ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – la rue des Boeufs

Né le 17 janvier 1892, Henri FECON est le fils de Charles FECON et de Denise RENARD.

Charles et Denise sont originaires de Beauquesne. Tout naturellement, c’est à la mairie et à l’église Saint-Jean-Baptiste de Beauquesne qu’ont été célébrées leurs noces, le 9 septembre 1891.

Henri est leur premier enfant du couple. Marthe naît en 1893, Rosemonde en 1894 et Joseph en 1896. En moins de 5 ans, la fratrie est déjà composée de 4 membres, deux garçons et deux filles.

Un an après la naissance de son dernier enfant, Denise est emportée par la maladie. Charles reste seul dans sa petite maison de la rue des Bœufs à Beauquesne avec ses quatre enfants en bas âge. Henri, l’aîné, n’a que 5 ans. Même si sa famille et celle de Denise sont très présentes, le jeune veuf ne peut s’occuper des enfants tout en exerçant son activité de fermier. Comme dans de nombreuses familles endeuillées, la solution vient de l’intérieur. C’est Olida RENARD, la sœur aînée de Denise, qui prend la place de la pauvre disparue dans le foyer. Elle se charge de l’éducation de ses neveux et nièces et tient compagnie à leur père. Le 21 mai 1898, presque un an jour pour jour après le décès de Denise, Charles épouse Olida.

Située dans l’arrondissement et dans le canton de Doullens, au Nord de la Somme, la commune de Beauquesne compte plus de 2 100 habitants à la fin du XIXe siècle. Si l’agriculture est l’activité la plus importante, il reste au moins 150 tisseurs de lin à domicile dans le bourg. En dehors des métiers traditionnels de forgerons, bourreliers, charrons nécessaires au travail des fermes, on trouve également de nombreux artisans du bâtiment et des commerçants. Les carrières d’extraction de phosphates et les briqueteries emploient aussi près de 50 ouvriers.

Dans la rue des Bœufs où habite la famille FECON, on trouve essentiellement des fermiers et des ouvriers agricoles. Près de la ferme de Charles et Olida FECON résident les BOUTHORS et les PETIT.

Philogène PETIT et Sylvain BOUTHORS, les voisins, sont de la même génération que Charles FECON. Ils travaillent comme ouvriers agricoles ou journaliers, dans les fermes et les entreprises de la commune, en fonction des besoins. Il leur arrive d’être employés pour la ferme FECON, notamment quand arrivent les moissons.

Chez les PETIT, les enfants sont nombreux. Les trois premiers garçons, Philogène né en 1890, Arthur né en 1892 et Alfred en 1896, sont dans la même tranche d’âge que les fils FECON. La petite bande de copains de la rue des Bœufs est complétée par les frères BOUTHORS. Albert est né en 1892 et Maurice en 1895. Les garçons FECON, PETIT et BOUTHORS forme une bien joyeuse équipe dans leur petite rue. Sept enfants, sept petits voisins de la rue des Bœufs à Beauquesne qui vivent ensemble leur jeunesse sur les bancs de l’école et de l’église, mais aussi et surtout dans les chemins, les pâtures, les bois proches de leurs maisons… ou moins proches !

Quand l’école est finie, les garçons commencent à chercher du travail. Ils ont 12 ans ou un peu moins. Henri et Joseph FECON aident leur père à la ferme. Les fils PETIT et BOUTHORS suivent le chemin tracé par leurs parents. Ils travaillent comme journaliers pour les employeurs du village.

En 1911, Philogène PETIT, l’aîné des copains de la rue des Bœufs, part au service militaire. Il rejoint le 128e Régiment d’Infanterie à Abbeville. Quand il revient à Beauquesne, à l’issue des deux années de service actif, 3 membres de la petite bande remplissent à leur tour leur devoir patriotique. Henri FECON, affecté au 72e Régiment d’Infanterie, est à la caserne Friant d’Amiens. Arthur PETIT a rejoint le régiment où était son frère aîné, le 128e RI qui est caserné à Abbeville. Quant à Albert BOUTHORS, il est parti dans les Vosges, à Saint-Dié puis à Bruyères, où est installé le 12e Régiment d’Artillerie. La petite bande de copains est maintenant éclatée. Quand ces trois-là auront achevé les deux années de service, les plus jeunes songeront à les remplacer.

L’Allemagne déclare la guerre à la France le 3 août 1914. Les 3 appelés de la rue des Bœufs sont encore sous les drapeaux. Philogène PETIT les rejoint rapidement. Il est mobilisé dès le 2 août. Il retrouve son frère à la caserne Courbet d’Abbeville. Le 128e RI, tout comme le 72e RI d’Henri FECON, sont prêts au départ vers les frontières de l’Est de la France. Le 12e Régiment d’Artillerie où a été incorporé Albert BOUTHORS est déjà en position pour stopper l’invasion allemande du territoire français.

Le 5 août, les régiments d’Abbeville et d’Amiens quittent le département de la Somme pour celui de la Meuse. Après neuf heures de trajet en train, ils arrivent en gare de Dun-sur-Meuse, à une vingtaine de kilomètres de la frontière belge.

Henri FECON et les frères PETIT combattent dans le même secteur. Les deux régiments constituent la 5e brigade d’infanterie dirigée par le général DEFFONTAINES. Le 72e et le 128e connaissent l’épreuve du feu près de Virton en Belgique, le 22 août 1914. Ils battent en retraite ensemble, traversant la Meuse puis le département des Ardennes en direction du sud de la Marne.

Le 5 septembre 1914, quand le général Joffre donne l’ordre aux troupes qui se replient d’arrêter leur marche, le 72e et le 128e sont dans le secteur de Pargny-sur-Saulx et Maurupt-le-Montois, entre Vitry-le-François et Saint-Dizier. L’ordre est donné aux Français d’arrêter la progression des Allemands. Ils ne doivent en aucun cas approcher de la Capitale. Il faut résister « jusqu’à la mort ».

Avec les hommes de sa compagnie, Henri a reçu l’ordre d’empêcher les soldats allemands de franchir les barrages naturels que constituent le canal de la Marne et la rivière La Saulx sur le territoire de la commune de Le Buisson. Henri FECON est une des premières victimes de la Bataille de la Marne. Il est tué le 6 septembre, premier jour des combats. Il avait 22 ans.

Quelques kilomètres plus à l’Est, Philogène PETIT est gravement blessé. Pendant les combats de Maurupt-le-Montois, Philogène reçoit une balle explosive dans le bras gauche. Il est capturé par l’ennemi et transféré quelques jours plus tard au lazaret du camp d’internement de Grafenwöhr en Bavière. Dans le cadre des accords internationaux de la Croix Rouge, Philogène PETIT est rapatrié le 5 mars 1915. Il est définitivement réformé dès le 15 juin 1915 et peut revenir à Beauquesne. Il est amputé du bras gauche.

Arthur PETIT a survécu aux combats du début de la guerre. Indemne physiquement, le traumatisme moral est bien présent. Son frère aîné est estropié et son voisin, Henri FECON, a été tué.

Les 5 et 6 octobre 1915, le 128e RI, « dans un élan resté légendaire », enlève à lui seul aux Allemands la butte et le village de Tahure dans la Marne. Arthur PETIT y perd la vie. Il avait 22 ans.

Albert BOUTHORS, canonnier-servant dans l’Artillerie, n’a jamais été blessé. Une arme tout aussi redoutable l’a pourtant frappé pendant les combats du Chemin des Dames en avril 1917. Gazé, Albert BOUTHORS n’a jamais pu retrouver la capacité respiratoire qui était la sienne avant la guerre. Soigné dans le Sud-Ouest de la France, il a finalement été définitivement éloigné des champs de bataille, tout en n’étant pourtant pas réformé. Démobilisé en août 1919, il a pu enfin rentrer à Beauquesne. Mais sa guerre contre le mal qui lui rongeait les poumons n’a jamais pris fin.

La guerre a durement frappé la bande des copains de la rue des Bœufs de Beauquesne. Les quatre aînés ont été tués comme Henri FECON et Arthur PETIT, estropié comme Philogène PETIT ou gazé comme Albert BOUTHORS. Les plus jeunes ont été mobilisés fin 1914 ou en 1915. La guerre ne les a pas épargnés.

Maurice BOUTHORS est allé d’hôpital en centre de convalescence jusqu’à sa démobilisation en avril 1919. Soigné pour « gastralgie, dilation, asthénie », la maladie n’a pas disparu avec la signature de l’Armistice.

Alfred PETIT, mobilisé en avril 1915, était au combat en Flandre occidentale, près de Nieuport, le 29 avril 1916 quand une grenade a éclaté près de lui. « Plaies multiples à la face, plaie au poignet droit, amputation du pouce droit, contusions multiples au pied droit, à la jambe droite… ». Alfred a perdu l’usage de sa main droite. Alfred PETIT, un jeune homme de 19 ans au visage empli de cicatrices et vivant dans l’angoisse pour toujours…

Quant à Joseph FECON, le frère cadet d’Henri, qui pourrait penser que la « sclérose pulmonaire avec emphysème et bronchite » diagnostiquée à chaque examen médical jusqu’au début des années 1940 n’avait aucun lien avec la Grande Guerre ? Après des blessures à la fesse gauche par éclats de grenade en avril 1917, Joseph a été intoxiqué par le gaz le 19 octobre 1917 au Fort de la Malmaison. Il ne s’en est jamais remis.

Quelques années avant la guerre, la rue des Bœufs était régulièrement emplie du rire et de la bonne humeur des 7 copains. 7 jeunes garçons qui avaient la vie devant eux.

Les noms d’Henri FECON et d’Arthur PETIT sont inscrits sur le monument aux morts de Beauquesne. Les noms de Philogène et d’Alfred PETIT, d’Albert et de Maurice BOUTHORS, de Joseph FECON, estropiés, malades, traumatisés à cause de cette guerre qu’on pensait être la der des der, ne sont inscrits sur aucun monument.

Didier BOURRY et Xavier BECQUET

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