ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – deux rescapés de la Classe 1911

Né le 9 octobre 1891, Léonard BERQUIN est le fils d’Octave BERQUIN et d’Augustine COLASSE.

Les familles BERQUIN et COLASSE sont originaires de Noyelles-sur-Mer, commune du canton de Nouvion-en-Ponthieu dont une partie du territoire borde la Baie de Somme. Les parents d’Octave BERQUIN étaient fermiers dans la Rue Basse Boulogne à Noyelles. Augustine COLASSE a grandi dans la ferme de ses parents Rue de Bas, dans le hameau de Nolette.

A l’âge de 8 ans, Augustine a perdu son père. C’est sa mère, Clarisse née MAUPIN qui a repris l’exploitation. En l’absence d’un père et n’ayant ni frère ni sœur, Augustine a passé toute sa jeunesse dans la ferme à aider sa mère. Quand l’amour est venu frapper à la porte, alors qu’elle avait 18 ans à peine, Augustine n’a pas hésité. Octave et Augustine se sont mariés le 22 juin 1881. Un premier garçon, Gustave, est né en 1881 puis un second, dix ans plus tard, prénommé Léonard.

La jeunesse de Léonard est emplie d’amour. Dans l’ancienne ferme des COLASSE de la Rue de Bas à Nolette, Léonard connaît une heureuse vie d’enfant de la campagne entouré par ses parents et sa chère grand-mère Clarisse.

Si le hameau de Nolette est considéré comme un village à part entière par ses 150 habitants – il faut dire qu’il y avait même autrefois une église – c’est au chef-lieu de Noyelles que Léonard va à l’école. Comme les élèves sont majoritairement des fils d’agriculteurs, la salle de classe de Monsieur WARIN semble parfois bien vide quand les travaux des champs exigent de la main d’œuvre abondante.  

L’agriculture est l’activité principale. On cultive du blé, de l’avoine, du seigle, du sainfoin et du trèfle. Au début du XXe siècle, la culture de la betterave prend une grande extension. Les racines sont envoyées vers les sucreries de Rue et d’Abbeville. Les pâturages des salines sont recherchés pour l’élevage des bœufs et des moutons dont la chair est appréciée des connaisseurs.

La commune de Noyelles dispose d’une gare sur la ligne de chemin de fer qui relie Paris à Boulogne-sur-Mer avec une correspondance pour les voyageurs vers la Baie de Somme. Le chemin de fer économique permet, au départ de Noyelles, de se rendre au Crotoy, à Saint-Valery ou à Cayeux-sur-Mer.

C’est à la gare de Noyelles que Léonard BERQUIN se rend le 9 octobre 1912. Ses copains de la Classe 1911 prennent le train pour partir au service militaire. Il accompagne Amédée BRAILLY, Moïse DEMEYERE et son cousin Alphonse COLASSE. Maurice MEIGNAN, arrivé depuis peu dans la commune, se joint au petit cortège. Amédée BRAILLY, Alphonse COLASSE et Maurice MEIGNAN sont affectés au 120e Régiment d’Infanterie de Péronne alors que Moïse DEMEYERE au 9e Régiment de Cuirassiers de Noyon.

Léonard BERQUIN n’est pas du voyage. Le Conseil de révision de Nouvion l’a exempté de service militaire pour raison médicale. Le sentiment est mitigé dans la tête de Léonard, heureux de ne pas devoir quitter pour deux ans son hameau de Nolette mais triste de ne pouvoir accompagner ses copains pour une expérience humaine que les plus âgés évoquent tellement souvent avec nostalgie !

Quand la Mobilisation générale est décrétée le 1er août 1914, Léonard BERQUIN est à Nolette. Le lendemain, en gare de Noyelles, il assiste au départ des hommes de 23 à 30 ans. Les plus âgés prennent le même chemin dans les jours suivants. Léonard BERQUIN n’est pas apte au service armé. Ses copains de la Classe 1911 ne reviendront pas embrasser leur famille ou leurs amis. Ils sont déjà au plus près de la frontière belge. L’Allemagne vient d’envahir la Belgique et le Grand-Duché du Luxembourg. Les troupes françaises de l’Armée active vont être aux premières loges.

Après plusieurs semaines d’attente, Léonard BERQUIN est convoqué à Amiens par une Commission médicale qui le juge finalement apte à combattre. Le 13 novembre 1914, il rejoint le dépôt du 120e Régiment d’Infanterie qui a été déplacé de Péronne à Ancenis, en Loire-Atlantique. Après un peu plus de deux mois d’instruction militaire, Léonard BERQUIN est envoyé au front avec les hommes du 120e RI. Léonard sait déjà qu’il n’y retrouvera pas tous ses copains.

Alphonse COLASSE et Maurice MEIGNAN ont été déclarés disparus, tout comme Joseph FROMENT, un jeune homme de l’Assistance publique qui travaillait avant la guerre dans la ferme d’Auguste MAUPIN à Nolette. Seul Amédée BRAILLY a survécu aux combats des premiers mois de guerre.

Léonard BERQUIN découvre l’horreur de la guerre dans la Meuse, au sud-est de Verdun. Le 5 avril 1915, à Maizeray, Amédée BRAILLY est gravement blessé par éclats d’obus dans la région thoracique. Il est évacué pour être soigné à l’arrière, loin des champs de bataille du Nord-Est de la France. Amédée doit attendre huit mois entre hôpital et centre de convalescence avant d’être à nouveau jugé apte. Comme pour beaucoup de blessés grave de l’Infanterie, le retour s’accompagne d’une mutation. Il quitte le 120e RI pour rejoindre le 42e Régiment d’Artillerie. En 1917, Amédée rejoint l’Armée d’Orient. Diminué physiquement et malade, il est rapatrié en France en avril 1919.

Le 19 avril 1916, le 120e RI est au sud-est du Fort de Douaumont près de Verdun. Léonard BERQUIN est blessé dans le Bois de la Caillette. L’attaque des Allemands a été terrible. Les pertes sont très importantes au 120e RI. Léonard est touché à l’épaule droite et à la fesse droite par éclats d’obus. Il est transporté loin du front. S’il n’est pas réformé, Léonard BERQUIN est toutefois handicapé au niveau de l’épaule droite. Les éclats d’obus ont provoqué une plaie « empêchant le port du sac ». Il reste alors éloigné des champs de bataille pendant presque une année. Il est muté dans l’Artillerie.  En avril 1917, Léonard BERQUIN est renvoyé au front.

Les derniers mois de guerre sont éprouvants pour Léonard. Une otite à l’oreille gauche ne parvient pas à être soignée. La douleur est violente. Les tirs d’artillerie démultiplient le mal.

En octobre 1918, Léonard BERQUIN est cité à l’ordre de son régiment pour avoir effectué quelques jours plus tôt, dans la Marne, « avec courage et sang-froid, le ravitaillement quotidien des positions soumises au tir de l’ennemi ». L’Armistice du 11 novembre 1918 met fin aux combats en France, mais la guerre a laissé des traces. Les souffrances physiques et morales ne font que commencer pour les survivants. Léonard doit entrer à l’hôpital le 23 janvier 1919 pour hémarthrose du genou. Léonard a 27 ans. Il en paraît 20 de plus…

Le retour définitif à la maison est difficile pour Léonard BERQUIN. Les fantômes des copains hantent les rues de Noyelles et de Nolette.

Malgré la fin de la guerre, dans le hameau de Nolette, la mort est encore presque quotidienne. Enfermés dans un camp qu’ils ne quittent que pour accomplir les sales besognes pour l’Armée britannique, les travailleurs chinois tombent comme des mouches. La fatigue, la malnutrition, le froid et la grippe espagnole ont raison de leur courage. Inhumés à Nolette, ils sont plusieurs centaines à reposer pour toujours dans ce petit hameau de l’Ouest du département de la Somme. 

Après le départ des troupes britanniques et des travailleurs chinois, au printemps 1919, la  vie reprend peu à peu son cours normal dans la commune de Noyelles-sur-Mer. Léonard BERQUIN est revenu dans la ferme familiale à Nolette. Il a épousé Yvonne PREVOST, une fille de Ponthoile, village voisin de Noyelles. En avril 1921, l’enfant unique du couple naît. C’est une fille prénommée Jeannine. C’est également en 1921, le 6 novembre précisément, qu’est inauguré le monument aux morts de Noyelles-sur-Mer. Devant une foule rassemblée dans le recueillement et l’émotion, Aurélien WARIN, l’instituteur, invite les habitants à s’arrêter « souvent devant cette stèle symbolique pour relire ces noms glorieux ». Parmi les 34 jeunes Noyellois dont les noms sont gravés, presque tous avaient fréquenté la classe du vieil instituteur.

Monument aux morts de la commune de Noyelles-sur-Mer (annuaire-mairie.fr)

Tués le 22 août 1914 à Bellefontaine en Belgique, Alphonse COLASSE et Joseph FROMENT sont restés des « disparus » pendant toute la guerre avant d’être déclarés par l’Armée « morts avant le 15 juillet 1915 ». L’état-major militaire n’a jamais su non plus définir la date du décès de Maurice MEIGNAN, tombé dans le Bois de la Gruerie en Argonne « entre le 24 septembre et le 10 octobre 1914 » ni celle de Moïse DEMEYERE, déclaré mort « avant le 5 août 1915 » dans l’Oise.  

Après la fin de la guerre, pour répondre aux exigences de l’état-civil, chacun des « morts pour la France » s’est vu attribuer une date de décès. Par des jugements de tribunaux, l’état français a rendu une dimension humaine à ce qui était profondément inhumain. Si la disparition de l’être aimé restait insupportable pour les proches, avoir une date pour commémorer ou se souvenir chaque année permettait de faciliter le processus de deuil. Une forme de dignité était rendue aux victimes « disparues ».

Comme tous les rescapés, Léonard BERQUIN et Amédée BRAILLY étaient présents le 6 novembre 1921 devant le monument à Noyelles. Deux rescapés de la Classe 1911…

En voyant couler tant de larmes sur les visages des veuves, des mères, des pères, des sœurs, des frères de leurs copains disparus, Léonard et Amédée mesuraient à quel point ils avaient eu la chance de survivre.

Léonard BERQUIN est resté à Nolette toute sa vie. Il y a exercé le métier de cultivateur. Léonard s’est éteint en 1979, à l’âge de 87 ans, suivi peu de temps après dans la mort par Yvonne, son épouse.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET

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