Né le 23 février 1889, Alphonse GRAVELINE est le fils de Benoît GRAVELINE et de Louise CASTELIN.
Comme son père et son beau-père, le père de Louise, Benoît est cultivateur à Cauchy-à-la-Tour dans le Pas-de-Calais. Après leur mariage, Louise vient le rejoindre dans la ferme familiale des GRAVELINE, Rue de la Chaussée.

Ferdinand est leur premier enfant. Puis vient Alphonse, et quelques années plus tard, Claire.
Les bras des garçons, même quand ils ne sont pas encore musclés, sont un apport indéniable pour les travaux agricoles de la ferme. Cependant, même s’ils préfèrent les champs, les pâtures et les chemins de la commune, Ferdinand et Alphonse suivent avec assiduité les cours de l’instituteur public, Monsieur Pruvost. Quand ils quittent l’école, ils savent, l’un et l’autre, parfaitement lire et écrire.

Même si Ferdinand continue d’aider dans la ferme paternelle, il n’est pas suffisamment en bonne santé pour poursuivre le métier de paysan. Il devient menuisier.
Ferdinand est le premier à partir pour effectuer le service militaire. Convoqué devant le Conseil de Révision de Béthune, il est affecté au 25e Régiment d’Artillerie de Châlons-sur-Marne. Il rejoint son régiment en octobre 1908, pour servir son pays pendant deux années.

Ferdinand est mis en congé fin septembre 1910, quelques jours avant qu’Alphonse ne parte à son tour. Alphonse a été jugé apte au service armé. Il est incorporé au 150e régiment d’infanterie de Saint-Mihiel, dans la Meuse. Deux ans plus tard, c’est à son tour de connaître le retour à la vie civile.
Il retrouve ses parents, son frère et sa jeune sœur, dans la ferme familiale de Cauchy.

La vie est heureuse pour les frères GRAVELINE et l’avenir se montre serein.
En août 1913, Alphonse épouse Claire LEGRAND, une Ardennaise de Levrézy, village situé près de Bogny-sur-Meuse, territoire de cloutiers et de métallurgistes.

Le 1er août 1914, quand sonne le tocsin à l’église de Cauchy-à-la-Tour, et que le garde-champêtre passe dans les rues crier la nouvelle de la mobilisation générale, Ferdinand et Alphonse savent qu’ils vont devoir partir. Ils ont effectué depuis peu de temps leur instruction militaire et sont donc considérés comme opérationnels par l’état-major. Dès le 3 août, Ferdinand rejoint son régiment d’artillerie alors que son frère est affecté dans l’infanterie. Mais Alphonse ne repart pas à Saint-Mihiel où il a effectué son service militaire. Il doit incorporer le 128e régiment d’infanterie et rejoindre la caserne Courbet à Abbeville, à soixante-dix kilomètres de chez lui.
Le 5 août, les hommes du 128e RI quittent leurs locaux d’Abbeville, rejoints à Amiens par les compagnies casernées à la Citadelle et au Quartier Dejean, pour se rendre en train à Dun-sur-Meuse.

C’est à Meix-devant-Virton, au Sud du Luxembourg belge, que le 128e RI connaît son épreuve du feu. Le 22 août, le général Joffre a donné l’ordre aux 3e, 4e et 5e Armées françaises de lancer l’offensive en Belgique pour y chasser l’ennemi. Les régiments du 2e Corps d’Armée de la région militaire d’Amiens font partie de la 4e Armée du général Langle de Cary. C’est dans le secteur belge de Virton, au nord de Montmédy, que les régiments picards sont positionnés. Le 128e vient en appui des troupes de la 3e Armée qui tente de reprendre aux Allemands les points d’observation situés sur les hauteurs de Virton. Une trentaine de jeunes hommes du 128e sont touchés. Quatorze ne se relèvent pas.
Le résultat de l’offensive du 22 août 1914 est un terrible échec. Plus de 25 000 jeunes Français y laissent la vie. La retraite s’impose.
A partir du 25 août, les armées qui avaient combattu près des frontières belge et luxembourgeoise se replient pour rejoindre la Marne. Cette retraite s’accompagne de nombreux combats.

Dans la nuit du 30 au 31 août, les commandants des 2e et 3e bataillons du 128e RI stationnés pour la nuit à Autruche, petit village des Ardennes, reçoivent l’ordre d’envoyer leurs hommes au hameau de Fontenois, pour y livrer un combat en direction du village de Saint-Pierremont où les premiers éléments du 18e Corps d’Armée allemande ont déjà été localisés.
A deux heures du matin, ils quittent Autruche. Après trois kilomètres de marche, les hommes du 128e RI prennent position à Fontenois, au pied des talus, près du chemin qui mène vers la colline surplombant Saint-Pierremont. A cinq heures, l’ordre est donné de gravir la pente pour atteindre les hauteurs où une batterie d’artillerie du 42e RA a été installée dans la nuit. Les Français déclenchent les tirs en direction des habitations et des granges où les Allemands se reposent. Le but est de les faire quitter Saint-Pierremont et de se lancer à leur poursuite vers le Nord.
Si les Allemands, surpris par les premiers tirs d’obus, sortent bien des maisons, ils organisent très rapidement la riposte. Loin de se lancer dans un combat de fantassins vers les hauteurs de Saint-Pierremont, ils utilisent les canons de 5 batteries d’artillerie bien positionnées et parfaitement opérationnels en direction des gars du 128e RI. Sans aucun moyen de se protéger, les Français, en haut de la colline, deviennent des cibles faciles à atteindre. La seule batterie française est vite neutralisée. Les hommes subissent des bombardements d’une violence inouïe sans avoir d’autre alternative que de tenter de s’enfuir vers Fontenois ou… de prier.

Les conséquences des tirs de l’artillerie ennemie sont terribles. Les morts sont nombreux. Les blessures par éclats sont très graves. Les rescapés qui peuvent encore marcher se réfugient dans le hameau de Fontenois. Au pied des talus protecteurs.
Certains sous-officiers tentent de lancer leurs hommes à nouveau vers les hauteurs pour y déloger les fantassins allemands qui en prennent peu à peu possession. Beaucoup refusent de monter. Le combat devient complètement disproportionné, d’autant que les renforts d’artillerie espérés n’arrivent pas. Bloqués à Harricourt par des tirs de l’artillerie allemande positionnée à l’ouest de Fontenois, sur les hauteurs près de Authe et d’Autruche, les artilleurs français appelés en renfort font demi-tour. Ils ont perdu plusieurs des leurs.
A Fontenois, en fin de matinée, le village est rouge de sang.

Parmi les victimes, six sont originaires du Pas-de-Calais. François COUTURAUD, d’Arras, Jules BATAILLE, de Nielles-les-Blequins, François MOUTON, de Pernes-les-Artois, Louis PRUDHOMME d’Outreau, Jules RIQUART, de la Capelle-Fremont. La 6e des victimes est le fils de Benoît GRAVELINE, le cultivateur de la Rue de l’Eglise à Cauchy-à-la-Tour.
Alphonse GRAVELINE, le jeune homme aux cheveux châtains et aux yeux gris, est mort. Il avait 25 ans.


Ferdinand, son frère, a survécu à la guerre. Après avoir participé à la guerre de mouvement d’août et de début septembre 1914, dans la Marne, sa batterie d’artillerie a été envoyée combattre dans les territoires envahis du Nord et du Pas-de-Calais. Fait prisonnier le 25 octobre 1914, à Douai, il a vécu la suite de la guerre en Allemagne, en camp d’internement. Rapatrié quelques jours après la signature de l’Armistice, le 21 novembre 1918, il se marie, en décembre, à Paris, avec Anna.

Démobilisé en mars 1919, Ferdinand habite à Champigny-sur-Marne avec son épouse. Le jeune couple n’y reste que peu de temps et vient s’installer dans le département du Nord. Ferdinand exerce le métier de menuisier aux Etablissements Fleuret à Douai. En 1933, il quitte le Nord pour revenir dans son département de naissance, le Pas-de-Calais. Ferdinand GRAVELINE devient fermier pour Monsieur le Comte de PROYART à Morchies. C’est dans la ferme que naît Monique, venant compléter une fratrie composée de trois filles et d’un garçon. Les filles se prénomment Marie-Louise, Jeanne et Eliane. Ferdinand a souhaité donner le prénom d’Alphonse à son seul et unique fils, né en 1920. En souvenir du seul frère qu’il avait et que la guerre lui a enlevé.
Claire LEGRAND, la jeune veuve d’Alphonse, a quitté le Pas-de-Calais. Elle est retournée vivre dans sa région d’origine et s’est remariée, en 1921, avec un mécanicien-diéséliste de Charleville. Alphonse GRAVELINE et Claire LEGRAND n’avaient pas eu d’enfant.
Ferdinand GRAVELINE est décédé à Morchies le 16 janvier 1963 à l’âge de 75 ans.
Le nom de son frère cadet, Alphonse GRAVELINE, est inscrit sur le monument aux morts de Cauchy-à-la-Tour.

Un mémorial inauguré le 29 août 2021 dans le hameau de Fontenois rend hommage à Alphonse et à ses copains qui ont combattu ici et dont au moins 140 ont perdu la vie. Une plaque commémorative a été fixée sur un vieux calvaire au centre du hameau. Tous les jeunes hommes qui se sont élancés vers les hauteurs du village pour livrer un combat qu’ils ne savaient pas encore perdu d’avance sont passés devant ce calvaire, le 31 août 1914 au matin.
Pour que ce mémorial soit le plus présentable possible avant la cérémonie d’inauguration, c’est Philippe DEGROOTE, petit-neveu d’Alphonse GRAVELINE, qui a effectué les travaux de restauration du calvaire. Un bel hommage pour honorer le souvenir de son grand-oncle Alphonse GRAVELINE. Un jeune homme du Pas-de-Calais qui n’a jamais pu vieillir. Un garçon de 25 ans dont le corps repose pour toujours dans les Ardennes.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET


Illustration en tête d’article : Alphonse GRAVELINE (collection privée)
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