23 août 8h30 – Joffre à Langle de Cary (commandant de la 4e armée française qui a livré les combats du 22 en Province de Luxembourg) : « L’ensemble des renseignements recueillis ne montre devant votre front que trois corps ennemis environ. Par suite, il vous faut reprendre l’offensive le plus tôt possible »
23 août 10 heures – Langle de Cary à Joffre ; « J’avais donné l’ordre cette nuit de reprendre l’offensive. Il faut reformer les unités dissociées sur une position de repli. J’ai la conviction que les troupes qui ont fléchi hier ne tarderont pas à se reprendre et à être en état d’attaquer à nouveau. »
Mais le désastre des Coloniaux et de bien d’autres unités empêche l’exécution de l’ordre de reprise de l’offensive. Beaucoup d’officiers ont été tués dans ces combats et certaines compagnies sont complètement réduites à néant. Dans leur retraite de Bellefontaine, les Français du 120e RI abandonnent 127 blessés qui seront faits prisonniers, alors que 170, environ, ont pu être emmenés vers Montmédy. Dans d’autres lieux, les Allemands ne s’embarrassent pas de blessés comme prisonniers.
Si les combats ne se sont pas poursuivis le 23 à Rossignol et à Bellefontaine, d’autres unités moins touchées ont réussi à se reconstituer et à mener des combats. La surprise est grande pour les Allemands qui pensaient que la victoire de la veille allait leur permettre d’entrer en France dès le 23.
Dans les poches desquelles les Français ont battu en retraite, les Allemands en profitent pour prendre possession des villages.
Les pertes allemandes ont été très importantes également. A Rossignol, malgré l’éclatante victoire, il y aurait plus de 2 000 victimes. A Bellefontaine, on en dénombrerait plus de 1 700.
Le spectacle est dantesque pour une population qui ne peut en croire ses yeux. Des centaines de corps partout. Les caniveaux sont rouges de sang. Les villageois commencent à procéder au transport des corps. Les premières fosses communes sont creusées. Il faut dire qu’il fait particulièrement chaud en ce dimanche 23 août.
Les pertes pour le département de la Somme sont déjà énormes. Plus de 1 000 hommes sont hors de combat, dont au moins 400 qui ont été tués. Parmi eux, plus de 350 effectuaient leur service militaire avant la déclaration de guerre, et ils ont été en première ligne des combats du 22 août, essentiellement en Belgique. 191 ont été tués dans la seule bataille de Bellefontaine.
Le plus jeune Samarien qui a été tué s’appelait Bernard de Hauteclocque. Il avait 18 ans. Il s’était engagé le 2 août 1914, et avait été incorporé comme cavalier, au 14e Hussards, régiment dirigé par son père, Wallerand de Hauteclocque. Le père et le fils ont été tués le 22 août à Ethe.
Au contraire du sud du Luxembourg belge, où certains champs de bataille du 22 sont épargnés par les combats, dans la région de Charleroi et Mons, les combats ont repris avec une intensité encore supérieure au jour précédent. Les soldats des Corps d’Armée de Rouen et de Rennes, ainsi que les troupes britanniques, y subiront de terribles pertes.
Entre la Sambre et Meuse, et la Province de Luxembourg, c’est dans la région de Dinant qu’une autre terrible tragédie va se jouer.
Dans la nuit du 21 au 22 août, l’arrivée d’une colonne d’éclaireurs allemands dans la cité avait causée la terreur parmi la population. Encore une fois, les témoins parleront d’ivresse chez les agresseurs, et les Allemands se justifieront en évoquant la présence de francs-tireurs. Des civils avaient été tués.
Cet épisode, après toutes les rumeurs circulant sur la volonté allemande de détruire la cite, a déclenché un vent de panique. Le 22, plus de 2 500 habitants décident de s’abriter derrière les lignes françaises, de l’autre côté du fleuve. Malheureusement, l’accès leur est impossible. Les Français ont posé des barbelés et des mines pour ralentir la progression allemande. Le Quartier général français priorise les aspects militaires et refusent à la population de traverser le fleuve. Ils font continuer les travaux de fortification de la rive gauche. Puis les soldats français font sauter l’une des arches de la passerelle de Bouvignes et le pont ferroviaire. La population est maintenant bloquée sur la rive droite. Attendant avec terreur, cachée dans les caves, l’arrivée des Allemands.
Le 23 août, un peu avant 6 heures, ils arrivent. Les Allemands évacuent la scierie Ravet où plusieurs familles s’étaient réfugiées. Ils séparent les femmes et enfants des hommes, et exécutent ces derniers sur place. Pendant toute la journée, ils fouillent les maisons avoisinantes et exécutent les hommes sur place ou après les avoir groupés dans la cour de l’usine. Les femmes et les enfants sont envoyés à l’abbaye de Leffe. A 9 heures, un officier rassemble 45 hommes dans la cour de l’abbaye et les fait fusiller. Toute la journée, des habitants seront emmenés dans l’abbaye. Un groupe de 43 personnes découvertes dans la manufacture de tissus y sera conduit. Les 43 seront exécutées devant un amoncellement de cadavres. Dans le quartier Saint-Nicolas, les Allemands expulsent tous les habitants des maisons et des caves. Ils s’en servent comme boucliers humains contre les tirs des Français qui tiennent encore l’autre rive du fleuve. Ils mènent ensuite l’ensemble des prisonniers devant l’habitation du procureur Tschoffen. Les hommes sont isolés du groupe et aligné en quatre rangs. L’officier leur explique « Vous autres, civils, vous avez tiré sur nos soldats. Nous allons vous faire une leçon », puis il ordonne le tir. Plus de 160 hommes s’écroulent.
Dans l’après-midi, alors que certains Allemands sont occupés à construire un pont provisoire pour traverser le fleuve, des coups de feu sont tirés des hauteurs par les derniers soldats français encore présents. Les Allemands se dirigent vers les maisons et emmènent 45 personnes, dont femmes et enfants. Ils les regroupent avec d’autres otages qui sont déjà près du rocher Bayard, puis tirent. Une trentaine de femmes et dix-huit enfants sont parmi les victimes. Les Allemands se rendent ensuite dans les maisons qui n’ont pas encore été visitées, et y lancent des grenades à main. 25 personnes sont déchiquetées et 13 autres gravement mutilées.
Le soir du 23 août, plus aucun habitant n’est libre. Tous les rescapés ont été entassés dans la caserne, dans l’église de Leffe et dans l’abbaye, surveillés par des soldats allemands.
Le bilan est terrible. 675 habitants ont été tués, dont 76 femmes et 38 enfants.
A Tamines, dès le 21 au soir, les Allemands procèdent à des regroupements des civils, qu’ils finissent par relâcher en dehors de la ville. Alors que les combats sont très vifs de l’autre côté de la Sambre, le 22 au matin, les Allemands continuent à faire des prisonniers parmi la population civile, en les positionnant à proximité des pièces d’artillerie, comme pour s’en servir de boucliers humains. En fin d’après-midi, ce groupe de 300 personnes est emmené vers l’église déjà surpeuplée de civils retenus par force. En fin d’après-midi, un officier allemand ordonne aux hommes, environ 600, de sortir de l’église et se diriger vers la place Saint-Martin, entièrement couverte de soldats. Après avoir, une nouvelle fois, parlé de francs-tireurs, l’ordre est donné au peloton de tirer, ce qu’il fait à deux reprises.
Le dimanche matin, un nouveau groupe de civils est emmené à proximité de l’amas de cadavres place Saint-Martin. A midi, une table est dressée pour que les officiers allemands puissent se restaurer, avant d’assister à la suite du macabre spectacle. Quatre cavaliers apportent alors un message de l’état-major demandant d’épargner le reste de la population.
A Tamines, 384 civils ont été tués et 229 ont été blessés.
Malheureusement, l’ordre d’épargner les civils ne parvient pas partout. Et dans d’autres villages, notamment dans le sud de la Province de Luxembourg, les Allemands se livrent également, dès le 23, à des exécutions de civils et à l’incendie d’un grand nombre de maisons. A Rossignol et à Tintigny, pendant que leurs maisons brûlent, des civils sont rassemblés et enfermés. Hommes, femmes, enfants, pris au hasard, parmi une population qui ne comprend pas pourquoi elle est victime d’une telle violence. Plus de 15 000 soldats allemands sont à Rossignol et aux alentours en ce lendemain de victoire éclatante contre les Coloniaux français. 15 000 soldats armés, contre 500 habitants apeurés. Est-ce vraiment la peur de quelques francs-tireurs qui peut expliquer de tels massacres de civils ? Est-ça la guerre totale dont parlaient certains officiers allemands en entrant sur le sol de la neutre Belgique ?
RETROUVEZ TOUTES LES CHRONIQUES QUOTIDIENNES DU DEBUT DE LA GRANDE GUERRE, A PARTIR DU 28 JUILLET 1914, EN CLIQUANT ICI
Publié par