ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – les voisins de la rue de l’Eglise

Né le 22 septembre 1897, Lucien DUPONT est le fils d’Irénée DUPONT et d’Ernestine HY.

Irénée est originaire de Saint-Quentin-La-Motte-Croix-au-Bailly et Ernestine de Buigny-les-Gamaches.

Quand ils se marient le 27 juin 1896, Irénée a 37 ans et Ernestine en a 33. Lucien sera leur seul enfant.

La famille réside dans la rue de l’Eglise à Saint-Quentin-La-Motte, village de l’Ouest du département de la Somme. Irénée est cordonnier.

Le village compte près de 1 300 habitants à la fin du XIXe siècle. Les 70 fermes, plus ou moins grandes, emploient une partie importante de la population. Cependant, l’agriculture n’est pas l’activité professionnelle dominante dans la commune. Les ouvriers employés dans les grandes fabriques de serrurerie et les briqueteries du secteur sont nombreux. On trouve aussi plus de 40 ateliers de serrurerie à domicile. Les métiers du bâtiment sont très représentés également. La proximité du village avec les stations balnéaires en plein essor de Mers-les-Bains, du Bois-de-Cise et d’Ault n’y est pas étrangère.

Les entreprises de maçonnerie se sont particulièrement développées dans la commune. Il y a aussi des terrassiers, des menuisiers, des charpentiers. Plus de dix cordonniers exercent, comme Irénée DUPONT, leur activité dans le village. Il faut y ajouter plusieurs boulangers, charcutiers, marchands de poissons, épiciers, tailleurs d’habits et plus d’une dizaine de débitants de boissons pour compléter l’éventail des professions exercées dans le village. Pour la plupart des habitants, il est inutile de quitter le village pour subvenir aux besoins essentiels et quand il le faut, il est facile de se rendre à pied aux marchés d’Ault, de Mers ou de la Ville d’Eu. 

Dans la rue de l’Eglise, les voisins des DUPONT sont les DEPOILLY, les BERQUIER et les STEMMELEN.

Fils unique, Lucien se retrouve souvent à partager les jeux des voisins de son âge. Louis STEMMELEN est né en 1894, Fernand BERQUIER en 1895 et les frères DEPOILLY, Auguste et Gaston, en 1895 et 1896. Les garçons fréquentent l’école dirigée par Théodore HOUBART.

Eugène BERQUIER et Emile DEPOILLY, les pères de Fernand, Auguste et Gaston, sont serruriers. Joseph STEMMELEN, Alsacien d’origine, le père de Louis, est manouvrier.

Les 5 garçons se connaissent très bien. Nés tous les 5 dans la commune, ils partagent les mêmes jeux et ont les mêmes occupations. Quand la famille STEMMELEN quitte la commune en 1907 pour aller vivre dans la Région parisienne, c’est le déchirement pour les copains qui voient partir l’un d’entre eux. Ils ont tellement vécu de bons moments ensemble…

Et puis la vie continue.

L’école terminée, Lucien DUPONT devient apprenti boulanger. Fernand BERQUIER est embauché dans l’usine de serrurerie FICHET à Oust-Marest. Les frères DEPOILLY, Auguste et Gaston, travaillent dans le village. Ils sont journaliers.

Le 1er août 1914, l’ordre de Mobilisation générale est affiché sur le mur de la mairie du village. Les cloches de l’église Saint-Quentin sonnent le tocsin.

Les jeunes voisins de la rue de l’Eglise sont trop jeunes pour être mobilisés. Les départs du lendemain concernent les hommes ayant récemment terminé leur service militaire actif. Les plus âgés partiront les jours suivants.

La commune se vide peu à peu de ses hommes. Les 4 copains de la rue de l’Eglise sont rapidement sollicités pour apporter leur aide et remplacer ponctuellement les hommes. Dans les fermes, il faut assurer la moisson et rentrer les récoltes. Personne ne sait combien de temps va durer cette guerre.

Quand le front se stabilise à l’automne 1914, dans l’Est du département de la Somme, la commune de Saint-Quentin-la-Motte-Croix-au-Bailly en est éloignée de près de 100 kilomètres. Pourtant, la guerre n’est pas si loin. Positionné dans la Zone des Armées, les troupes françaises puis celles de l’Armée britannique utilisent cette partie du territoire pour s’entraîner. A moins de deux kilomètres du village, un immense camp constitué de logements en bois est construit au hameau de Blingues par des soldats venus du Royaume-Uni et du Canada. La population locale doit s’habituer à la présence des militaires. Toutes les communes de l’Ouest de la Somme sont placées sous l’autorité britannique à partir de l’été 1915. Si le front est éloigné, la guerre est bien présente au quotidien dans la vie des Croisiens.

Baraquements en bois du camp anglo-canadien à Blingues (commune de Mers-les-Bains)

Auguste DEPOILLY et Fernand BERQUIER sont mobilisés le 16 décembre 1914. Gaston DEPOILLY est appelé en avril 1915.

Si leurs décès ne sont pas officiels, plusieurs jeunes de la commune sont déjà déclarés disparus.

Paul DOUAY et Gaston GUILBAUT pourraient être morts à Bellefontaine en Belgique le 22 août 1914 et Alphonse DUPUTEL est déclaré disparu deux jours plus tard à Arrancy dans la Meuse.

La trace d’Eugène HAPPEY et de Marcel THERON est perdue dans les Ardennes, pendant la Retraite de l’Armée française fin août 1914 et celle d’Emile LEFEBVRE début septembre dans la Marne. La liste des disparus augmente régulièrement. A l’exception des combattants qui meurent des suites de leurs blessures de guerre, comme Eugène DUCHOSSOY à l’ambulance de Maurupt-le-Montois le 13 septembre 1914, tous ceux dont on n’a plus de nouvelles sont considérés comme « disparus ».

Lucien DUPONT attend son tour…  la peur au ventre… Le 8 janvier 1916, Lucien part à la guerre. Il est affecté au 151e Régiment d’Infanterie. En raison de la proximité du front, cette unité a quitté ses casernements de Belfort, Verdun et Reims. Lucien rejoint Quimper en Bretagne où est transféré le dépôt du 151e RI. Il y suit pendant trois mois une formation militaire.

Même si l’administration militaire souligne que Lucien sait « cuire et pétrir », l’Armée a aussi besoin de combattants pour reconstituer les régiments décimés. Au printemps 1917, Lucien DUPONT est transféré au 267e Régiment d’Infanterie. Il y arrive quelques jours avant la grande offensive voulue par le général NIVELLE au Chemin des Dames. Lucien intègre son régiment le 10 avril. Seize jours plus tard, il est tué sur le champ de bataille de Berry-au-Bac. Il n’a que 19 ans.

Les 3 autres copains de la rue de l’Eglise ont survécu. Fernand BERQUIER a perdu l’usage de son bras droit.  Auguste DEPOILLY, prisonnier dès le mois de mai 1915, a passé toute la guerre en Allemagne. Gaston DEPOILLY semble être revenu indemne « physiquement ».

Fernand BERQUIER et Gaston DEPOILLY sont partis vivre loin de la Somme après la guerre. Fernand s’est marié à Paris, Gaston à Charleville dans les Ardennes. Si Fernand est mort à Paris à l’âge de 83 ans, Gaston n’avait que 43 ans quand il a fermé définitivement les yeux à Charleville.

Quant à Louis STEMMELEN, le jeune voisin alsacien qui avait quitté la commune avec sa famille avant la guerre, personne ne sait ce qu’il est devenu.

Auguste DEPOILLY est resté à Saint-Quentin-la-Motte. Il a épousé Marie MALLET avec laquelle il a fondé une famille. Il a eu plusieurs enfants et de nombreux petits-enfants.

Irénée et Ernestine DUPONT ont poursuivi leur vie dans leur petite maison de la rue de l’Eglise. Ils n’ont jamais eu la joie de porter sur les genoux, leurs petits-enfants. Leur unique enfant est mort à la guerre, n’ayant laissé aucune descendance…

Danièle REMY et Xavier BECQUET

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