ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – Paul LEJEUNE, de Mons-Boubert à L’Etoile

Né le 27 juillet 1879, Paul LEJEUNE est le fils d’Achille LEJEUNE et d’Anasthasie COUILLIER.

Achille est meunier à Mons-Boubert. Il habite avec sa famille à côté du moulin qu’il exploite, dans le chef-lieu de Mons.  Il s’agit d’un moulin à vent en briques. Le père d’Achille, grand-père de Paul, originaire de Seine-Inférieure, est courtier en bestiaux à Arrest. Il est venu s’installer à Mons-Boubert après le décès de son épouse et n’en a plus bougé.

Achille et Anasthasie ont déjà trois enfants quand naît en mars 1883 la petite dernière, prénommée  Albertine. Fernande est l’aînée, suivie par Marie et par Paul. La naissance d’Albertine est difficile. L’enfant est en bonne santé, mais il n’en est pas de même pour la maman. Deux mois plus tard, la jeune mère de 32 ans meurt, laissant Achille avec ses quatre enfants en bas âge.

Les enfants sont élevés par leurs grand-mères. Malheureusement, les deuils se succèdent. En deux ans, les deux grands-mères disparaissent. Les quatre enfants sont alors placés dans la famille éloignée. Ils quittent Mons-Boubert.

Paul est un bon élève. Il entre à l’Ecole Normale d’Amiens. A 21 ans, il accomplit son service militaire obligatoire. A l’issue de cette année sous les drapeaux, débutée au 128e Régiment d’Infanterie à Abbeville et terminée au 72e RI à Amiens, Paul LEJEUNE obtient sa première nomination d’instituteur stagiaire. Il enseigne à Feuquières-en-Vimeu, village distant d’à peine dix kilomètres de Mons-Boubert. La nomination suivante l’envoie à l’autre bout du département, à Epehy dans le canton de Roisel. Une destination finalement bien heureuse puisqu’il y rencontre l’amour.

Berthe CROGNIER est institutrice stagiaire à Epehy. Elle est née à Bouillancourt-en-Sery près de Gamaches. Son père était jardinier au château d’Ansennes à Bouillancourt. La famille a résidé dans les communs du château pendant quelques années. Quand les Cottini-Rouget, nouveaux propriétaires du château,  sont arrivés, la famille CROGNIER a quitté la commune. Elle s’est installée à Doignies, entre Bapaume et Cambrai. Au décès du père, Berthe, son frère Marius et sa mère sont revenus vivre dans la Somme à Longpré-les-Corps-Saints. Puis Berthe est devenue institutrice.

Paul LEJEUNE et Berthe CROGNIER se marient à Epehy en 1905. Mais les amoureux n’y restent pas longtemps. Paul reçoit une nouvelle nomination. Un poste d’instituteur public titulaire l’attend à Flesselles. Paul et Berthe s’installent alors dans cette commune rurale proche d’Amiens. Leurs deux enfants y naissent, Michel en 1907 et Max en février 1909.  Six mois après la naissance de Max, la famille doit déménager.

La rentrée scolaire de l’année 1909-1910 s’effectue à L’Etoile. La famille LEJEUNE occupe un logement dans l’école installée au coeur de la cité ouvrière de ce village situé au confluent de la Nièvre et de la Somme, près de Longpré-les-Corps-Saints.

Paul et Berthe résident dans la cité ouvrière des Moulins Bleus.  Dès le Moyen-Age, certains moulins de l’Etoile étaient utilisés pour broyer les feuilles de waide. La poudre bleue extraite de cette plante abondante dans la vallée était expédiée dans toute la France. D’autres moulins, utilisés pour produire de la farine ont été progressivement reconvertis, utilisant une partie de la force hydraulique pour actionner les bancs à broches et autres machines à peigner d’une filature de lin et de chanvre. Le site où étaient implantés ces moulins a naturellement pris le nom de Moulins-Bleus, en référence à la couleur de la plante tinctoriale des marais de la Nièvre et de la Somme. Ce nom a été donné à l’usine textile que les frères Saint ont rachetée et développée à partir de 1883.

L’usine emploie plus de 1 100 personnes. L’emploi et les conditions d’hébergement offertes dans la cité ouvrière ont incité de nombreuses familles à venir s’installer dans la commune. Beaucoup de ces ouvriers n’avaient jamais bénéficié d’un tel confort. La fraternité et la solidarité sont aussi un maître mot. C’est dans ce contexte que grandissent Michel et Max, les enfants de l’instituteur public, Paul LEJEUNE.

Le 1er août 1914, quand la mobilisation générale est décrétée, Michel a 7 ans et Max en a 5. Leur père part à la guerre. Paul avait effectué deux périodes d’exercices de trois semaines chacune en 1903 et en 1906. Même si, il a demandé à être dispensé en tant qu’instituteur, l’Armée le considère apte. Le 2 août au matin, à l’heure du départ, comme dans chaque maison de la Cité des Moulins Bleus, c’est la tristesse et l’inquiétude qui prévalent.

La classe de l’instituteur Paul LEJEUNE aux Moulins Bleus à L’Etoile – à sa gauche, son fils, Max LEJEUNE.
Au 2e rang, le plus à gauche, son autre fils, Michel LEJEUNE (photo g.lancel.free.fr)

Un long cortège constitué des hommes, des femmes et des enfants de la Cité se dirige vers Longpré-les-Corps-Saints où se trouve la gare. Les quatre kilomètres de marche paraissent bien courts. Les adieux sont déchirants. Même si la presse se veut rassurante, les récits des scènes de guerre et de violence racontés par les anciens qui ont connu la guerre de 1870 sont dans toutes les têtes. Le souvenir des 300 prisonniers français jetés pour une nuit dans l’église de Longpré-les-Corps-Saints sous la garde des terribles Uhlans en décembre 1870 s’est transmis de génération en génération.

Dans d’autres maisons, dans d’autres villages, les mêmes scènes se reproduisent. A Mons-Boubert, ce sont les deux beaux-frères de Paul qui sont mobilisés. Henri FREVILLE, l’époux de Marie et Fortuné BLIECQ, celui d’Anasthasie. A Longpré, c’est Marius CROGNIER, le frère de Berthe, qui est mobilisé.

Dans leurs têtes d’enfants, Michel et Max ne comprennent pas tout. Ils perçoivent l’angoisse des adultes mais n’imaginent pas que la guerre peut leur prendre leur père et leurs oncles.

Paul doit rejoindre à Amiens le 12e Régiment d’Infanterie Territoriale. Promu sergent pendant son service militaire, il sait qu’il va devoir diriger un groupe d’hommes, y compris lorsqu’il faudra les emmener au combat.

Le 12e RIT quitte Amiens, à partir de la gare Saint-Roch, dans la nuit du 5 au 6 août 1914 en direction d’Hazebrouck avec pour mission de surveiller la frontière, de la Lys jusqu’à la mer.

Quelques jours plus tard, Paul écrit à son épouse, Berthe, seule institutrice encore présente à L’Etoile. Après avoir exprimé tout l’amour qu’il a pour elle, il lui transmet ses consignes si le pays venait à être occupé. « Noublie pas tout d’abord que ton devoir de fonctionnaire est de ne quitter ton poste qu’au dernier moment. Mais tu as également de grandes obligations envers nos chers petits : tu dois les mettre à l’abri du danger. Toutefois, j’aime à croire que tu ne seras pas victime de l’affolement général et que tu ne quitteras les Moulins Bleus qu’à la dernière extrémité ».

Dès le 27 août, suite à la défaite de la Bataille des Frontières l’ordre de repli est donné dans l’Armée française. Le 12e RIT doit participer à la défense de la ville d’Amiens avant de poursuivre sa route vers le Sud, précédant les troupes allemandes qui se dirigent vers Paris.

La Bataille de la Marne a stoppé la progression allemande, et des troupes sont envoyées à l’Ouest pour empêcher l’ennemi de rejoindre la mer. Le 12e RIT est envoyé en Flandre occidentale. Alors que les territoriaux, les « vieux » soldats devaient avoir un rôle de soutien, ils se retrouvent en première ligne. Le 7 novembre, le régiment participe à l’action offensive, avec l’armée belge, pour dégager Nieuport et conserver les passages sur l’Yser. Le 9, une attaque est portée vers Lombaertzyde.

Paul LEJEUNE est gravement blessé. Un éclat d’obus lui déchire le mollet gauche et lui fracture le péroné. Paul ne pourra plus combattre. Il est évacué et passe de longs mois dans un hôpital de l’arrière. Renvoyé dans ses foyers le 4 avril 1916, il n’est pas réformé. Il ne peut plus marcher correctement mais il peut encore être utile à l’armée. La Commission de réforme d’Amiens le maintient dans les services auxiliaires de l’Armée. Paul doit quitter sa famille. Il part fin juin 1916 pour rejoindre le dépôt du régiment. Il n’est démobilisé définitivement qu’en janvier 1919.

Même si Paul a été blessé physiquement, il estime qu’il a eu beaucoup de chance car ses enfants ne seront pas orphelins, comme tant d’enfants dans la Cité. A la fin de la guerre, Michel a 12 ans et Max en a 10. Leur père est revenu. Boiteux mais vivant.

Fortuné BLIECQ, le mari d’Anasthasie, est mort en captivité en Allemagne. Marius CROGNIER, le frère de Berthe, a été gravement blessé, gardant à jamais des séquelles bien visibles dans le cou et les joues. Parmi les beaux-frères, seul Henri FREVILLE s’en est sorti sans trop de dommages physiques. Pour les enfants que sont Michel et Max, le traumatisme est bien réel. La guerre a frappé leur famille.

La famille LEJEUNE à L’Etoile, de gauche à droite :
Max, Paul FREVILLE le cousin de Michel et Max, Berthe , Paul LEJEUNE et Michel (photo: g.lancel.free.fr)

Paul LEJEUNE a repris son activité d’instituteur public dans la Cité des Moulins Bleus puis s’est investi dans le militantisme socialiste. Il a assuré notamment la direction du Cri du Peuple, journal de la fédération socialiste de la Somme. Michel, son fils aîné, a suivi la même voie. Devenu instituteur, il milita également à la SFIO. Quant à Max, fils d’instituteur, petit-fils de meunier, arrière-petit-fils de courtier en bestiaux, après de brillantes études à la Sorbonne et son adhésion, en 1929, aux Etudiants Socialistes, il devint un des hommes politiques les plus importants du département de la Somme du XXe siècle. Elu député à 27 ans et secrétaire d’Etat à 28 ans, il devint maire d’Abbeville, sénateur, président du Conseil Général de la Somme et ministre à plusieurs reprises.

Max Lejeune

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Max LEJEUNE, sous-lieutenant au 151e Régiment d’Artillerie a été capturé en juillet 1940. Affirmant son opposition au régime de Vichy, il fut envoyé dans un camp de représailles à Colditz d’où il tenta de s’évader, puis à Lübeck d’où il parvint à établir une liaison avec la France Libre.

Paul LEJEUNE, son père, a quitté la Cité des Moulins Bleus pour exercer son métier d’instituteur à Feuquières, là où il avait débuté sa carrière, dans le Vimeu de sa jeunesse. Paul, comme ses fils Michel et Max, connaissait l’importance de l’enseignement des valeurs républicaines dans un monde qui sortait d’une terrible guerre. Une guerre qui lui avait laissé, sur la jambe gauche, le souvenir d’un monde qui était devenu fou.

Le 18 octobre 1953, c’est Max LEJEUNE, président du Conseil Général de la Somme, qui vint inaugurer le nouveau groupe scolaire du village de l’Etoile.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET

Si vous voulez trouver des informations complémentaires sur l’histoire du village de L’Etoile, n’hésitez pas à vous rendre sur l’excellent site de Ghislain LANCEL g.lancel.free.fr

Publié par

2 commentaires sur « ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – Paul LEJEUNE, de Mons-Boubert à L’Etoile »

  1. A 20 ans, d’âge de partir en Algérie pour défendre une cause contraire à mes convictions (indépendance de l’Algérie) MAX Lejeune, un nom, associé, à celui de Robert Lacoste illustre de biens tristes souvenirs.

    J’aime

Laisser un commentaire