ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – René RABACHE d’Harbonnières

Né le 14 juin 1891, René RABACHE voit le jour à Amiens. Pourtant, c’est bien à Harbonnières, village du Santerre, qu’il passe la plus grande partie de sa vie.

Au milieu du XIXe siècle, les tricotiers à domicile étaient très nombreux à Harbonnières. Mais à l’époque où naît René, ils deviennent rares. Avec la mécanisation, le travail n’est plus réalisé dans les petits ateliers particuliers mais dans des usines rassemblant plusieurs centaines d’ouvriers. Les conditions de travail y sont difficiles mais le revenu est régulier. Après la journée à l’usine, les femmes rentrent à la maison et les hommes se retrouvent souvent entre copains, dans un débit de boisson. Il y a 34 cafés à Harbonnières à cette époque pour 1 800 habitants. A côté de l’usine BOULY,  où travaillent plus de 150 ouvriers, il y a un cabaret. On dit qu’on y consomme plus de 35 litres d’eau-de-vie par jour !

L’esprit d’entreprise emmène Jules RABACHE vers Amiens. Il y dirige un café-concert. Jules réside Avenue Foy près de la caserne Friant. Près d’une usine ou près d’une caserne, les débits de boissons n’ont pas de difficulté à trouver des clients. Angèle, la fille de Camille PEZE, originaire d’Harbonnières comme lui, le rejoint.

L’amour fait le reste ! René naît à Amiens en juin 1891. L’avenir aurait pu être radieux pour la petite famille. Cependant, la situation de Jules le contraint à quitter son emploi avec précipitation. Ils retournent à Harbonnières. Jules devient voyageur de commerce. La fratrie s’agrandit rapidement avec l’arrivée de Gustave en février 1893 et d’Yvonne en février 1894. Les parents ne sont pas mariés, toutefois les enfants portent le patronyme de leur père qui les a reconnus.

Jules n’est jamais là. Angèle élève seule ses trois enfants. Elle habite chez ses parents, Camille et Aimée, Rue de Morcourt. Camille est marchand de peaux. Jules ne revient pas souvent voir ses enfants.

Angèle doit travailler pour nourrir ses petits. Tout naturellement, c’est vers l’usine de bonneterie BOULY qu’elle se tourne. Ses enfants, Gustave et Yvonne, dès qu’ils ont atteint l’âge de 12 ans, l’y rejoignent. René RABACHE, l’aîné de la fratrie est manouvrier public, une forme d’ « homme à tout faire » de la commune.

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Quand René est convoqué devant le Conseil de Révision, son père Jules est mort depuis plusieurs années. René, considéré comme soutien de famille, bénéficie d’un sursis. Il n’est appelé que début octobre 1913… en même temps que son frère cadet, Gustave.

René est incorporé au 87e Régiment d’Infanterie de Saint-Quentin, dans l’Aisne, et Gustave, au 72e Régiment d’Infanterie d’Amiens, dont la caserne, Avenue Foy, est proche du premier domicile familial.

Les premiers mois sont assez agréables. Ils peuvent, l’un et l’autre, retrouver de nombreux jeunes d’Harbonnières et des villages aux alentours. Beaucoup de jeunes du secteur sont affectés soit au 72e, soit au 120e de Péronne, soit au 87e de Saint-Quentin.

Dèbut août 1914, avec la guerre qui se prépare, le régiment de René, le 87e RI, se rapproche de la frontière belge. Le 20 août, le 1er bataillon du régiment est complètement décimé. Envoyé en appui d’une mission de reconnaissance, il rencontre une vive opposition allemande à Neufchâteau, dans le Luxembourg belge. René n’est pas incorporé dans ce régiment. La chance va-t’elle lui sourire encore longtemps ? Le 22 août, les 2e et 3e bataillons combattent à proximité de Virton, à Hourdrigny plus précisément. Les pertes sont importantes. René est indemne.

Dans les premiers jours de la Retraite de l’Armée française vers la Marne, dans le secteur de Cesse près de Stenay dans la Meuse, le 87e RI comme tous les régiments du 2e Corps d’Armée d’Amiens a ordre d’arrêter la progression allemande. Les 27 et 28 août, les pertes sont nombreuses. Malgré la défense des Français, l’ennemi continue sa progression vers les Ardennes. A Raucourt, au sud de Sedan, René RABACHE est blessé à la main droite, par balle. Il doit être évacué.

René RABACHE ne peut plus combattre. Est-ce la fin de la guerre pour lui ? La blessure est grave.

René RABACHE est transporté d’hôpital en hôpital. Il fréquente de nombreux centres de convalescence. Mais rien n’y fait. Sa main est définitivement « morte ». Il est réformé temporairement en août 1916. Réforme confirmée l’année suivante. Il rentre dans ses foyers, dans un secteur du département de la Somme qui vient juste d’être abandonné par l’occupant allemand.

C’est à Harbonnières qu’il vit la fin de la guerre. En civil et handicapé de la Grande Guerre. Une pension définitive de 65% lui est attribuée pour « impotence fonctionnelle de la main droite, avec paralysie et douleurs irradiées dans tout le membre ».

Le 23 août 1920, arrive par l’intermédiaire de Monsieur MISERON, le maire, la nouvelle que René et sa mère, Angèle, redoutaient depuis longtemps tout en entretenant un mince espoir. Gustave, le frère cadet de René, est officiellement considéré comme mort. Il a été tué le 4 mai 1917 à La Neuville, dans la Marne. Angèle est effondrée. Après avoir perdu son mari, son père et vu revenir son fils aîné handicapé, elle pleure maintenant son deuxième fils. En quelques années, le ciel s’est effondré sur les frêles épaules d’Angèle.

René n’abandonne pas sa mère. Angèle et son fils vivent chez Aimée Veuve PEZE, la grand-mère, Rue de Morcourt.

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Quelques années plus tard, René trouve un logement dans la même rue. Déclaré mutilé, il est locataire chez Alphonse DELLATRE, garde particulier.

Toujours sans emploi dans les années 1930, il occupe seul un logement dans la Rue de Morcourt qu’il n’a presque jamais quittée, avec Marie, sa bonne. Sa maigre retraite de mutilé ne suffit pas pour vivre dignement. Il prend régulièrement des locataires. Les nouveaux embauchés de l’ancienne usine BOULY, devenue une usine de produits chimiques, sont nombreux à chercher un logement en arrivant à Harbonnières.

Il a suffi d’une balle pour que la vie de René RABACHE soit gâchée. Une seule balle. Dans cette ville d’Harbonnières où l’activité économique était florissante pendant la première moitié du XXe siècle, il n’aurait pas eu de difficulté à trouver un bon emploi dans l’industrie.

Encore fallait-il pouvoir se servir de ses deux mains ! Tous les appareillages, même les plus modernes, n’ont pas remplacé les membres perdus…

Consolation tardive pour lui, René RABACHE ne termine pas seul cette triste vie de mutilé. A 50 ans passés, il trouve enfin l’âme sœur et épouse Jeanne à Harbonnières en 1943.

Il peut alors prendre conscience de la chance qui est la sienne. Celle d’avoir échappé à la mort le 28 août 1914. A quelques centimètres près, tout aurait pu prendre fin. Même mutilé, il peut vivre vieux et être heureux avec Jeanne. 64 jeunes hommes d’Harbonnières n’ont pas eu cette chance. Ils n’ont pas survécu à la Grande Guerre. Ils ne vieilliront pas.

Parmi les 64, il y a Gustave, son jeune frère, dont le nom est inscrit sur le monument aux morts d’Harbonnières. Depuis ce funeste jour du 4 mai 1917, Gustave a 24 ans pour toujours.

René RABACHE est mort le 9 novembre 1957 à l’âge de 66 ans.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET

« De la Somme à Bellefontaine – 22 août 1914 » – recherche collaborative 1891, 1892, 1893 – Département Somme.  André MELET a réalisé la collecte de données pour la commune d’Amiens et Didier BOURRY la collecte pour la commune d’Harbonnières.

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