ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – Les 5 copains d’Harbonnières

Né le 12 juin 1892, Julien LEDOUX est le fils de Théophile LEDOUX et de Flore COTTINET.

Le père est originaire d’Harbonnières et la mère du village voisin, Guillaucourt.

La famille réside Rue de Béthisy. Théophile est manouvrier public. Julien LEDOUX est l’aîné de la fratrie. Un frère cadet prénommé Henri naît cinq ans plus tard.

La commune d’Harbonnières compte environ 1 800 habitants à la fin du XIXe siècle. La population y est assez jeune. L’industrialisation de la bonneterie et les deux importantes brasseries installées dans la commune ont attiré de nombreux jeunes couples en recherche d’emploi. Les enfants sont nombreux.

En fréquentant les mêmes bancs dans l’école de Monsieur HEUDUIN, l’instituteur public et en assistant ensemble aux offices dominicaux de l’abbé DELAFOSSE en l’église Saint-Martin – l’une des plus vastes du Santerre – les garçons en culotte courte qui ont 8 ans en l’an 1900 n’imaginent pas que la guerre les réunira à nouveau à l’âge adulte. Un tragique destin que l’insouciance de la jeunesse ne laisse pas entrevoir. Heureusement !

Julien LEDOUX a une quinzaine de copains de son âge dans la commune. Leurs parents sont agriculteurs, ouvriers agricoles, tricotiers, bonnetiers, employés de brasserie. Il y en a également qui sont manouvriers ou journaliers, changeant d’activité régulièrement et passant d’une fabrique à une ferme en fonction des besoins et de la saisonnalité. A l’adolescence, les garçons trouvent facilement du travail à Harbonnières. Julien LEDOUX devient manouvrier comme son père.

A 20 ans, les garçons qui résident encore dans la commune sont convoqués ensemble pour passer devant le Conseil de Révision de Rosières. Ceux qui sont jugés aptes reçoivent ensuite leur affectation pour le service militaire obligatoire. Julien a la bonne surprise de constater que 4 de ses copains vont rejoindre, comme lui, le 120e Régiment d’Infanterie. Ce régiment est caserné à Péronne, ville distance d’une vingtaine de kilomètres seulement d’Harbonnières. Avec la présence des copains d’enfance, les deux années du service militaire ne vont pas être si difficile que ça. Et comme Julien ne sait pas bien lire et écrire, la présence des copains du village pourra être encore plus précieuse.

Le 8 octobre 1913, Henri FRIANT, de la Rue de Béthisy, Georges DEMAITRE, de la Rue de Morcourt, Léon DELAROZEE et Albert DUMONT, de la Rue d’Amiens quittent à pied leur village, en compagnie de Julien LEDOUX, en direction du village voisin de Guillaucourt. Une gare sur la grande ligne de chemin de fer reliant Amiens à Tergnier y est installée. Les 5 copains qui s’attendaient à se rendre à la caserne Foy de Péronne ont eu la désagréable surprise d’apprendre le transfert du 120e vers le département de la Meuse. Le train de Guillaucourt va donc les emmener beaucoup plus loin que Péronne. Dans quelques heures, ils s’installeront dans la caserne Chanzy de Stenay, près de la frontière avec la Belgique.

L’autre désagréable nouvelle c’est qu’ils vont manquer la grande foire d’automne d’Harbonnières, celle programmée chaque année… le 9 octobre.

422 jours. Quand le soleil se lève, le 3 août 1914, moins de dix mois après leur arrivée, les jeunes hommes savent qu’il leur reste 422 jours avant la libération. Dès l’entrée à la caserne, le décompte a débuté. Il en est ainsi de chaque classe d’âge depuis de nombreuses années.

Mais le 3 août 1914, la principale préoccupation n’est pas celle du décompte des jours vers la vie civile. Les officiers transmettent aux soldats l’information que chacun craignait. L’Allemagne a déclaré la guerre à la France. Des mouvements de troupes ennemies ont déjà été signalés à proximité de la frontière avec l’Alsace. Le 4 août, les troupes du Kaiser Guillaume II entrent en Belgique. Dans quelques jours, l’affrontement est inévitable. Les jeunes du 120e RI casernés au Nord du département de la Meuse savent qu’ils seront en première ligne.

Le 21 août, le 120e franchit la frontière répondant aux ordres du général Joffre. Le Commandant en chef des Armées veut que les troupes françaises repoussent les Allemands et les chassent du territoire belge.

Le 22 août au matin, dès l’aube, les 3 000 hommes du 120e quittent le village de Meix-devant-Virton pour rejoindre le plateau de Bellefontaine. L’état-major pensait que l’ennemi était positionné quelques kilomètres plus loin. Il n’en est rien. L’effet de surprise est dévastateur. Les mitrailleuses et l’artillerie allemande surprennent les jeunes fantassins au pantalon rouge dans la plaine du Radan, près du village de Bellefontaine.

 Henri FRIANT et Léon DELAROZEE sont tués. Georges DEMAITRE est blessé par balle au mollet droit.

Albert DUMONT et Julien LEDOUX sont indemnes. Indemnes mais profondément traumatisés.

La blessure de Georges DEMAITRE n’est pas suffisamment grave pour le contraindre à rester sur place comme plusieurs centaines d’autres copains blessés. Georges DEMAITRE est évacué vers la France où il est soigné dans un hôpital situé loin des zones de combats. En attendant le rétablissement qui l’enverra à nouveau sur le Front de l’Est de la France.

Le 120e RI est décimé suite aux combats de Bellefontaine. Il a perdu plus de 1 000 hommes. Mais la guerre n’est pas finie pour les survivants. Après une retraite de plusieurs jours à travers les départements de la Meuse et des Ardennes, le 120e participe à la Bataille de la Marne dans le secteur de Sermaize-les-Bains.

L’horreur continue. Les morts du régiment se comptent par dizaines. Des morts qui étaient encore, quelques semaines plus tôt, des jeunes hommes pleins de vie. Des jeunes hommes qu’on croisait régulièrement dans la caserne Chanzy. Des morts qui ont un visage pour Albert et Julien.

Quelques jours plus tard, la guerre s’enterre. Le 120e RI est envoyé dans le Bois de la Gruerie pour y déloger les Allemands. La guerre de tranchée débute. Albert DUMONT est gravement blessé dès les premières heures de combat. Transféré vers l’hôpital de Sainte-Menehould, il y décède des suites de ses blessures le 26 septembre.

Quand Georges DEMAITRE, guéri de sa blessure, est à nouveau envoyé au front avec son régiment d’origine, il n’y retrouve plus qu’un seul copain d’Harbonnières. Pour Julien LEDOUX et Georges DEMAITRE la guerre n’est pas encore finie…

Le froid, l’humidité, la boue, l’attente, la peur. Les hommes du 120e souffrent. Le 17 janvier 1915, Julien LEDOUX est évacué vers l’hôpital de Carcassonne pour œdème des pieds. Après quatre mois d’hospitalisation et de convalescence, il rejoint à nouveau son régiment pour y poursuivre le combat. Quand il revient, Georges DEMAITRE n’y est plus. Victimes de plaies multiples aux yeux, à Mesnil-les-Hurlus en mars 1915, Georges a été évacué vers l’arrière.

Les évacuations suivies de retours au front se succèdent pour les deux copains d’Harbonnières.

Georges DEMAITRE est blessé au talon gauche, puis il reçoit un éclat d’obus dans la cuisse gauche. Certaines blessures vont être guéries. Pas toutes. Georges DEMAITRE survit à la guerre mais perd l’usage de son œil droit.

Julien LEDOUX, évacué à plusieurs reprises pour maladie, est gravement blessé le 27 juin 1917 par éclat de grenade dans le crâne. Hospitalisé dans les Vosges, à Bussang puis à Epinal, Julien est envoyé ensuite au dépôt. Il ne partira plus combattre. La commission de réforme d’Ancenis le juge inapte à reprendre le combat.

Dans cette tragédie qu’est la guerre de Julien, le destin lui offre une page de bonheur. Affecté à Ancenis où le dépôt du 120e est installé depuis le début de la guerre, Julien y rencontre Louise qu’il épouse à la fin du printemps 1918.     

Julien LEDOUX est réformé temporairement pour « trépanation de la région rolandique » puis réformé définitivement à la fin de la guerre.

Survivant de la Grande Guerre, son nom n’est donc pas inscrit sur le monument d’Harbonnières.

Julien est pourtant une victime de guerre. Victime dans sa chair et dans son âme. La vie de Julien est remplie de crises d’épilepsie (« une crise tous les 8 jours » !), de pertes de connaissance fréquentes, de céphalées violentes, de parésie du bras droit. Et ses nuits cauchemardesques hantées de tant de visages de jeunesse ! Son jeune frère Henri, unique autre membre de la fratrie, est mort de ses blessures de guerre le 18 novembre 1917 à l’âge de 20 ans. Son nom est inscrit aux côtés de ceux des copains Henri FRIANT, Léon DELAROZEE et Albert DUMONT.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET

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