ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – quatre gars du canton de Conty

Né le 9 juillet 1892, Norbert SELLIER est le fils de Florentin SELLIER et de Valentine CARON.

Florentin et Valentine se connaissent depuis toujours. Ils habitent à Taisnil, petit village de 200 habitants situé au Sud-Ouest de la Somme dans le canton de Conty. Leurs parents sont cultivateurs. Les parents SELLIER ont une ferme dans la Rue du Val et les CARON dans la Chaussée d’Amiens.  Florentin et Valentine se marient le 17 janvier 1891 à Taisnil.

Quelques mois plus tard le petit Arthur vient au monde puis, une année plus tard, arrive Norbert. Il n’y aura pas d’autre enfant.

Le village de Taisnil s’est installé au fond d’une vallée sèche. L’activité est presque uniquement agricole. En raison du relief accidenté qui favorise les pâturages, l’élevage est très développé. Il n’y a ni usine, ni entreprise. La vente des produits de la ferme s’effectue sur les marchés de Conty et d’Amiens. Les villageois parcourent 3 kilomètres pour prendre le train à la halte de La-Neuville-les-Loeuilly située sur la ligne de chemin de fer qui relie Amiens à Conty avant de poursuivre vers Beauvais dans l’Oise. Le village compte une vingtaine d’écoliers qui fréquente la classe unique de Monsieur DUVAUCHELLE.

Quand Arthur, l’aîné des deux garçons est convoqué en 1911 devant le conseil de révision de Conty, son père vient juste d’être libéré définitivement des obligations militaires. A cette époque, les hommes doivent attendre d’avoir atteint l’âge de 45 ans pour être certains d’être enfin tranquilles vis-à-vis de tout risque de mobilisation.

Arthur SELLIER est affecté au 128e Régiment d’Infanterie pour y effectuer les deux années de service actif obligatoire. Il rejoint la caserne Courbet d’Abbeville en octobre 1912.

Un an plus tard, Norbert SELLIER, quitte également la ferme familiale pour remplir son devoir patriotique. Jugé apte au service armé par le conseil de révision installé en mairie de Conty, Norbert est affecté au 72e Régiment d’Infanterie. La ferme SELLIER semble bien vide en l’absence des deux garçons.

Dans le train qui l’emmène à Amiens, Norbert SELLIER remarque de nombreux jeunes du canton qui ont subi l’épreuve du conseil de révision à Conty en même temps que lui. Même si le voyage ne dure pas très longtemps, les informations ont toutefois largement le temps de circuler dans les voitures remplies presque uniquement de jeunes appelés. Chacun tente d’identifier ceux qui doivent rejoindre le même régiment. Norbert n’est pas seul.

Trois autres garçons du canton sont affectés également au 72e RI : Arnauld RUFFIER d’Oresmaux, Jules FLOURY de Conty et Hilaire WASSET de Belleuse.

Les quatre jeunes hommes descendent du train en gare Saint-Roch d’Amiens et remontent à pied, avec des dizaines d’autres garçons venus de toute la Somme et des départements limitrophes, l’Avenue Foy vers la caserne Friant.

Après les examens médicaux obligatoires et les séances d’habillement et de dotation d’équipement, deux des quatre nouveaux venus du canton de Conty quittent la caserne amiénoise en direction de l’Est du département de la Somme. Plusieurs compagnies du 72e RI ont été transférées d’Amiens vers Péronne. Pour Norbert SELLIER et Arnauld RUFFIER le service militaire se déroulera maintenant dans la caserne Foy à Péronne.

Arnauld RUFFIER est le fils d’Armand RUFFIER et de Sabine LEFEVRE. Son père est garde-chasse et sa mère est couturière. Arnauld est le benjamin de la fratrie. Il a un frère prénommé Ulysse et une sœur prénommée Louise. La famille RUFFIER réside dans la Rue d’Hautyon à Oresmaux.

Si le village d’Oresmaux compte environ cinq fois plus d’habitants que celui de Taisnil, la vie est sensiblement la même. Il n’y a ni industrie, ni entreprise installée dans la commune. A la différence de Taisnil, on trouve toutefois des commerçants, des artisans ainsi que quelques tisseurs de velours à domicile. La chasse est assez giboyeuse mais en partie réservée. C’est le cas de celle d’Armand LEFEVRE, un Parisien qui possède des terres et des bois sur le territoire de la commune et fait appel au père d’Arnauld RUFFIER pour en assurer la garde. Mais l’activité économique, comme à Taisnil et dans de nombreux villages du canton de Conty, demeure essentiellement organisée autour de l’agriculture et de l’élevage.

La vie de caserne rapproche les deux copains. La possibilité de parler du pays et des connaissances communes rend l’éloignement familial un peu moins difficile. Norbert SELLIER et Arnauld RUFFIER deviennent inséparables. A Péronne, les soldats font partie intégrante de la ville. La population les rencontre souvent lors de manœuvres ou de défilés. Les moments de détente sont aussi une source indéniable de revenus pour les estaminets et les auberges du centre-ville. La vie de soldat y est finalement peut-être moins pénible qu’ailleurs et pourtant chacun continue à compter le nombre de jours qui le sépare de la libération. Pour Norbert et Arnauld, le 3 août 1914, il en restait encore 396…

Le 3 août 1914, la guerre est déclarée par l’Allemagne. Tous les hommes effectuant leur service militaire dans les régiments de la Région militaire d’Amiens sont envoyés vers les frontières de l’Est de la France. Le 5 août, le 72e RI quitte la Somme.

S’il est relativement épargné pendant la Bataille des Frontières, fin août, le 72e RI subit des pertes importantes pendant la Retraite de l’Armée française dans la traversée de la Meuse et du département des Ardennes. Puis vient la Bataille de la Marne. Le régiment est positionné dans un secteur situé entre Vitry-le-François et Saint-Dizier. Chargés d’empêcher les Allemands de franchir les ponts sur la rivière Saulx et sur le Canal de la Marne, les hommes de la région d’Amiens doivent, selon les ordres, « résister jusqu’à la mort ». Entre le 6 et le 10 septembre 1914, le 72e RI est décimé.

Hilaire WASSET de Belleuse est évacué pour blessure. Soigné dans un hôpital de l’arrière, il ne revient au front que trois mois plus tard. Les morts et les blessés se comptent par centaines au sein du régiment. Les 3 autres copains du canton de Conty sont épargnés. Après un seul mois de guerre, être en vie tient déjà du miracle !

Les mois suivants, les combats se poursuivent en Argonne dans une guerre de tranchées destinée à prendre quelques mètres de terrain à l’adversaire dans des bois où les arbres deviennent de plus en plus rares. Le 21 septembre, Norbert SELLIER est évacué en raison d’une blessure par éclat d’obus au bras.

En novembre 1914, Jules FLOURY est évacué pour maladie. Les conditions de vie dans les tranchées sont inhumaines. La pluie et le froid ont raison des organismes. Jules est hospitalisé à l’hôpital militaire d’Amiens.

Après une courte convalescence, en janvier 1915 Norbert SELLIER est à nouveau envoyé au combat. 

L’année 1915 sera terrible pour les copains du canton de Conty. Le 22 février, Hilaire WASSET de Belleuse est tué au combat à Mesnil-les-Hurlus. Le 14 juillet, Arnauld RUFFIER disparaît au Bois Bolante. Trois jours plus tard, Norbert SELLIER, blessé, est capturé par les Allemands. Il est transporté vers un camp d’internement Outre-Rhin où il passera trois ans et demi.

Jules FLOURY a vécu plusieurs évacuations pour maladie et pour blessures. Il a vécu avec l’angoisse de repartir à chaque fois au front. Jules a finalement été capturé par l’ennemi le 12 juin 1918. La guerre était terminée pour lui. Son univers est maintenant celui du camp de Gardelegen.

Rapatrié le 8 décembre 1918, Norbert SELLIER a bénéficié d’une permission de 30 jours qu’il a passé dans sa famille à Taisnil… avant d’être mobilisé pour assurer le maintien de l’ordre sur le territoire. Il n’a été démobilisé qu’en août 1919.

Jules FLOURY est rentré en France le 10 janvier 1919. Blessé gravement à l’épaule droite, il en a gardé un handicap bien après la fin de la guerre. Jules a repris sa vie à Conty où il a été embauché chez BONFILS, le marchand de grains. Jules est mort en 1936 à l’âge de 44 ans.

Arthur, le seul frère de Norbert SELLIER, a survécu à la guerre. Blessé gravement par balle au début de la guerre, il n’a jamais pu retrouver l’usage de sa main gauche.  Arthur a quitté le monde agricole. Il est devenu hôtelier à Poix, ville située dans le Sud de la Somme.

Après la guerre, Norbert a épousé Herminie GUILLEMONT, une réfugiée de Rancourt village détruit de l’Est de la Somme. Ils ont construit leur petite exploitation agricole, non loin de celle des parents SELLIER dans la Rue du Val à Taisnil. Norbert et Herminie n’ont pas eu d’enfant.

Norbert n’a jamais oublié ce jour d’octobre 1913 où l’aventure du service militaire débutait. Il n’a jamais oublié les visages d’Arnauld RUFFIER et d’Hilaire WASSET, ceux qui l’accompagnaient vers ce riche moment de fraternité qu’était la vie en caserne pour des jeunes hommes de 20 ans. Des visages qui n’ont jamais vieilli.

Norbert SELLIER est mort le 30 décembre 1979 à l’âge de 87 ans.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET

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