

Le second jeune homme, était âgé, lui-aussi, de 20 ans en 1914. Il était originaire d’Abbeville, dans la Somme, et effectuait, lui-aussi, son service militaire au 120e régiment d’infanterie de Péronne quand la guerre a été déclarée. Dans l’armée active, les régiments étaient composés de jeunes hommes d’un même secteur géographique, et donc, il n’était pas bien compliqué de voir ces unités comme des régiments de copains, de « pays ». Le 22 août 1914, ce jeune homme a vu tomber près de 1000 des 3000 hommes que comptait son régiment, dont beaucoup étaient originaires, comme lui, de la Somme. Dans le petit village belge au joli nom de Bellefontaine. Puis, le 6 septembre, ce fut la bataille de la Marne, à Sermaize-les-Bains, avec encore des dizaines de copains qui ne se sont pas relevés. Et puis l’Argonne, avec des combats au Bois de la Gruerie. Au printemps 1915, il s’est retrouvé à combattre à Mesnil-les-Hurlus, puis Pintheville, et encore des copains qui tombent, des gars du Vimeu, du Ponthieu. De son pays. Continue la litanie des lieux de combats, tous plus sanglants les uns que les autres. Autour de Verdun. Les Eparges, le Bois de la Caillette. Puis à l’été 1916, c’est la Bataille de la Somme, dans son département, au milieu de paysages dévastés qu’il ne reconnaît pas. Au printemps 1917, il sera au Chemin des Dames, avant de revenir début 1918 à Verdun, puis dans l’Oise, pour la Bataille de l’Ourcq, et enfin, il finira la guerre par la 2e bataille de la Marne, près de 4 ans après avoir livré la première, à Sermaize-les-Bains. Evacué plusieurs fois pour maladie ou pour blessure, il est sorti presque « indemne » de la guerre. Un doigt en moins et c’est tout ! Oserions-nous presque dire… Indemne physiquement, mais lui aussi victime. Victime d’avoir vu tomber tous ses copains, les uns après les autres, et d’avoir subi, dans son intégralité, l’horreur de la banalisation de la mort. Ce jeune homme devient ensuite un militant de la cause des plus pauvres, des laissés pour compte, puis quand la Seconde guerre montre, elle aussi, le visage de la mort, il entre dans la Résistance.

Dans les années 1950, il crée l’Amicale d’Abbeville du 120e RI car il ne voulait pas qu’on oublie tous les autres, tous ces copains qui n’avaient pas eu la chance, comme lui, de vieillir. Dans ce parcours de 4 années de guerre, c’est le premier lieu de combat, celui de Bellefontaine, en Belgique, qui lui était le plus cher. 1 homme sur 3 du régiment y avait été mis hors combat. Il ne pouvait oublier tous ces corps allongés, dans la plaine du Radan, dans leurs beaux pantalons rouges. Tous ces copains endormis ici pour toujours, comme François BECQUET… En 1966, sachant qu’il ne pourrait plus longtemps faire le voyage vers la Belgique pour assister aux cérémonies commémoratives annuelles de la fin août, il fit don du drapeau de l’Amicale à la commune de Bellefontaine, qui le garde encore précieusement. Cet homme s’appelait Marcel CAROUGE.

Dans le village de Bellefontaine, la place centrale porte le nom de « Place du 120e régiment d’infanterie française », parce que les Belges n’ont pas oublié.

Et, à proximité, on y trouve un mémorial rendant hommage à tous les jeunes de la Somme morts ici le 22 août 1914, en quelques heures seulement. 191 copains de la Somme qui avaient tous entre 20 et 23 ans.

Xavier BECQUET

Association « De la Somme à Bellefontaine – 22 août 1914 »

6 septembre 2019

Quelques éléments bibliographiques si vous souhaitez approfondir le sujet du début de la Grande guerre :

« Les Larmes Gaumettes », de Nestor Outer (Réédition par le Musée Gaumais – Virton – 2014)

« Un Samedi sanglant », de René Bastin (autoédition – 2014)

« La Bataille des Frontières », de Jean-Claude Delhez (Economica – 2013)

« Nos Héros – Morts pour la Patrie », sous la direction de René Lyr (Bruxelles – 1920)

« L’épopée du Fort de Loncin », Hugues Wenkin (Weyriche – 2018)

« Cours d’histoire militaire – La Bataille des Ardennes – étude détaillée de la journée du 22 août 1914 », Commandant Pugens (1928) – consultable sur gallica.bnf.fr

« Les armées françaises dans la Grande guerre » Ministère de la Guerre – Imprimerie nationale (1922) – Tome 1 et suivants – consultable sur gallica.bnf.fr

« Traces et Mémoires » – Le Luxembourg belge (Fédération touristique du Luxembourg belge – 2014)

« Le ballet des morts » de Béatrix Pau (Vuibert – 2016)

« Les exilés belges en France » (Racine – 2017)

Et bien sûr, tous les JMO (Journaux de Marches et Opérations) et les « Historiques » des régiments français, consultables pour la plupart du gallica.bnf.fr ou sur memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr

Merci également aux créateurs et contributeurs de nombreux sites internet qui traitent le sujet, et plus particulièrement :

www.carto1418.fr  ; www.stenay-14-18.com  ; www.chtimiste.com  ; www.sambre-marne-yser.be ; www.1914-1918.be

Sans oublier les sites des Archives départementales de la Somme, du Pas-de-Calais et de la Seine-Maritime.

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