Né le 7 décembre 1889, Lucien DUCHATEAU est le fils d’Amédée DUCHATEAU et de Jeanne BAUDHUIN
Amédée a passé son enfance à Morisel et Jeanne à Moreuil. Les deux communes sont mitoyennes et tous les jeunes se connaissent. Moreuil, la plus grande, est une cité industrielle où les fabriques de bonneterie emploient une part importante de la population. Si Moreuil compte plus de 3 000 habitants à la fin du XIXe siècle, il y en a six fois moins à Morisel. Dans ce village qui était essentiellement agricole, les jeunes paysans sont devenus ouvriers et travaillent maintenant presque tous comme bonnetiers ou badestamiers dans la cité voisine de Moreuil. C’est le cas d’Eugène, le père d’Amédée.

Amédée et Jeanne se marient à l’hôtel de ville de Moreuil au début de l’année 1888. L’amour est passé par là. Amédée a 20 ans et Jeanne est âgée d’à peine 18 ans. Le jeune couple s’installe dans un petit logement à Moreuil où naît, neuf mois plus tard, LucienDUCHATEAU. Amédée, son père, est faiseur de bas dans l’usine POINTIN.
Le bonheur est hélas de bien courte durée. La maladie frappe la pauvre Jeanne qui s’éteint le 7 août 1891, à 21 ans et demi, alors que son mari est à Saumur où il effectue son service militaire. Lucien n’a même pas 2 ans. Il est trop jeune pour se souvenir du visage de sa maman. Le petit Lucien DUCHATEAU est alors placé définitivement chez ses grands-parents maternels, Frédéric et Eugénie BAUDHUIN. Ils résident dans la Rue du Santerre à Moreuil.

Après le décès de son épouse, Amédée le père de Lucien, ne quitte pas Moreuil. Le jeune veuf « refait » sa vie, se marie et trois enfants naissent de cette union. Lucien n’y a pas sa place. Le petit orphelin reste chez ses grands-parents maternels.
En l’absence de sa mère et de son père, sa vie d’enfant est emplie de manques, même si ses grands-parents l’entourent de toute leur affection. Mais vivre à Moreuil, ce n’est pas vivre seul pour un jeune garçon. Les copains de son âge sont nombreux. Lucien est un bon camarade. C’est aussi un bon élève et un bon paroissien.

L’âge de l’école obligatoire dépassé, Lucien DUCHATEAU se tourne vers l’apprentissage. Il devient menuisier chez LIGNY. A 18 ans, il épouse Marie-Adèle COZETTE. Lucien et Marie-Adèle résident Rue de Créqui à Moreuil. Le jeune adulte quitte la menuiserie et devient bonnetier, comme presque tous les garçons de son âge.

En 1910 vient le moment de remplir son devoir patriotique. Jugé apte au service armé, Lucien DUCHATEAU est affecté au 72e Régiment d’Infanterie d’Amiens. Le 4 octobre 1910, il prend le train en gare de Moreuil en direction de la capitale picarde. Parmi les jeunes qui attendent le train pour partir au service militaire, deux ont reçu également une affectation pour le régiment de la caserne Friant. Il s’agit de Louis NORMAND et de Louis BEDIER. Ils sont tous deux bonnetiers. Louis NORMAND réside Rue des Aires à Moreuil avec sa mère et ses frères et sœurs et Louis BEDIER habite Rue Veuve Thibauville avec son père et ses frères. Même s’ils ont déjà vécu de nombreuses expériences ensemble pendant leur jeunesse, les deux années à venir vont permettre aux 3 copains de beaucoup mieux se connaître.

Lucien et les deux Louis de Moreuil savent qu’ils ne vont pas être les seuls de la commune présents dans la caserne Friant. Ils y retrouvent Marcel BOURSE, bonnetier également chez BOULY. Marcel réside dans la Rue Veuve Thibauville à Moreuil. Un autre Moreuillois est aussi au 72e RI. Il est sous-officier. C’est Georges HELLUIN, né en 1889 comme Lucien DUCHATEAU. Il est déjà sous les drapeaux depuis deux années. Il a signé en 1908 un engagement pour cinq ans. Georges HELLUIN, qui était pensionnaire chez Alfred DERICQUES, Rue de la Gare à Moreuil, travaillait également comme bonnetier chez BOULY avant de partir à l’armée.

Marcel BOURSE est libéré de ses obligations militaires à l’automne 1911. Lucien DUCHATEAU, Louis NORMAND et Louis BEDIER quittent la caserne Friant le 25 septembre 1912. Quant à Georges HELLUIN, il met fin à son engagement le 30 juillet 1913.
Quand la Mobilisation générale est décrétée, le 1er août 1914, quatre des cinq jeunes hommes qui ont retrouvé la vie civile sont mariés. Seul Louis NORMAND n’a pas encore trouvé l’âme sœur.

Ayant terminé depuis peu de temps le service militaire, ils sont jugés aptes à combattre de suite, sans instruction complémentaire, si les conditions l’exigent. Les 5 garçons sont convoqués immédiatement pour la caserne Friant d’Amiens qu’ils rejoignent le 2 août afin d’y recevoir l’habillement, l’armement et le matériel nécessaire. Le 5 août 1914, le train les transporte jusqu’à la gare de Dun-sur-Meuse près de la frontière avec la Belgique.
Le 72e combat au mois d’août 1914 en Belgique, près de Meix-devant-Virton, puis quand l’Armée française bat en retraite, le régiment amiénois est dans la Meuse et dans les Ardennes. Début septembre, les rescapés du 72e RI arrivent dans le Sud du département de la Marne. Le 5 septembre, le général Joffre donne l’ordre à toutes les troupes d’arrêter de marcher et de se préparer à l’offensive prochaine pour repousser les Allemands.

Les hommes de la 3e Division d’Infanterie à laquelle appartient le 72e RI reçoivent l’ordre de défendre les ponts sur la Saulx et sur le canal de la Marne et d’empêcher les Allemands de passer. Ils doivent « résister jusqu’à la mort ».
Les combats débutent le 6 septembre sur un front allant de l’Est de Paris jusqu’à Verdun. Si les Allemands sont repoussés dès la première journée dans certains secteurs, notamment près de Paris, il n’en est rien dans la zone située entre Vitry-le-François et Saint-Dizier où évoluent les hommes des régiments de la 2e région militaire d’Amiens. A Pargny-sur-Saulx et à Maurupt-le-Montois, le 72e et le 128e RI tentent de résister le plus longtemps possible. Les combats durent cinq jours. Les conséquences sont dramatiques. Les morts se comptent par centaines au 72e RI.

Louis NORMAND est tué pendant les combats. Louis BEDIER et Georges HELLUIN, gravement blessés, sont évacués vers les ambulances les plus proches. Ils meurent de leurs blessures quelques jours plus tard.
Lucien DUCHATEAU est également gravement blessé mais il est transportable. Son épaule droite a été « emportée par un obus » et son pied gauche a été touché. Lucien est évacué vers l’hôpital complémentaire N°4 de Limoges. C’est le lycée des garçons Gay-Lussac, Boulevard Georges PERIN, qui a été réquisitionné pour y accueillir les blessés. Lucien reste à Limoges jusqu’en mars 1915.

Si la douleur est moins forte, la mobilité a en partie disparu. Lucien ne peut plus utiliser son bras droit. Quant au pied, la flexion permanente des quatre derniers orteils l’empêche de marcher correctement. Réformé temporairement à Bourges le 19 mai 1915, il n’est renvoyé dans ses foyers que le 25 mars 1916. Lucien DUCHATEAU a survécu à la guerre mais plus rien ne sera plus jamais comme avant pour lui. Estropié de guerre pour toujours.
Des cinq copains de Moreuil, seul Marcel BOURSE a survécu sans blessure à la Première Bataille de la Marne et aux combats qui ont suivi en Argonne et dans la Meuse. En avril 1916, Marcel BOURSE est transféré au 1er Régiment de Génie. En quittant l’Infanterie, statistiquement, les risques se réduisent. Marcel a de la chance, même s’il est évacué du front plusieurs fois pour maladie. Il est démobilisé définitivement en juillet 1919.
Marcel BOURSE est mort à Paris en 1959.

Invalide de guerre, Lucien DUCHATEAU est revenu vivre à Moreuil, cité en ruines après les combats du printemps 1918. C’est dans sa commune de naissance que Lucien DUCHATEAU est mort à l’âge de 73 ans. Survivant de l’horreur, il n’a jamais pu oublier le visage de ses copains tombés dans la Marne, au tout début de la Grande Guerre. Des camarades bonnetiers, des copains d’enfance qui avaient partagé son quotidien pendant deux ans entre les murs de la caserne Friant d’Amiens. Des camarades qui étaient beaucoup plus que des frères d’armes.
Les noms de Louis NORMAND et de Louis BEDIER sont inscrits sur le monument de Moreuil. Celui de Georges HELLUIN est gravé sur le monument aux morts d’Amiens.
Xavier BECQUET
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