Né le 25 décembre 1891, jour de Noël, l’enfant a été prénommé Noël.
Fils de Charles DUFOUR, cultivateur, et Irma SUEUR, Noël DUFOUR est né à Hem-Hardinval, commune de canton de Doullens dans la Somme.
Noël est le 4e enfant d’une fratrie qui en comptera dix. Vingt-trois ans séparent l’aîné, Emile né en 1885, d’Odette, la plus jeune, née en 1908. Il y a 5 garçons et 5 filles.

L’agriculture est l’activité principale dans ce village de 400 habitants. Les terres alluviales de la Vallée de l’Authie où est implantée la commune sont particulièrement fertiles. La population de Hem-Hardinval est répartie sur 5 lieux. Le chef-lieu, Hem, compte 300 habitants. Les lieux dits se nomment Hardinval, Le Risquetout, Belle-Vue et Ricquemesnil. La famille DUFOUR habite Rue du Bout à Hem.
Doullens, la grande ville voisine qui compte plus de 4 500 habitants, vit un essor industriel assez remarquable. La première des fabriques textiles s’est installée au début du XIXe siècle dans le quartier de Rouval. Reprise par les SYDENHAM, elle s’est considérablement développée. C’est une filature et retorderie de coton qui emploie plusieurs centaines d’ouvriers. Emile et Jeanne DUFOUR, les aînés de la fratrie, sont employés comme tisseurs chez SYDENHAM.

La deuxième usine textile est celle de Victor SUEUR. Elle est spécialisée dans la filature et le tissage de jute. L’usine est dotée de métiers à filer, puis complétée d’un tissage pour les toiles d’emballage. L’établissement est repris par Théodose Sueur en 1903. C’est dans cette usine, située Route d’Abbeville, que travaille Noël DUFOUR. Ses frères Louis et Georges, ainsi que sa sœur Marie-Louise sont également employés chez SUEUR comme tisseurs.

Une troisième usine s’installe à Doullens en 1902 Rue des Neuf Moulins, c’est la filature corderie des Frères Saints. En moins de 20 ans, la population de Doullens augmente de plus de 1 500 habitants grâce au textile. Chez les DUFOUR de Hem, tous les enfants travaillent, dès qu’ils en ont l’âge, dans l’une des trois usines de Doullens.

Quand la guerre est déclarée, le 3 août 1914, Noël DUFOUR est le seul de la fratrie à être sous les drapeaux. Il a été incorporé le 8 octobre 1912 au 128e Régiment d’Infanterie d’Abbeville. Ses frères aînés, Emile, né en 1885 et Louis, né en 1889, lesquels ont terminé récemment leur service militaire, sont mobilisés dès le début du mois d’août. Georges, qui a à peine vingt ans, n’est pas encore appelé. Il le sera quelques mois plus tard.
Le 128e RI quitte la caserne Courbet d’Abbeville le 5 août 1914 au matin. A 22 heures, les hommes arrivent en gare de Dun-sur-Meuse, leur terminus ferroviaire.

Les premières semaines de guerre sont meurtrières pour le 128e RI. Après l’épreuve du feu subie près de Virton en Belgique, le 22 août, deux des trois bataillons du régiment sont fortement touchés le 31 août à Fontenois dans les Ardennes. La Bataille de la Marne, quelques jours plus tard, entraîne encore de très lourdes pertes. Noël DUFOUR survit à ces premières épreuves. Mais il a vu tomber tant et tant de copains de la caserne d’Abbeville à ses côtés qu’il sait déjà que sa vie ne sera plus jamais comme avant, même si les balles et les obus l’épargnent.
Noël DUFOUR est un bon soldat. Nommé caporal en septembre, il devient sergent en novembre 1914. Il doit maintenant endosser la responsabilité de diriger un groupe d’hommes dans les combats de tranchées et quand il le faut, les emmener au combat. Les emmener à la mort.
Les hommes du 128e RI restent plusieurs mois dans la forêt d’Argonne à tenter de déloger les Allemands de leurs tranchées. Le front ne bouge plus. Les attaques et les contre-attaques ne permettent à aucun des camps de reprendre l’avantage. Les soldats deviennent avant tout des terrassiers et des bûcherons.

Début 1915, le 128e est transféré dans la Meuse. Il participe aux combats au Nord de Verdun. L’horreur devient le quotidien des soldats.
A l’été 1916, les rares rescapés du 128e sont heureux de retrouver leur terre de Somme. Les régiments picards du 2e Corps d’Armée apportent leur soutien aux troupes britanniques dans la grande offensive qui a débuté le 1er juillet, entre Ovillers-La Boisselle et Pozières, dans un bain de sang.
Noël DUFOUR est à la tête d’un petit groupe d’hommes sur le territoire de Belloy-en-Santerre. « A l’attaque du 4 septembre, il n’a pas hésité à aller poser un jalon en un endroit où plusieurs hommes venaient d’être tués par une même mitrailleuse. Noël DUFOUR a eu lui-même la jambe brisée à cette même place au moment où il accomplissait sa mission ».
Noël DUFOUR est évacué. Il est gravement blessé à la cuisse droite. Transféré vers l’arrière, il entre à l’hôpital de l’Asile du Vesinet le 12 septembre. L’amputation est inévitable. Noël ne retournera jamais plus au front. Un autre combat débute alors pour lui. Celui de vivre avec le handicap.

Il est transféré vers l’hôpital de Narbonne en avril 1918. Il y rencontre, Hélène BALLIVET, qui sera sa future épouse. Alors que la guerre est finie depuis longtemps, Noël fréquente toujours les hôpitaux. En octobre 1919, il entre au Centre d’appareillage de l’hôpital d’Amiens. Il supporte mal la prothèse qui lui a été fournie. Noël souffre.
En avril 1920, Noël se marie avec Hélène à Montpellier. Malgré son lourd handicap, il ne se plaint pas. Il est vivant et peut construire une famille. Deux de ses frères n’auront pas cette chance.
Si Emile DUFOUR, l’aîné de la fratrie, déclaré disparu au Bois de la Gruerie en octobre 1914, a été rapatrié en décembre 1918 des camps d’internement d’Allemagne où il a passé plus de quatre années, Louis et Georges ont perdu la vie pendant la guerre. Louis DUFOUR, incorporé au 128e RI, a été tué en décembre 1914 et Georges DUFOUR, du 45e RI, est mort en mai 1917 dans la Marne. Louis avait 25 ans et Georges n’avait pas encore 23 ans. Leurs noms figurent l’un après l’autre sur le monument aux morts du village où ils avaient vécu leur trop courte vie.

Parmi tous les enfants DUFOUR, seul Michel, né en 1906, est resté vivre à Hem-Hardinval à l’âge adulte. D’abord employé aux Ponts et Chaussées au lendemain de la guerre, Il est devenu agriculteur à la suite de ses parents Rue du Bout de Hem. Michel, un garçon qui avait 12 ans quand l’Armistice a été signé. Un garçon de 12 ans qui a perdu deux grands frères et qui en a vu un revenir amputé d’une jambe. Michel DUFOUR, trop jeune pour être mobilisé mais pas trop jeune pour devenir, lui aussi, une victime de la Grande Guerre.
Noël DUFOUR, amputé de guerre, est mort à Montpellier le 4 janvier 1950, à l’âge de 58 ans.
Lionel JOLY et Xavier BECQUET

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