Né le 16 mars 1892, Maurice TURQUET est le fils Charles et de Marie TURQUET.
Maurice est le premier enfant du couple. Fils de cultivateur, Charles est devenu également fermier. La famille TURQUET réside Rue des Alloires à Bray-sur-Somme.

La commune est un chef-lieu de canton de l’Est du département de la Somme situé à 19 km de Péronne et 32 km d’Amiens. A l’époque où naît Maurice, l’activité économique du bourg de 1 300 habitants est essentiellement liée à l’agriculture. Les principales cultures sont celles des céréales et des betteraves à sucre. Le fleuve Somme longe le territoire de la commune, servant de limite avec la commune de La Neuville-les-Bray située sur l’autre rive. Le fleuve et les terrains marécageux qui le bordent, apportent leur lot de richesses pour la population, les principales étant la tourbe et les nombreux poissons écoulés majoritairement sur le marché d’Albert.

Après Maurice, deux sœurs complètent la famille. Angélina naît en 1893 et Marthe en 1899. Maurice est destiné à prendre un jour le relais de son père. Les TURQUET sont fermiers à Bray depuis plusieurs générations.
Mais dans ces dernières années du XIXe siècle, Maurice est encore un enfant. S’il apporte son aide notamment pour la basse-cour, il a aussi de nombreuses occupations de son âge. Maurice suit avec assiduité les cours de Monsieur PAUCQUET, l’instituteur public et assiste, avec non moins d’assiduité, aux offices dirigés par l’abbé CARTON.

Pour les copains, il n’y a pas bien loin à aller. Camille DEHAN, Gilbert VERPILLAT, Palmir WANEGUE et Alfred DEMARQUAY habitent eux aussi dans la Rue des Alloires, petite voie où réside une dizaine de familles seulement. Moins de quatre années séparent Maurice, le plus âgé de la bande, de Palmir, le benjamin.
Camille DEHAN est le fils du charpentier. Le père de Gilbert VERPILLAT est ouvrier agricole. Palmir WANEGUE est le petit-fils du garde champêtre, Palmir LETURCQ. Palmir est orphelin. Il vit avec sa mère chez son grand-père, dans leur petite maison de la Rue des Alloires. Quant à Alfred DEMARQUAY, il est cousin germain de Maurice TURQUET. Les TURQUET et les DEMARQUAY tiennent les deux seules fermes de la rue. Les cinq copains ne sont pas toujours ensemble, mais dans la Rue des Alloires il est rare de ne pas voir la petite bande au complet. La famille de Gilbert VERPILLAT quitte la région quelques années, mais à l’adolescence Gilbert peut retrouver ses quatre copains de Bray.

Maurice TURQUET est un très bon élève. Ses parents l’inscrivent au collège de la Providence, à Amiens, pour y suivre des études supérieures. Il pourrait devenir fermier, bien sûr, mais qui sait s’il n’a pas les capacités, un jour, de remplacer Monsieur WARMEL, le pharmacien ? Monsieur SAILLY, le percepteur ? ou Messieurs les docteurs FLOUR et LECOCQ, les médecins de Bray ?
Adolescent, Camille DEHAN travaille avec son père comme charpentier, Gilbert VERPILLAT est ouvrier agricole, comme l’est son père, allant de ferme en ferme. Le cousin Alfred DEMARQUAY travaille dans la ferme de ses parents. Quant à Palmir WANEGUE, il n’est pas garde-champêtre comme son grand-père, mais apprenti maréchal-ferrant.

A la fin de ses études, Maurice revient dans la ferme familiale. Il ne sera ni pharmacien, ni percepteur. Maurice TURQUET va devenir fermier.
Le 8 octobre 1913, Maurice TURQUET prend le train pour se rendre à Amiens. Il est affecté au 128e Régiment d’Infanterie pour y effectuer les deux années de service militaire obligatoire. A la Citadelle d’Amiens, où sont casernés deux bataillons du 128e RI, Maurice retrouve de nombreux jeunes hommes venus du canton de Bray. Maurice est affecté à la 6e Compagnie du 2e Bataillon. Ses copains de la Rue des Alloires ne sont pas encore en âge d’être incorporés, mais leur tour viendra aussi. Chaque homme doit donner deux ans de sa vie pour se préparer à défendre son pays.

Le 1er août 1914, la mobilisation générale est décrétée. Maurice écrit à ses parents : « Quoiqu’il arrive, dites-vous bien que si je pars avec le regret de vous laisser sans avoir pu vous embrasser une dernière fois, je ne connais pas le désespoir. Le plus dur sera pour vous. Nous, nous sommes entraînés ». Il poursuit : « Nous avons une dette à acquitter à la patrie. Je suis désigné pour la payer (…) Courage parce que si un malheur arrivait, nous aurons l’espérance de nous revoir au Ciel ».
Le 5 août, sans avoir revu ses parents, Maurice quitte Amiens avec tous les hommes du 128e RI. Ils partent en direction de Dun-sur-Meuse, terminus d’un long voyage de neuf heures dans un train rempli de militaires.

Le 22 août, le 128e RI participe à la grande offensive le long de la frontière belge voulue par le général Joffre, chef des Armées françaises. Le régiment vient en soutien de plusieurs unités de l’Ouest de la France, lancées à l’attaque des Allemands positionnés sur les hauteurs de Virton en Belgique. Les combats sont particulièrement meurtriers pour les Français. Plusieurs hommes du 128e RI sont tués et plusieurs dizaines d’autres sont blessés. C’est l’épreuve du feu pour Maurice et ses compagnons de combat.
Les combats du 22 août 1914 menés le long de la frontière ont provoqué la mort d’au moins 25 000 jeunes Français. La retraite générale est alors rapidement ordonnée par l’état-major. L’objectif est de réorganiser l’Armée française et de positionner tous les hommes en capacité de se battre au Nord et à l’Est de Paris.
Le 24 août, Maurice écrit à ses parents. Il s’inquiète de n’avoir pas reçu de nouvelles de leur part depuis près de 15 jours. « Nous avons eu quelques jours pénibles. Mais on n’a rien sans peine et nous ne sommes pas là pour nous amuser toujours. On rit quelquefois quand même » glisse-t-il dans sa lettre.

Le 128e RI traverse le fleuve Meuse le 28 août puis entre dans le département des Ardennes qu’il doit totalement traverser. L’objectif des régiments de la région militaire d’Amiens est de prendre position dans le secteur de Vitry-le-François, dans la Marne.
Le 28 août, sans dévoiler de secrets militaires, Maurice raconte à sa famille le baptême du feu vécu quelques jours plus tôt. « Nous avons approché de l’ennemi. Nous l’avons même senti de très près ». Il termine sa lettre par « En ce moment, je vous écris de France, car nous n’y sommes point toujours restés. Et nous sommes en paix ».
Le 128e continue sa marche vers le Sud des Ardennes. Le dimanche 30 août, il écrit « Nous avons souffert de la chaleur hier, mais avons passé une bonne nuit. Nous faisons jusqu’alors la guerre avec nos jambes ». Les hommes sont fatigués. Le 128e est désigné pour attendre l’ennemi lancé à la poursuite des troupes françaises dans le secteur de Saint-Pierremont et d’Autruche. Le 31 août, à 2h45 du matin, ordre est donné à deux bataillons du 128e RI de progresser vers le hameau de Fontenois puis de lancer une attaque vers Saint-Pierremont où des éléments de l’infanterie allemande ont été signalés. Les 2e et 3e bataillons se dirigent vers Fontenois. La 6e Compagnie de Maurice TURQUET va participer au combat. A 6 heures, les Français quittent le hameau de Fontenois et s’élancent vers les hauteurs de Saint-Pierremont pensant pouvoir y déloger les fantassins allemands quand cinq batteries d’artillerie ennemies se mettent en action.

Les jeunes Français qui avaient atteint le haut de la colline sont massacrés. Les morts se comptent par dizaines et les blessés par centaines. Les blessures par éclats d’obus sont graves.
Les rescapés quittent rapidement le secteur abandonnant sur place les blessés les plus graves. Les Allemands repartent vers le village de Saint-Pierremont laissant, pendant quelques heures, les brancardiers français aidés par les habitants de Fontenois relever les blessés sur le champ de bataille.

Maurice TURQUET est transporté vers la grange où l’équipe médicale du régiment dirigée par le Docteur FROMONT s’est installée. Il est gravement blessé.
Alors que les médecins déploient toute leur énergie pour sauver des vies, y compris par des amputations de fortune, ils savent que tous ne pourront survivre. Le lendemain, les troupes allemandes font prisonniers les membres de l’équipe médicale et décident de capturer également les blessés qu’ils chargent dans des charrettes pour les emmener en Allemagne.
Maurice TURQUET meurt de ses blessures, à l’âge de 22 ans. La veille il terminait la lettre envoyée à Bray par « Je vous réunis tous dans un affectueux baiser. Envoyez de mes nouvelles à tous nos parents et amis ».
Pendant toute la guerre, la famille TURQUET a espéré le retour de Maurice. C’est seulement en août 1919, par le courrier d’un camarade de Maurice, blessé comme lui le 31 août 1914, que ses parents ont connu la tragique fin de leur fils.

Dans la Rue des Alloires à Bray-sur-Somme, beaucoup de larmes ont coulé. Chacune des dix familles a été profondément touchée. Chez les DEHAN et chez les DEMARQUAY, la mort a frappé également. Camille DEHAN et Jules DEMARQUAY, les copains d’enfance de Maurice, ont été tués. Gilbert VERPILLAT est revenu… avec le bras droit en moins. Seul Palmir WANEGUE, le plus jeune de la bande des cinq, est rentré indemne physiquement. Indemne mais portant d’autres cicatrices dans le fond de son âme.
La vie n’a plus du tout continué comme avant pour les familles qui habitaient avant la guerre la Rue des Alloires.

Chez les TURQUET, le seul fils disparu a laissé un vide que rien n’a jamais pu combler, même si tout l’amour des deux sœurs continuait à entourer les parents. Angélina, la sœur aînée, a épousé Maurice BRIAULT, rescapé de la Grande Guerre, avec qui elle a eu deux enfants, Jean et Mauricette. Angélina et Maurice BRIAULT sont devenus fermiers à Bray. Marthe, la cadette, a choisi une toute autre voie. Elle est devenue religieuse.
Sur le monument aux morts de Bray-sur-Somme, sur le plaque commémorative de l’église Saint-Nicolas et sur la plaque fixée dans la mairie de leur commune, le nom de trois garçons de la petite Rue des Alloires est gravé pour toujours. Alfred DEMARQUAY, 20 ans, Camille DEHAN, 22 ans et Maurice TURQUET, 22 ans.


Lionel JOLY et Xavier BECQUET
Merci à Jean KRAWIEC et à Anne et Hubert DELPLANQUE pour leur contribution
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Alcide VEILLY d’HARDECOURT-AUX-BOIS
Lucien TOURNEL de DOMPIERRE-BECQUINCOURT
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