Né le 31 mai 1893, à Beaucourt-en-Santerre, Nicolas n’a pas de père. Comme tout enfant, il a, bien sûr un père génétique, mais il ne l’a pas connu. Sa naissance est déclarée, devant le maire de Beaucourt, par son grand-père, le garde-champêtre et un voisin. Le prénom de Léopold lui est donné. Il n’a aucun père connu, et sa mère, Marie-Jasmine, n’en reconnaît officiellement la maternité, qu’une année plus tard, peu de temps avant la naissance d’une petite Marie-Juliette, née elle aussi, de père inconnu.
La vie ne commence pas sous les meilleurs auspices pour le petit Léopold. Personne ne l’appelle d’ailleurs Léopold. Pour tout le monde, il s’appellera Nicolas…
Beaucourt-en-Santerre est un petit village de la Somme, comptant un peu plus de 200 habitants, situé au Nord-Est de Moreuil, au Nord de la route entre Amiens et Noyon. La première voie ferrée est à plus de 7 km, à Villers-Bretonneux.
Le grand père est « batteur en grange » et travaille pour plusieurs fermes de Beaucourt. La grand-mère est couseuse. Nicolas et sa sœur, Marie-Juliette, sont élevés par leurs grands-parents, Raphaël et Claire, rue Bacouet. Leur mère est partie en Région Parisienne. Dans l’univers agricole que constitue le plateau du Santerre, la vie est rythmée par les saisons et les moissons.
Les garçons sont peu nombreux à fréquenter la classe de Monsieur Caron, l’instituteur. Les travaux des champs les sollicitent souvent ailleurs. Si Nicolas éprouve de grandes difficultés à tout comprendre, il peut s’enorgueillir d’en savoir un peu plus, notamment pour la lecture et l’écriture, que ses grands-parents. Eux n’ont jamais su, ni lire, ni écrire.
Jeune adolescent, tout en aidant son grand-père, il est employé comme manouvrier chez Thory-Desachy, dans une grande exploitation agricole du Santerre. Puis décide d’aller retrouver sa mère. Elle habite à Saint-Leu-Taverny, en Seine-et-Oise. Nicolas n’a aucune difficulté à trouver sur place du travail comme ouvrier agricole.
Pour peu de temps, car l’heure du service militaire arrive. C’est à Montmorency qu’il est jugé apte par le Conseil de Révision et incorporé au 9e Régiment de Cuirassiers basé à Noyon, pas très loin de la région du Santerre qu’il connaît si bien. Il y arrive le 26 novembre 1913, avant d’être transféré dans le Nord, à Douai, au début de l’année 1914. Nicolas aime les chevaux et être cuirassier lui convient bien.
Alors qu’il effectue des manœuvres à Châlons, dans la Marne, le 28 juillet 1914, le régiment reçoit l’ordre de regagner sa caserne, puis de se diriger vers les Ardennes et vers la frontière avec la Belgique. La guerre n’est pas encore officiellement déclarée avec l’Allemagne, mais l’Autriche est déjà en guerre avec la Russie. L’engrenage est inévitable.
Le 9e Régiment de Cuirassiers mène des missions de reconnaissance, de l’autre côté de la frontière, dans la région de Bertrix et Neufchâteau, , dès que les Allemands sont entrés sur le territoire de ce pays ami qu’est la Belgique.
Quand les cavaliers français croisent les uhlans, il y a souvent échange de tirs, même quand les consignes imposent d’éviter tout incident. Les Cuirassiers ne peuvent supporter la vue d’un casque à pointe !
Dans ces premiers mois de guerre, les cavaliers sont relativement protégés, par rapport aux copains de l’infanterie, mais plus le front se stabilise, plus la guerre s’enterre avec ces si sordides tranchées de boue, plus la place du cheval devient périlleuse.
Nicolas va dans la Marne, puis, il fait partie des troupes chargées d’empêcher les Allemands de rejoindre la Manche, fin septembre 1914. C’est la Bataille de l’Yser, puis l’Artois où il passe l’hiver, avant de partir en Champagne, dès février 1915.
Nicolas est ensuite muté, à l’été 1915, au 6e Régiment de Cuirassiers. Retour au front dans l’Artois, puis direction la Somme, vers Montdidier, pour des exercices d’entraînement et un peu de repos à l’arrière, avant de repartir combattre en Champagne.
Dans la guerre de tranchées, les cuirassiers et leurs chevaux deviennent de moins en moins utiles. Curieusement, alors que la mort des hommes se banalise, la vue d’un animal qui meurt à petit feu, les sabots englués dans la boue des tranchées, est toujours traumatisante, surtout pour celui qui est en charge du cheval.
Le 14 février 1916, Nicolas est muté au 66e Régiment d’Infanterie. C’est à Crécy-en-Ponthieu, dans la Somme, que ce régiment effectue les derniers entraînements avant de partir pour Verdun. Comme pour beaucoup de fantassins français, après avoir connu l’enfer de Verdun au printemps 1916, il rencontre, à la fin de l’été, celui de la Bataille de la Somme.
Après plusieurs jours de combats, c’est, au cours d’une mission à l’arrière du front, qu’il manque à l’appel. Déclaré déserteur le 8, il est rayé des contrôles le 9 novembre 1916. Arrêté par la Gendarmerie d’Amiens, puis jugé séance tenante, il est condamné, le 30 novembre, à 3 ans de travaux forcés pour « désertion à l’intérieur en temps de guerre, coupable d’avoir le 9 novembre porté publiquement sans en avoir le droit la décoration de Croix de Guerre et les insignes de sergent d’Infanterie ».
La peine est toutefois suspendue jusqu’à la fin des hostilités. De là à penser que l’armée ne peut se passer de tous les hommes valides, même considérés comme délinquants, il n’y a qu’un pas…
Nicolas est alors affecté, le 3 décembre 1916, au 135e RI, puis, suite à une mesure disciplinaire, au 32e RI. Il est de nouveau déclaré déserteur quelques jours plus tard. Il est arrêté, à Paris, le 24 janvier, par les agents de police du 19e arrondissement. Emprisonné, il est à nouveau jugé le 9 avril, et condamné à 10 ans de détention et à la dégradation pour « désertion à l’intérieur en temps de guerre ». Cette fois-ci le risque de récidive semble trop grand. L’Armée n’en veut plus dans ses rangs.
Il est alors exclu de l’Armée et affecté à la 2e Section des Exclus Métropolitains à la Prison militaire d’Amiens. C’est de la prison qu’il apprendra la signature de l’Armistice. Mais, comme on pouvait s’y attendre, la fin de la guerre n’entraîne pas la fin de sa peine.
La condition des déserteurs n’est pas enviable dans une prison militaire. « Lâche », « couard », « embusqué » quand il n’est pas traité de « criminel », les insultes à son égard sont nombreuses de la part des gardiens. Tant d’hommes, tant de copains ne sont pas revenus, et lui est toujours vivant. Sa libération intervient le 8 janvier 1922, après presque 5 ans de captivité.
Nicolas se retire chez sa mère, en Région parisienne, puis revient finalement dans sa région natale. Après Marcelcave, il habite ensuite à Berteaucourt-les-Thennes. Deux villages peu éloignés de Beaucourt. Il ne reverra plus la ferme de son grand-père. Comme presque toutes les habitations du village, elle a été détruite pendant la guerre.
L’enfer aussi est passé par là…
Nicolas devient alors vacher. Faire paître les troupeaux et passer de longs moments dans la campagne, loin des hommes et de leur folie meurtrière, est-ce une voie vers la paix intérieure ? Peut-être…
Il est mort, le 7 avril 1946. Après la Seconde Guerre mondiale.
Lionel JOLY et Xavier BECQUET
« De la Somme à Bellefontaine – 22 août 1914 » – recherche collaborative 1891, 1892, 1893 – Département Somme. Christine BARBAUT a réalisé la collecte de données pour la commune de Beaucourt-en-Santerre.
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