La vie n’a pas toujours été simple pour les membres de la famille BOURDON, une famille arrivée à Fouilloy, près de Corbie, à la fin du XIXe siècle.
Le père, Alfred BOURDON, est originaire de Lihons et la mère, Elvina BOYENVAL, de Rouvroy-en-Santerre.
La jeune Elvina, orpheline de père, doit trouver au plus tôt un mari. C’est le lot commun pour beaucoup de jeunes filles de familles modestes à la fin du XIXe siècle. C’est Alfred BOURDON de Lihons, village voisin de Rouvroy-en-Santerre, qui devient l’heureux époux. Le couple se marie le 18 février 1875 à Rouvroy. Alfred a 32 ans. Il est faiseur de bas. Elvina n’a que 21 ans.
Le couple décide de s’installer à Fouilloy. Mais Alfred et Elvina vivent peu de temps sous le même toit. Alfred loge chez ses vieux parents, Rue de la Chapelle à Lihons. Il continue à travailler dans son village de naissance et ne revient à Fouilloy que de temps en temps.

Marthe est le premier enfant du couple. Elle naît en 1883. Puis, même si les parents restent éloignés la plupart du temps, lui à Lihons et elle à Fouilloy, viennent d’autres enfants : Léon, Alphonse, Fernand, Germaine et Michel. Le petit Fernand décède alors qu’il n’a qu’un an. En l’absence de son mari dans le foyer familial de Fouilloy, Elvina BOYENVAL épouse BOURDON, doit donc s’occuper seule de ses 5 enfants vivants, 3 garçons et 2 filles. Elvina loge chez Hégésippe CARPENTIER, Rue de Cachy à Fouilloy. Hégésippe est bonnetier.

Dans ce contexte familial particulier, Elvina trouve en Hégésippe un ami qui lui apporte au quotidien l’aide que son mari éloigné ne peut apporter. Tous les enfants d’Elvina sont reconnus par leur père, Alfred BOURDON, toujours domicilié la plupart du temps à Lihons et ils portent tous le patronyme de BOURDON.
La vie est difficile pour la pauvre Elvina. En mars 1896, alors que Michel, le dernier enfant, n’a que 18 mois, Alfred BOURDON meurt. Même s’il n’habitait pas sur place et que son activité de domestique de culture n’était pas très lucrative, la participation financière qu’Alfred faisait parvenir à son épouse contribuait à nourrir en partie les enfants. Après le décès d’Alfred, Elvina ne peut pas s’en sortir seule. Elle bénéficie heureusement de l’aide d’Hégésippe CARPENTIER. Lui aussi est veuf.

Les garçons BOURDON doivent très tôt trouver du travail pour subvenir à leurs besoins… et les filles doivent trouver un mari.
Marthe BOURDON se marie en 1903 avec Numa DEMAILLY et Germaine se marie en 1911 avec Georges GROSSEMY. Les garçons, Léon, Alphonse et Michel, travaillent dans les fermes du secteur et deviennent journaliers dans les usines de Fouilloy et de Corbie pendant la saison hivernale. Assister aux cours de M .CARON, l’instituteur public, n’est pas la priorité. Il faut avant tout pouvoir survivre.

Léon et Alphonse sont exemptés de service militaire pour « faiblesse générale ».
Quand la guerre éclate, le 3 août 1914, ils ne sont pas mobilisés, tout comme Michel, le fils cadet, encore trop jeune pour partir. Il vient juste d’avoir 20 ans. Leurs beaux-frères, Numa DEMAILLY et Georges GROSSEMY sont eux mobilisés, laissant femmes et enfants à Fouilloy pour aller servir leur pays.
Le 11 novembre 1914, Numa DEMAILLY est déclaré disparu. Marthe sa femme, mère de ses quatre enfants, est désespérée. En l’absence d’information officielle sur ce qu’est devenu Numa, la longue et angoissante attente ne fait que commencer pour Marthe.
Si Léon BOURDON, en raison de sa mauvaise santé, n’est pas mobilisé, ses frères Alphonse et Michel sont déclarés aptes au service armé au début du mois de décembre 1914. Alphonse rejoint le 151e Régiment d’Infanterie et Michel, le 8e Régiment d’Infanterie. Après quelques semaines d’instruction, ils sont envoyés combattre au front.
Alphonse découvre l’horreur des tranchées en février 1915 dans le secteur de Verdun. Quatre mois plus tard, le 24 juin, il est gravement blessé par éclat d’obus. La jambe droite est fracturée et les plaies sont nombreuses sur la jambe gauche. Il est évacué vers l’hôpital de Bar-le-Duc pour y être soigné. Son état de santé se dégrade rapidement. La septicémie se généralise. Après neuf jours de souffrance, Alphonse BOURDON ferme définitivement les yeux. Le pli annonçant la mauvaise nouvelle arrive chez Elvina le 12 août 1915. Les larmes n’ont pas fini de couler des yeux de la pauvre Elvina…

En septembre 1915, son deuxième beau-fils, Georges GROSSEMY, est placé en retrait des combats. Un ulcère variqueux ne lui permet plus de combattre. Georges reste loin des siens jusqu’en mars 1919, mais éloigné des combats. Quand la guerre sera finie, Georges pourra revoir sa femme et ses quatre enfants.
En février 1916, Michel BOURDON, le dernier de la fratrie, est considéré comme disparu. L’Armée perd sa trace dans les combats de Fleury, près de Douaumont. Il faudra attendre cinq ans pour que la transcription officielle de son décès parvienne à la mairie de Fouilloy. Tout portait à croire depuis longtemps que Michel avait été tué, mais, jusqu’à l’arrivée du courrier officiel, un mince espoir emplissait encore le cœur d’Elvina. L’espoir de revoir vivant l’un de ses deux fils partis à la guerre.

Alphonse et Michel BOURDON, les deux plus jeunes fils d’Elvina sont morts à la guerre. Alphonse avait 25 ans et Michel avait 21 ans.
Numa DEMAILLY, le beau-fils, considéré comme disparu en novembre 1914, est revenu vivant. Blessé et capturé, il a passé toute la guerre dans des camps de prisonniers en Allemagne d’où il n’a été rapatrié qu’en décembre 1918. Il a pu reprendre son activité de cordonnier puis de tanneur chez Gaffet, Rue Jules Lardière, avec comme souvenir de guerre, deux phalanges de l’annulaire droit amputées.
Les familles des deux sœurs BOURDON, Marthe et Geneviève ont vécu dans deux maisons mitoyennes après la guerre, Rue du Port à Fouilloy, Léon BOURDON, le survivant des trois frères, habitant chez ses sœurs.

Si Georges GROSSEMY, le mari de Geneviève a survécu à la guerre, son état de santé s’est détérioré rapidement. Il est mort en février 1924. Son épouse Geneviève l’a suivi dans la mort peu de temps après.
Après le décès de Georges et de Geneviève, Numa et Marthe DEMAILLY-BOURDON ont élevé leurs quatre neveux et nièces, en plus de leurs quatre filles. Dans leur petite maison de la Rue Anatole France à Fouilloy, si elle n’était pas simple tous les jours, la vie était bien présente. Avec ses rires, ses joies, ses sourires.

Léon BOURDON, le moins bien portant des trois frères, a survécu à la guerre. Il a échappé à la guerre mais n’a pas échappé au sentiment de culpabilité d’être encore en vie. Les rues de Fouilloy étaient pour lui emplies des fantômes de ses frères et de tous les copains de jeunesse aux noms gravés sur le monument aux morts. Léon BOURDON a quitté Fouilloy. Il n’a jamais eu d’enfant.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET


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