Né le 9 avril 1892, Marceau MATHON est le fils de Camille MATHON et d’Olympe HOUBART.
Camille épouse Olympe à Flesselles, village d’origine de la jeune fille, en juillet 1886. Olympe a 22 ans, Camille en a dix de plus. La vie a déjà été éprouvante pour lui. Camille est veuf. Sa première épouse, Anastasie, est morte à l’âge de 26 ans.

La famille MATHON est originaire de La Chaussée-Tirancourt, entre Amiens et Abbeville, sur la rive droite du fleuve Somme. Les hommes de la famille sont tisseurs à domicile à La Chaussée-Tirancourt comme l’est également, à Flesselles, le père d’Olympe.
Fin 1887 vient au monde le premier enfant de Camille et d’Olympe. Il s’agit d’une fille prénommée Céline. Marceau naît en 1892. Puis viennent Marguerite en 1894 et Marie en 1895. Camille exerce le métier de tisseur avant d’obtenir le poste de vacher communal. La famille déménage alors de quelques centaines de mètres pour résider au hameau de Tirancourt, près du château. Olympe, tout en élevant ses enfants, devient ouvrière agricole.

Le château de Tirancourt est occupé par la famille de FRANCQUEVILLE. Le chef de famille se nomme Henri de FRANCQUEVILLE. Il vit à Tirancourt avec son épouse Mathilde ZYLOF DE STEENBOURG, membre d’une famille aristocratique hollandaise. Ils y sont accompagnés de Maurice de FRANCQUEVILLE, leur fils, de son épouse Edith de BOISTEL de BELLOY et de leurs enfants Bernard, Andrée et Henri. Les châtelains disposent de plusieurs domestiques logés dans l’enceinte du château. Il y a un cocher, un valet de chambre, deux femmes de chambre et une cuisinière. Plusieurs jardiniers et ouvriers agricoles travaillent également pour la famille de FRANCQUEVILLE.

Les enfants du château sont de la même génération que ceux de la famille MATHON. Bernard, l’aîné, est né le 31 mai 1894, sa sœur Andrée en 1897 et Henri, le dernier de la fratrie, le 19 septembre 1898. Si le statut social crée une barrière entre les adultes, les enfants du même âge prennent plaisir à se retrouver. D’autant que le hameau de Tirancourt compte à peine plus de cinquante habitants et que les jeunes enfants y sont rares.
Mais dès que l’âge de dix ou douze ans est franchi, les enfants des familles modestes doivent trouver du travail. Le jeune Marceau MATHON se fait embaucher dans l’usine textile Carmichaël d’Ailly-sur-Somme. Il y retrouve sa sœur Céline qui est également ouvrière dans l’usine.

En 1909, les petits châtelains perdent leur père. Maurice de FRANCQUEVILLE meurt à l’âge de 39 ans. Mathilde, son épouse, et ses enfants quittent alors Tirancourt. Ses fils, Bernard et Henri de FRANCQUEVILLE, poursuivent leurs études à Amiens. Ils résident Rue Gaulthier de Rumilly, dans le quartier du Cirque municipal d’Amiens.

Quelques temps plus tard, la famille MATHON quitte également Tirancourt. Les filatures de lin et de jute de James Carmichaël à Ailly-sur-Somme ont besoin de main d’œuvre. Les anciens filateurs à domicile comme l’était Camille MATHON y sont les bienvenus. Et même si les conditions de travail sont difficiles, la rémunération est supérieure à celle d’un vacher communal.

Le 10 octobre 1913, Marceau MATHON est incorporé au 51e Régiment d’Infanterie de Beauvais pour y effectuer ses deux années de service militaire. Même si la loi des 3 ans a été votée quelques mois plus tôt, elle ne concerne que les appelés de la classe 1913. Ceux de 1912 comme Marceau n’auront que deux années à effectuer dans la caserne. Marceau est convoqué devant la Commission de Réforme de Beauvais : « cyphose légère, déformation de la jambe gauche consécutive à un accident, déformation thoracique et pieds plats ». Le rapport médical est sans équivoque. Marceau est jugé inapte au service armé. Il est alors affecté dans le service auxiliaire du régiment avant d’être transféré à la 2e Section de Secrétaire d’Etat-Major et de Recrutement de la Région militaire d’Amiens.
Le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Les jeunes hommes sous les drapeaux sont envoyés près des frontières de l’Est de la France pour y livrer les premiers combats. Seuls ceux des services auxiliaires sont, pour l’instant, maintenus loin des champs de bataille.
Marceau MATHON n’est pas le seul à être exempté des combats en raison de son mauvais état de santé. Bernard de FRANCQUEVILLE, l’aîné de la fratrie, n’est pas mobilisé en 1914 comme il aurait dû l’être. Il est exempté pour cachexie.

Le 4 janvier 1915, Marceau MATHON est déclaré apte au service armé par la Commission de Beauvais. Il revient au régiment de sa première incorporation, le 51e RI. Il y termine son instruction militaire avant d’être affecté au 402e Régiment d’Infanterie le 12 mai 1915. Le 402e RI est un nouveau régiment. Il a été constitué à partir des dépôts des unités des 2e Corps d’Armée (Région d’Amiens) et 11e Corps d’Armée (Région de Nantes). « Se trouvent réunis dans une même fraternité d’armes, Bretons, Picards, gars du Nord et du Pas-de-Calais, Parisiens… » . Ce régiment est surtout constitué pour un tiers de jeunes appelés de la Classe 1915, pour un tiers de jeunes hommes exemptés au début de la guerre, pour un tiers de blessés et de malades guéris.
Le 25 septembre 1915 au soir, les hommes du 402e RI arrivent en train dans la région de Saint-Hilaire-au-Temple dans la Marne avant d’engager une marche vers le secteur de Souin. Le 29 septembre, le 402e RI va livrer un des combats les plus meurtriers de la guerre. Il pleut et le sol n’est plus qu’un lac de boue. « Après deux jours entiers de marches et contre-marches effectuées au milieu d’un terrain défoncé et sans aucun ravitaillement », les fantassins doivent lancer l’offensive. Ils franchissent la Tranchée des Fentes, puis se lancent à l’assaut des crêtes boisées où sont positionnés les Allemands. Quand le jour se lève, les Français sont à découvert, bloqués dans leur ascension. « Les mitrailleuses traînées dans la boue ne fonctionnent plus. L’artillerie française, un instant égarée dans son tir par le brouillard qui tombe, couvre de projectiles la crête occupée par le 402e »… De nombreux jeunes Français tombent sous les éclats d’obus tirés par leur propre camp. Les tentatives de communication par la télégraphie en Morse avec les lignes d’arrière sont infructueuses. Alors qu’il s’agit, pour la plupart des gars du 402e, de l’épreuve du feu, l’horreur est à son paroxysme.

Le 402e RI comptait environ 2 800 hommes en arrivant dans la Marne le 25 septembre 1915. Cinq jours plus tard, les pertes sont estimées à plus de 1 700 !
Marceau MATHON meurt le 29 septembre 1915 dans la Marne. Il avait 23 ans. Céline, Marguerite et Marie MATHON ont perdu leur frère unique.

Le 6 avril 1917, Bernard de FRANCQUEVILLE est convoqué devant la Commission de Réforme d’Amiens. S’il est toujours jugé inapte au service armé en raison d’une « musculature insuffisante », il est incorporé au service auxiliaire du 39e RI de Rouen, puis dans les mois qui suivent, au 3e et au 20e Escadron de Train. Son frère cadet, Henri, apte au service armé, est mobilisé le 17 avril 1917. Il rejoint le 120e RI.

Bernard de FRANCQUEVILLE meurt le 26 octobre 1918 à l’Hôtel-Dieu d’Amiens pour maladie imputable au service. Il avait 24 ans. Andrée et Henri de FRANCQUEVILLE ont perdu leur frère aîné.

Après la guerre, le projet d’érection d’un monument aux morts dans la commune de La Chaussée-Tirancourt est validé par le conseil municipal. Le terrain choisi pour son emplacement appartient à la famille de FRANCQUEVILLE. Le monument est inauguré le 17 juin 1923. Les noms de Marceau MATHON et de Bernard de FRANCQUEVILLE y sont gravés.


Henri de FRANCQUEVILLE est revenu vivre à Tirancourt en 1921, année où il a épousé Colette CRETON de LIMERVILLE et avec laquelle il a pu construire une grande famille. Henri de FRANCQUEVILLE est très impliqué dans la vie de la commune. Président de la Société des Anciens Combattants, de la Société de Chasse, de la Section de Ballon, du Comité des Prisonniers, du Syndic agricole, il est élu conseiller municipal en 1935. Pendant l’Occupation, en mai 1941, il devient maire.
Le 1er septembre 1944, Henri de FRANCQUEVILLE organise la distribution de pain pour les habitants du village. Il accompagne les deux brouettes de pain jusqu’au café situé en face de l’église quand une vingtaine de Résistants en provenance d’Amiens arrivent à La Chaussée-Tirancourt. Henri se précipite alors pour les prévenir de la présence proche des Allemands et leur désigner une cachette provisoire. Alors qu’il est avec le groupe de Résistants, Henri de FRANCQUEVILLE reçoit dans la jambe droite une balle tirée depuis la Rue de Vignacourt. L’artère fémorale est touchée. Henri perd beaucoup de sang. Trente minutes après avoir reçu la balle, Henri de FRANCQUEVILLE meurt.

Après cet événement, les Allemands ont quitté définitivement la commune. Henri de FRANCQUEVILLE est la seule victime du 1er septembre 1944 à La Chaussée-Tirancourt, jour de sa libération. Reconnu « Mort pour la France », son nom est inscrit sur le monument aux morts du village.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET
Pour plus d’informations :
Sur le 402e RI : Historique du 402e RI http://tableaudhonneur.free.fr/402eRI.pdf
Sur la Chaussée-Tirancourt : http://sehet.andre.free.fr/
Sur la mort du maire de La Chaussée-Tirancourt : DENTIN Paul, La belle mort d’Henri de Francqueville d’Abancourt
[…] Marceau MATHON et Bernard de FRANCQUEVILLE de LA CHAUSSEE-TIRANCOURT […]
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