Né le 5 août 1893, Gaston TURPIN est le fils d’Achille TURPIN et de Claire VASSEUR.
Thiepval est un petit village situé dans le canton d’Albert, au Nord-Est d’Amiens. Les habitants sont réunis sur deux entités, le chef-lieu, Thiepval, situé sur les hauteurs de la rive gauche de l’Ancre, et le hameau de Saint-Pierre-Divion au fond de la vallée.

Au total, le village dont l’activité est presque uniquement agricole, compte moins de 300 personnes à la fin du XIXe siècle.
Le village dispose de son école dont Monsieur BINES est l’instituteur public. L’abbé CARON est le curé du village et Camille DUFOUR est le garde-champêtre. A Thiepval, il y a un cabaret-bureau de tabac sur la place, un boulanger, un charcutier et à Saint-Pierre-Divion un débit de boisson.

Si une majorité des habitants travaille dans les différentes petites fermes de Thiepval, le principal employeur du village est bien le châtelain, Monsieur de BREDA. Le magnifique château entouré d’un grand parc tout aussi admirable impose la présence de plusieurs domestiques et jardiniers au service du Comte Jacques de BREDA.

Les TURPIN ne travaillent pas au château. Les parents d’Achille TURPIN sont cultivateurs dans la Rue Dupuy et ceux de son épouse, Claire VASSEUR, ont une petite ferme dans la Rue de Pozières. Suite au décès de son beau-père en 1899, c’est dans cette ferme que s’installe Achille, avec Claire et leurs trois fils, Désiré, Edgar et Gaston. Et même si les TURPIN arrivent en nombre, Madame Veuve VASSEUR prénommée Aldegonde, reste la maîtresse des lieux.
Les garçons TURPIN ont une scolarité plutôt satisfaisante. Ils fréquentent l’école avec assiduité et savent tous les trois bien lire et écrire. Désiré, l’aîné né en 1883, certainement conforté dans son choix par l’abbé CARON, décide de rentrer dans les ordres. Il quitte alors le canton pour la grande agglomération amiénoise où le Grand Séminaire lui tend les bras.
Ses deux frères cadets restent à la ferme pour apporter une aide à leurs parents. L’un ou l’autre prendra un jour la direction de l’exploitation agricole familiale. A moins qu’ils ne décident de s’associer et de rester toujours ensemble, avec femmes et enfants.

Edgar, né en 1892, est le premier des deux garçons à passer devant le Conseil de Révision à Albert. Il est affecté au 42e Régiment d’Artillerie de La Fère.
Le départ de son frère cadet, Gaston, aurait dû suivre quelques jours plus tard. En effet, si Edgar était encore soumis à l’ancienne loi sur le service militaire imposant le départ sous les drapeaux aux 20 ans révolus, Gaston était concerné par la loi Barthou de l’été 1913. Alors que la classe 1912 partait début octobre 1913, les jeunes hommes de la classe 1913 devaient les rejoindre dans les casernes dès la fin novembre 1913. L’imminence d’une guerre contre l’Allemagne justifiait cet afflux massif de jeunes recrues sous les drapeaux.
Mais Gaston étant agriculteur et devenant le seul fils employé dans la ferme familiale, il bénéficie alors d’un sursis pour « frère déjà sous les drapeaux ». En temps de paix, l’Armée ne souhaite pas empêcher les cultivateurs de remplir leur mission si importante que celle de nourrir les populations. Gaston continue à s’occuper de la ferme avec son père, pendant que Désiré est au séminaire et Edgar sous les drapeaux. Son tour viendra bien un jour.

Le 3 août 1914, la guerre est déclarée. Les hommes du 42e Régiment d’Artillerie encore présents dans l’Aisne, à la Fère, partent deux jours plus tard pour rejoindre leurs copains déjà casernés à Stenay dans la Meuse depuis plusieurs mois. Le 12 août, Edgar voit arriver son frère Gaston à Stenay. Son sursis étant annulé, Gaston est mobilisé pour servir son pays et il est incorporé, comme Edgar, au 42e Régiment d’Artillerie.
Gaston ne participe pas aux premiers combats. Il doit suivre l’instruction militaire nécessaire pour devenir opérationnel. Le 17 octobre, sa formation terminée, il est transféré au 2e Régiment d’Infanterie Coloniale. Gaston ne combattra jamais aux côtés de son frère Edgar.
A l’automne 1914, le village de Thiepval est occupé par les Allemands. Les habitants restés sur place sont devenus les otages des Allemands. Les hommes sont rapidement transférés vers la Belgique occupée ou en Allemagne pour y servir de main d’œuvre. Les femmes et les enfants sont utilisés par l’occupant pour remplir des tâches ménagères. Achille TURPIN et Claire VASSEUR n’ont pas quitté leur village. Originaires l’un et l’autre de ce village, eux qui n’en sont presque jamais sortis à part pour aller à Albert ou de rares fois à Amiens, où auraient-ils pu bien fuir ?

Thiepval devient une véritable forteresse pour l’occupant allemand. Placé sur une hauteur qui permet de dominer les terres situées au Nord d’Albert, les tranchées creusées autour du village et au-dessus de Saint-Pierre-Divion deviendront vite infranchissables pour les soldats français relayés à partir de l’été 1915 par les troupes de l’armée britannique.
Le château du Comte de Breda, réquisitionné pour abriter les officiers allemands, subit des tirs d’artillerie particulièrement violents pendant plus de deux années. Devenu une ruine, il ne sera jamais reconstruit.

Si Gaston était sursitaire pour le service militaire, il ne l’est pas pour le combat. En mars 1915, dans la Marne, il est blessé à la poitrine par éclat d’obus. Après trois mois d’hospitalisation à l’arrière, il revient au front le 22 juin 1915, pour être à nouveau blessé quelques jours plus tard. A Marie-Thérèse, en Argonne, une balle lui touche la région temporale droite. Quelques millimètres de plus et la vie s’arrêtait. Mais la chance est au rendez-vous et seulement deux mois plus tard, Gaston TURPIN revient au front.
Pendant la Bataille de la Somme, début septembre 1916, à Barleux, Gaston est évacué suite à une blessure à l’avant-bras gauche par éclats d’obus. Quand la convalescence est terminée, la guerre est loin d’être finie pour lui. Un autre front l’attend. Gaston est affecté au 22e RIC puis au 54e RIC avec lequel il embarque pour le front d’Orient. Arrivé au début de l’été 1917, il tombe malade au début du mois d’août. Transféré à l’hôpital temporaire de Zeintenlik en Thessalonique, Gaston TURPIN meurt de dysenterie sans avoir pu être soigné.
Gaston ne sera jamais fermier à Thiepval.

Edgar TURPIN ne quitte pas le 42e Régiment d’Artillerie pendant toute la guerre. S’il n’est pas confronté aux combats de tranchée en tant que canonnier-conducteur, la peur est toujours présente. Dans une guerre de position, les batteries d’artillerie de l’ennemi deviennent vite les principales cibles. Et quand les canons ne peuvent atteindre cette cible, d’autres moyens sont alors utilisés. Edgar est victime des gaz. Evacué pour maladie en décembre 1917, il l’est à nouveau en mars 1918, puis en septembre 1918. Les poumons sont atteints. C’est à l’hôpital de Valence dans la Drome qu’Edgar TURPIN meurt de broncho-pneumonie le 1er octobre 1918.
Prisonniers civils en Belgique, Achille et Claire, les parents TURPIN, sont libérés et rapatriés après la signature de l’Armistice. Eux qui connaissaient par cœur leur village de Thiepval avant la guerre ne peuvent rien en reconnaître. Tout est détruit. Pas une maison, pas un bâtiment n’a été épargné. L’église, l’école, le château ne sont plus que des ruines. Le territoire placé en zone rouge n’est plus cultivable.

Comme presque tous ceux qui habitaient le village avant la guerre, les TURPIN ne sont pas revenus à Thiepval. Seuls, 16 habitants résidaient dans la commune en 1921. En 1926, ils n’étaient encore que 46. Parmi eux, une dizaine de britanniques résidents permanents de la commune, étaient chargés de préparer la construction du Mémorial qui allait faire connaître le nom de Thiepval dans le monde entier. Un gigantesque arc de triomphe portant les noms des 73 000 britanniques disparus sur les champs de bataille de la Somme de juillet 1915 à mars 1918 et n’ayant aucune sépulture connue.

Achille et Claire ont quitté la région pour s’installer Rue Dézobry à Saint-Denis en région parisienne où habitait leur fils Désiré. Il n’était plus question de redevenir fermiers. Ils n’avaient plus ni ferme, ni terre. Mais tout ça n’aurait pas été bien grave si leurs enfants étaient encore vivants. Seul Désiré, l’aîné de la fratrie a survécu. Après avoir arrêté ses études ecclésiastiques à Amiens, Désiré est devenu employé à Paris de la Compagnie du Nord du Chemin de fer en 1908. Cet emploi civil lui a peut-être sauvé la vie. Mobilisé en août 1914, il a bénéficié d’une affectation spéciale dans les chemins de fer. Démobilisé en mars 1919, Désiré TURPIN a pu retrouver une vie civile presque normale aux côtés de son épouse Eugénie DESLIONS.
Après la guerre, lui non plus n’est pas revenu à Thiepval. Désiré a vécu en Région Parisienne, non loin de ses parents. Il est mort le 27 février 1974 à l’âge de 90 ans.

Parmi les six noms inscrits sur le monument aux morts du village martyr de Thiepval, on trouve ceux des frères TURPIN, morts à 24 et 26 ans. Des jeunes hommes qui profitaient de leur jeunesse dans ce charmant village surplombant la belle Vallée de l’Ancre et qui voulaient simplement vivre ici tranquillement leur vie d’adulte.
Lionel JOLY et Xavier BECQUET

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