ILS AVAIENT 20 ANS EN 1014 – Sylla CHERRIERE d’Hallencourt

Né le 1er mars 1888, Sylla CHERRIERE est un enfant de l’Assistance publique de la Somme.

Petit garçon aux cheveux noirs et aux yeux gris, Sylla est élevé à l’orphelinat avant d’être placé dans une famille d’accueil. Les placements dans les fermes du plateau du Vimeu sont fréquents à la fin du XIXe siècle. Dans certains villages, chaque fermier a son petit orphelin. C’est le cas de Wanel où Sylla CHERRIERE passe plusieurs années.

Wanel est un petit village de 160 habitants situé à proximité d’Hallencourt. Même s’il reste quelques tisserands à domicile, l’activité y est surtout agricole. Sylla est domestique agricole, participant à toutes les tâches malgré un physique bien frêle. Il mesure 1,53 m.

Dès qu’il en a le droit, Sylla CHERRIERE quitte sa famille d’accueil et va de ferme en ferme. Il veut regagner la liberté qui lui a tant manqué pendant ces années d’orphelinat.

Après le service militaire qui prendra fin en septembre 1911, il sait qu’il sera vraiment libre et pourra vivre la vie dont il rêve, entouré d’une femme et d’enfants qu’il aimera. Mais le chemin est encore long…

Le 3 août 1914 au soir, dans la caserne Courbet d’Abbeville, le moment est aux retrouvailles.

Sylla CHERRIERE retrouve ses copains de service militaire. Il y a, bien sûr, Alcide SAUZET. Enfant de l’Assistance publique comme lui, Alcide avait été placé dans une ferme du Boulevard de Ville dans le village voisin d’Hocquincourt, près de la commune d’Hallencourt. Né à Paris dans le 10e Arrondissement, Alcide est un enfant de l’assistance publique de la Seine.

Pendant deux années, entre octobre 1909 et septembre 1911, les deux copains ont tout partagé. Résidant dans deux villages si proches l’un de l’autre, leur situation personnelle les avait encore plus rapprochés.

Deux autres copains d’Hallencourt ont débuté leur service militaire au 128e RI en même temps qu’eux, en octobre 1909. Armand BOUFFAUX qui exerçait la profession de tisserand et Gaston SECRET, celle de domestique de charrue.

Les quatre copains ont vécu deux années ensemble, séparés au gré des manœuvres, mais réunis dès que cela était possible.

Les quatre copains se sont retrouvés le 28 août 1913 pour effectuer leur période militaire à Abbeville. Pendant trois semaines, alternant instruction militaire et manœuvres sur le terrain, ils ont pris plaisir à se revoir. Sylla CHERRIERE et Alcide SAUZET avaient, tous les deux, quitté le secteur après le service militaire pour s’installer à Paris. L’air y est peut-être moins pur, mais le travail y est plus facile à trouver.

En se quittant le 19 septembre 1913, ils n’imaginaient pas se revoir moins d’un an plus tard dans de si terribles circonstances. Ils ont répondu à la mobilisation générale du 1er août 1914. Ayant terminé le service militaire depuis moins de 3 ans et ayant suivi récemment une période d’instruction militaire, ils rejoignent immédiatement les hommes de l’armée active. L’Armée considère qu’ils sont opérationnels et aptes au service armé. Ils vont participer aux premiers combats. A la caserne Courbet, ils viennent compléter les effectifs du 3e bataillon du 128e RI. Le 5 août, ils quittent la Somme en train pour rejoindre le département de la Meuse.

Pour le 128e RI, le baptême du feu a lieu le 22 août près de Virton. Alors que la stratégie initiale devait l’emmener plus loin en Belgique, le 128e se trouve pris dans les combats que mènent des régiments de la IIIe Armée pour chasser les Allemands des hauteurs de Virton.

Le soir du 22 août, les pertes du régiment sont évaluées à 67 hommes. Au moins 30 jeunes hommes ont perdu la vie, tués sur le coup ou dans les 48 heures des suites de leurs blessures.

Certains régiments qui se battaient dans le même secteur que le 128e ont été complètement décimés come le 120e RI à Bellefontaine ou les régiments coloniaux à Rossignol. Globalement, la Bataille des Frontières menée le long de la frontière de Mons à Longwy est un terrible échec pour l’Armée française.

Le 25 août au soir, le général Joffre donne l’ordre de repli général.

Les trois armées françaises qui combattaient en Belgique et au Sud du Luxembourg s’engagent dans une retraite vers la Marne. La IVe Armée du général Langle de Cary, à laquelle appartiennent les régiments de la Somme, franchit la Meuse le 28 août et commence une longue traversée des Ardennes. Langle de Cary souhaiterait que ses hommes gagnent rapidement la Marne pour s’y reposer un peu en attendant l’arrivée des troupes allemandes. Joffre n’est pas d’accord. Il faut laisser des arrière-gardes pour ralentir la progression de l’ennemi. Le 128e RI est choisi pour remplir cette mission. Alors que les autres régiments picards continuent leur pénible trajet vers le Sud, le 128e s’arrête le 29 août au soir, à l’ouest de Saint-Pierremont dans les Ardennes. Dans la nuit du 30 au 31, le commandant du 128e reçoit l’ordre d’envoyer deux bataillons à Fontenois et de lancer une offensive sur Saint-Pierremont où des troupes d’infanterie allemande ont été localisées.

Sylla CHERRIERE, Alcide SAUZET, Armand BOUFFAUX et Gaston SECRET, avec tous les hommes des 2e et 3e bataillons, quittent leur campement à Autruche, petit village situé à 2 km de Fontenois vers 3 heures du matin. A 6 heures l’offensive est lancée par les fantassins français. Quatre heures plus tard, tout est fini. Les hommes du 128e RI ont été massacrés par l’artillerie allemande que personne ne savait aussi bien positionnée.

Sylla CHERRIERE et Alcide SAUZET sont tués. Ils avaient 26 ans.

Même si leurs deux copains d’Hallencourt ont survécu, le traumatisme est immense pour eux. En quelques heures, on compte au moins 130 morts et 300 blessés dont plus de 150 doivent rester sur place pour être soignés. Au-delà du bilan chiffré, beaucoup de ces morts et de ces blessés ont des visages connus. Des visages d’amis qui ont partagé tant de bons moments ensemble dans la caserne Courbet d’Abbeville.

Pour les rescapés du 128e RI, la guerre continue. Le prochain combat aura lieu entre Pargny-sur-Saulx et Maurupt-le-Montois, sur la rive gauche du canal de la Marne. Il débute le 6 septembre.

Armand BOUFFAUX est déclaré mort le 8 septembre. Gaston SECRET, gravement blessé, est évacué vers l’hôpital de Niort. Il y meurt de ses blessures le 15 septembre.

Les noms d’Armand BOUFFAUX et Gaston SECRET sont inscrits sur le monument aux morts d’Hallencourt. Ceux de Sylla CHERRIERE et d’Alcide SAUZET ne sont inscrits ni à Wanel, ni à Hocquincourt, ni même au chef-lieu de canton Hallencourt. Ils n’avaient plus d’adresse dans la Somme quand ils ont été tués. Personne à prévenir. Les deux jeunes hommes n’avaient été que de passage. Les cultivateurs de Wanel et d’Hocquincourt les avaient remplacés depuis longtemps, par d’autres jeunes assistés de la Seine ou de la Somme… 

La transcription de leur décès a été envoyée à Paris, lieu de leur dernière adresse connue. Sylla CHERRIERE résidait Rue de Reuilly dans le 12e arrondissement et Alcide SAUZET, Impasse Montferrat dans le 19e arrondissement de Paris.

Dans la plupart des cas, les corps des morts du 31 août 1914 à Fontenois n’ont pas été identifiés. Quand les fosses communes où ils reposaient ont été ouvertes, quatre ans plus tard, même si les corps étaient bien présents, il n’était plus possible de prouver leur identité. Seuls douze d’entre eux ont été identifiés avant le transfert vers la nécropole de Vouziers, dans les Ardennes. Alcide SAUZET, le petit orphelin parisien d’Hocquincourt, a été identifié. Sylla CHERRIERE ne l’a pas été.

Alors qu’il  n’a été parisien que les quelques mois qui ont suivi le service militaire, le nom de Sylla CHERRIERE est inscrit  sur le monument « Aux Morts de la Grande Guerre – Paris à ses enfants » fixé sur le mur du cimetière du Père Lachaise. Bien loin de la Somme où il est né.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET

Les communes de Wanel et d’Hocquincourt sont rattachées à Hallencourt depuis 1972.

Lieu mémoriel créé à l’initiative de l’association « De la Somme à Bellefontaine » à Fontenois (Ardennes) et inauguré le 29 août 2021.

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