Né le 6 mai 1892, Lucien DELATTRE est le fils de Pierre DELATTRE et de Marie POT.
Pierre est originaire de Rainneville et Marie du village de Pierregot. Les centres de ces deux communes du canton de Villers-Bocage ne sont éloignés que de trois kilomètres. Situées au Nord d’Amiens, Rainneville et Pierregot se trouvent sur la grande route qui relie Amiens à Arras.

Pierre et Marie se sont mariés le 10 janvier 1891. Ils résident Rue Neuve à Rainneville. Comme de nombreux habitants du village, Pierre exerce le métier de cordonnier. A Rainneville, une cinquantaine d’hommes travaillent encore à domicile pour des fabricants amiénois.
Lucien naît au printemps 1892. Etienne, le deuxième et dernier enfant du couple, voit le jour à Rainneville le 11 mars 1898.
Dès leur plus jeune âge, les garçons aident leur père dans le petit atelier familial. L’école d’Alfred HIVER, l’instituteur public, est souvent secondaire quand les commandes exigent de la main d’œuvre supplémentaire. Rainneville est un village de 600 habitants environ.

Lucien est un jeune adolescent quand il perd son père. La vie ne lui laisse alors plus le choix. Il faut travailler pour subvenir aux besoins de sa mère et de son jeune frère. Lucien se fait embaucher comme apprenti-cordonnier chez son oncle Armand. Etienne l’y rejoint quelques années plus tard. Marie, leur mère, est ouvrière agricole dans plusieurs fermes de Rainneville.
L’activité de cordonnier à domicile disparaissant progressivement, Lucien et Etienne deviennent, comme leur mère, ouvriers agricoles.

Jugé apte au service armé par le Conseil de Révision réuni à la mairie de Villers-Bocage, Lucien DELATTRE est redevable de deux années de sa vie pour servir la patrie.

A Rainneville, ils sont 6 à quitter ensemble leur village de Rainneville, le 9 octobre 1913 au matin, pour rejoindre la gare d’Amiens. Il y a les cousins Eusèbe et Louis DARQUET, Robert CARPENTIER, Anatole FOUQUET et Louis OGER qui accompagnent Lucien DELATTRE. Six petits gars qui vont découvrir l’univers du service militaire et qui seront accueillis par les plus anciens comme des « bleus », comme des perdreaux de l’année…

A l’exception de Louis OGER affecté au 51e RI de Beauvais, les copains de Rainneville prennent tous le train à la Gare du Nord d’Amiens en direction de l’Est de la France. Les cousins DARQUET et Robert CARPENTIER sont affectés au 151e RI de Belfort, Anatole FOUQUET au 164e RI de Verdun et Lucien DELATTRE au 18e Bataillon de Chasseurs à Pied à Longuyon en Meurthe-et-Moselle.

Le 18e BCP était caserné à Stenay dans la Meuse jusque début octobre 1913. Afin de libérer des locaux pour accueillir les effectifs du 120e Régiment d’Infanterie de Péronne, le 18e BCP a quitté sa caserne Chanzy pour rejoindre le 9e BCP dans la caserne Lamy de Longuyon.
Le déplacement de nombreux effectifs de l’armée active vers les frontières de l’Est ne laissait guère de doute sur l’éventualité d’une prochaine guerre contre les voisins d’outre-Rhin.

Moins de dix mois après l’arrivée des jeunes appelés de Rainneville dans leurs casernes, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Le 18e BCP est une des premières unités à être sollicitée. Doté de compagnies de cavaliers, de cyclistes et de chasseurs à pied, le 18e BCP effectue des missions de reconnaissance dans le Sud de la Belgique avant de localiser les éventuels mouvements de troupes ennemies. Le 4 août les Allemands ont pénétré sur le territoire de la Belgique qu’ils veulent traverser pour envahir la France. La résistance belge autour de Liège a ralenti leur progression sans toutefois les empêcher de poursuivre leur marche.

Lucien DELATTRE connaît son épreuve du feu le 22 août 1914 dans la plaine du Radan à Bellefontaine, petit village belge situé près de la frontière française. Le 18e BCP combat aux côtés du 120e Régiment d’Infanterie. Les morts se comptent par centaines. Nombreux sont originaires de la Somme.
La vie de soldat rescapé débute alors pour Lucien. Il sait que la mort peut le surprendre à tout moment. Il sait que la vie ne tient plus qu’à un fil pour lui. Et Dieu sait combien de temps tout ça va encore durer !

Le 2 février 1915, à La Chalade, près de Vienne-le-Château en Argonne, Lucien est évacué pour pieds gelés. Le 21 avril 1916, à Douaumont, il est blessé par balle au bras gauche. Après être rentré au dépôt du régiment, Lucien DELATTRE est muté vers l’Armée d’Orient. Il débarque à Salonique le 20 janvier 1917. La guerre se poursuit en Grèce et en Macédoine pour le petit gars de Rainneville. Les combats y sont particulièrement meurtriers et les maladies le sont presque tout autant.

Lucien DELATTRE retrouve le sol français le 7 février 1919. L’Armistice est signé depuis près de 3 mois. Lucien est démobilisé le 4 août 1919. Il peut enfin retrouver son village. Retrouver sa mère et son frère.

Etienne aussi a fait la guerre. Plus jeune que Lucien, il a été mobilisé en mai 1917 à l’âge de 19 ans. Etienne DELATTRE a survécu. Jugé apte au service armé malgré une handicapante arthrite de la jambe gauche, Etienne s’est illustré sur les champs de bataille. Il a été cité à l’ordre de la IIIe Division pour avoir « permis la capture de 20 prisonniers qui résistaient et empêchaient la progression de son unité ». Hospitalisé à Fontainebleau pour phimosis en mai 1918 puis en novembre 1918 à Strasbourg pour bronchite, Etienne n’a pas gardé de séquelles physiques de la guerre. Quant aux séquelles mentales, il aurait été tellement indécent de les évoquer alors que tant de familles sont endeuillées dans le village, alors que tant de rescapés sont profondément handicapés.

Les cousins Eusèbe et Louis DARQUET ont été tués. Robert CARPENTIER a souffert toute sa vie de sa jambe gauche blessée par des éclats d’obus au Mort-Homme en août 1917. Louis OGER a perdu l’usage de son bras droit à la suite d’une blessure par balle. Quant à Anatole FOUQUET, la vie a basculé pour lui le 22 février 1916 au Bois des Caures. Des éclats d’obus l’ont atteint au visage. Le jeune homme blond aux yeux bleus est devenu une « victime de la face ». Il n’a jamais pu écarter la mâchoire de plus d’un centimètre. Jusqu’à la fin de sa vie en janvier 1979…

Après la fin de la guerre, Lucien DELATTRE s’est marié. Il a épousé une jeune fille de Pierregot nommée Françoise MINET. Lucien et Françoise ont vécu quelques années dans la maison familiale des DELATTRE, Rue Neuve à Rainneville puis se sont installés à Allonville.

Lucien est devenu garde particulier au domaine du château d’Allonville. Jean HENNESY, le propriétaire passionné de chasse aimait emmener sur les 2 000 hectares de son domaine des invités de marque, des « grands fusils ». Désiré DUPRE, le garde-chef et Lucien DELATTRE, son adjoint, n’avaient pas leur pareil pour organiser de magnifiques chasses… aux perdreaux.

Lucien DELATTRE est mort le 15 décembre 1969 à l’âge de 77 ans.
Lionel JOLY et Xavier BECQUET
Merci à Philippe DELATTRE pour la mise à disposition des photos de famille
(photo d’en-tête réalisée par les frères Seeberger entre 1910 et 1911 – site archives ecpad.fr)
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