UN JOUR, UN PARCOURS – Damien CRESSENT de Toeufles

Victimes de la Première Guerre mondiale – une Somme de vies brisées par 14 18.

Né le 27 septembre 1891, Damien CRESSENT est le fils de Marius CRESSENT et de Léonie PADE.

Quand Marius épouse Léonie, originaire comme lui du village de Toeufles, il exerce la profession de tisserand. Mais avec l’industrialisation du tissage, les artisans du textile qui travaillaient à domicile ne peuvent plus vivre de cette activité. Quelques années plus tard, Marius devient ouvrier maçon.

Marius et Léonie résident dans la Grande Rue à Toeufles. Leur premier enfant, né en 1886, se prénomme Casimir. Puis vient Damien en 1891 et Espérat en 1897. Il n’y a pas de fille dans la famille CRESSENT.

La commune de Toeufles compte près de 600 personnes à la fin du XIXe siècle. Le village du canton de Moyenneville s’est construit dans la Vallée de la Trie, rivière affluent du fleuve Somme. La commune a la chance de disposer de deux grandes carrières de tuf sur son territoire. L’étymologie du nom Toeufles viendrait du mot tuf, la pierre locale. Cette roche, en apparence tendre et poreuse, est en réalité très résistante. L’activité agricole est la plus importante dans le village, mais celle d’extraction des pierres ou des cailloux est également largement représentée. 

Croix en tuf sur la place de Toeufles (dessin Léon Gillard – Bibliothèque Abbeville – richesses-en-somme.com)

Si plusieurs copains de Damien sont employés dans les carrières, lui a choisi de devenir ouvrier agricole. Il travaille, comme son frère Casimir, pour des fermiers du village.

Damien CRESSENT part au service militaire le 9 octobre 1912. Il est affecté au 128e Régiment d’Infanterie d’Abbeville.

Quand il arrive à la caserne Courbet, Damien retrouve Eugène DUCHEMIN et Jean GILLET de Toeufles. Eugène DUCHEMIN est extracteur de cailloux, comme son père. La famille habite Rue de Bapaudière.  Jean GILLET exerce le même métier. Enfant de l’Assistance Publique, il travaille chez Georges RICHE, un entrepreneur en cailloux, depuis qu’il a douze ans. Il réside dans la même rue que les DUCHEMIN. Jean est logé chez son patron.

Eugène et Jean ont encore une année de service militaire à effectuer. La libération intervient en novembre 1913. Pendant ces mois de vie en collectivité, les liens se sont tissés entre Damien, Eugène et Jean. Même s’ils se connaissaient très bien avant, les trois copains de Toeufles sont maintenant devenus inséparables. Et quand la libération intervient, début novembre 1913, c’est une vraie tristesse qui envahit Damien, seul représentant du village aux carrières de tuf dans le 128e Régiment d’Infanterie.

La guerre est déclarée le 3 août 1914. Le 128e s’apprête à quitter ses casernes d’Abbeville et d’Amiens pour l’Est de la France. Les jeunes soldats prennent le train le 5 août en direction de la Meuse. Avec la mobilisation générale, de nombreux renforts sont arrivés à la caserne Courbet. Il s’agit presque essentiellement des jeunes hommes des dernières classes formées au service militaire. L’Armée les considère comme opérationnels et aptes au service armé, sans aucune instruction militaire supplémentaire. Parmi les mobilisés, Damien CRESSENT voit arriver ses copains Eugène DUCHEMIN, Jean GILLET et aussi un autre jeune homme de Toeufles, Cyrille HENOCQUE, né en 1888. Cyrille est ouvrier ébéniste. Son père est sabotier dans la Rue des Champs. Damien voit aussi arriver celui qu’il connaît mieux que tous, son propre frère Casimir, l’aîné de la fratrie CRESSENT.

Les cinq jeunes représentants de Toeufles se sentent prêts pour affronter l’ennemi germanique. Solides comme le tuf ?

Croix de tuf au chevet de l’église de Toeufles

A peine arrivé à Dun-sur-Meuse, les hommes du 128e se mettent en marche en direction de la frontière belge. Les troupes allemandes ont envahi le pays qu’elles veulent traverser pour rejoindre la France. Comme en 1870, l’objectif pour le Kaiser est d’atteindre Paris.

Le 128e connaît son épreuve du feu le 22 août 1914 à Virton, dans le Sud de la Gaume, en Belgique. Plusieurs copains du régiment perdent la vie, mais rapidement les rescapés se rendent compte que d’autres ont connu un sort bien pire encore. A quelques kilomètres de là, dans le village de Bellefontaine, les pertes s’élèvent à plus de 1 000 hommes pour le 120e RI. Ce régiment caserné habituellement en partie à Péronne est composé, comme le 128e, d’une majorité de jeunes de la Somme, du Nord de l’Oise et du Pas-de-Calais. Julien FLICOT de Toeufles est mort à Bellefontaine. Il avait 22 ans.

Comme le 120e RI à Bellefontaine et comme le Corps colonial à Rossignol, certaines unités de l’Armée française ont été décimées. Près de 25 000 Français ont été tués dans cette Bataille des Frontières. Le général Joffre lance l’ordre de retraite le 25 août au soir. Plus qu’une retraite, le chef de l’Armée française y voit une réorganisation. Les troupes quittent le Sud de la Belgique et les départements de la Meuse et de la Meurthe-et-Moselle pour rejoindre le département de la Marne. C’est le lieu qui a été choisi par Joffre pour arrêter la progression des Allemands vers Paris, avant de les repousser définitivement.

Les troupes qui avaient combattu près des frontières se mettent en marche. La progression n’est pas aussi rapide que souhaitée. Les voies de communication vers le Sud des Ardennes sont rares et le déplacement d’un seul corps d’Armée s’étale sur plusieurs kilomètres. Des combats d’arrière-garde sont régulièrement organisés par les Français pour ralentir l’avancée de l’ennemi.

Le 30 août, alors que le 128e RI est arrivé dans le village d’Autruche, dans les Ardennes, une mission d’observation aérienne détecte la présence de nombreuses troupes d’infanterie allemande à quelques kilomètres au Nord. A l’exception de quelques hommes du 72e RI et du 51e RI, les autres régiments du 2e Corps d’Armée du général Gérard sont déjà bien loin, beaucoup plus au Sud. Ils ont dépassé Buzancy. Le commandant du 128e RI reçoit l’ordre de porter deux de ses bataillons dans le hameau de Fontenois pour empêcher les Allemands de déboucher de Saint-Pierremont.

Le 31 août, à l’aube, les Français sont positionnés au Nord de Fontenois. Des tirs d’artillerie sont lancés vers le village de Saint-Pierremont. La riposte allemande est terrible. Les hommes du 128e qui avaient gravi la colline entre Fontenois et Saint-Pierremont sont devenus des cibles idéales pour les 5 batteries d’artillerie allemande qui se mettent à tirer. Les obus provoquent de nombreuses morts. Les blessures par éclats d’obus sont très graves. Les rescapés se réfugient en contrebas, dans le hameau de Fontenois. Les fantassins allemands gagnent alors les hauteurs de la colline. Plusieurs offensives françaises sont lancées en vain. Les soldats français, déjà fortement éprouvés, n’ont aucune chance quand ils gravissent les talus vers les hauteurs où sont positionnés les Allemands.

Extrait du journal d’Emile MILLE d’Amiens – rescapé des combats de Fontenois

A midi, les combats prennent fin. Les officiers présents donnent l’ordre de retraite. Seuls les morts et les blessés graves restent sur place, pris en charge par l’équipe médicale placée sous la direction du médecin-major FROMONT.

Eugène DUCHEMIN et Cyrille HENOCQUE sont morts.

Jean GILLET qui était affecté à la 12e Compagnie, une des plus éprouvées par les combats de Fontenois, a survécu. Il est tué treize jours plus tard pendant la Bataille de la Marne, à Maurupt-le-Montois.

Des cinq représentants de Toeufles qui ont été mobilisés, début août, avec le 128e Régiment d’Infanterie, ne restent plus que Damien et son frère Casimir, seuls rescapés d’une guerre de mouvement qui prend fin après la Bataille de la Marne. Après seulement quelques semaines de guerre, le village de Toeufles est en deuil.

Après les tranchées de l’Argonne à l’automne 1914, Damien est transféré au 48e RI. Bon soldat, il devient caporal en 1916. Damien est évacué à plusieurs reprises pour maladie. En mai 1918, il est blessé par éclat d’obus au talon et au pied gauche. Damien n’ira plus au combat. Après sa convalescence, il revient au dépôt du régiment en septembre 1918 puis est mis à la disposition des Chemins de Fer du Nord en janvier 1919. Il continuera à exercer le métier de cheminot après sa démobilisation, en août 1919.

A l’occasion d’une permission, en octobre 1917, Damien a épousé Nelly, une fille du village voisin de Tours-en-Vimeu.  Edith est née de cette union. Après la démobilisation, Damien s’installe avec Nelly à Hangest-sur-Somme puis à Longpré-les-Corps-Saints où il exerce son activité de cheminot sur la ligne Paris-Calais.

Casimir CRESSENT a survécu, comme son frère, à la guerre. Evacué plusieurs fois pour maladie et pour blessures, il est toujours revenu sur le front. Il n’a jamais quitté le 128e RI pendant tout le conflit. Après la démobilisation, en mars 1919, Il est devenu ouvrier d’usine. Il a vécu à Toeufles jusqu’à la fin de sa vie, en 1947.

Damien CRESSENT est décédé le 25 septembre 1961 à Tours-en-Vimeu, village voisin, dans sa soixante-dixième année.

Sur le monument aux morts et sur la plaque commémorative de l’église Saint-Valery de Toeufles sont inscrits les noms des trois copains avec lesquels Damien et Casimir ont débuté la guerre, Eugène DUCHEMIN, Cyrille HENOCQUE et Jean GILLET. Trois copains qui n’ont jamais pu vieillir, ni à Toeufles, ni ailleurs.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET

Monument aux morts de Toeufles – le nom de Cyrille Henocque, considéré comme « disparu », n’a pas été gravé sur la même face que ses copains tués comme lui au début de la guerre

« De la Somme à Bellefontaine – 22 août 1914 » – recherche collaborative 1891, 1892, 1893 – Département Somme.  Jean DELHAYE a réalisé la collecte de données pour la commune de Toeufles.

Retrouvez les parcours d’autres jeunes hommes ayant vécu près de  TOEUFLES :

Raymond CAROUGE de MOYENNEVILLE

Charles LELEU d’ERCOURT

Emile TETU de TOURS-EN-VIMEU

Henri EMMANUEL d’HUCHENNEVILLE

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