ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – Marius LAIGNEL et Fabien SUEUR, instituteurs à Airaines

Marius LAIGNEL est né le 14 juillet 1890 à Caix.

Fabien SUEUR est né le 2 novembre 1891 au Mesge.

Rien ne prédestinait Marius et Fabien à se rencontrer.

Marius LAIGNEL passe son enfance à Caix, commune du canton de Rosières-en-Santerre. Ce village de l’Est du département de la Somme compte plus de 1 300 habitants à l’époque où Marius vient au monde. Trois usines à vapeur spécialisées dans la bonneterie occupent plus de 1 000 ouvriers.

Georges LAIGNEL, le père de Marius, est bonnetier chez Capronnier. Georges épouse Anne Marie PILLON. Le jeune couple s’installe Rue des Fleurons à Caix. Leur premier enfant est une fille prénommée Georgette. Trois ans plus tard naît Georges.

Fabien SUEUR passe son enfance dans le village du Mesge dans le canton de Picquigny. La petite commune de l’Ouest du département de la Somme compte à peine plus de 200 habitants. Elle est située entre Soues et Riencourt, à huit kilomètres de Picquigny.

Polycarpe SUEUR, le père de Fabien, est maçon. Les deux grands-pères de Fabien, qui habitent tous deux au Mesge, sont également maçons. Magloire SUEUR, le grand-père paternel, réside Rue du Pont et Léopold GRESSIER, le grand-père maternel, réside Rue Au Lin. Fabien est fils unique. Polycarpe et son épouse, Jeanne, habitent une petite maison située dans la Rue d’Hangest.

Leur avenir semble tracé. Marius deviendra tricotier et Fabien deviendra maçon. Il n’en est rien.

Parmi les amis de la famille LAIGNEL à Caix, il y a deux instituteurs. Estève NEUTE, le directeur de l’école publique et Gabriel VASSEUR, un jeune instituteur qui habite à quelques maisons de la leur, dans la Rue des Fleurons. C’est pourtant un troisième homme qui est vraisemblablement à l’origine de la vocation de Marius. Edgard HULLIN vient de prendre la direction de l’école de Caix en remplacement de Monsieur NEUTE quand le jeune Marius fait sa première rentrée scolaire. Marius aime l’école. Il devient rapidement un très bon élève. Marius ne veut pas devenir tricotier ou ouvrier d’usine. Marius veut devenir instituteur.

Au Mesge, Théodorat ROUCOUX est l’instituteur public du village. L’ambiance de l’école du Mesge est bien différente de celle de Caix. Les élèves y sont peu nombreux. Le village est essentiellement composé de familles d’agriculteurs ou d’artisans. Théodorat ROUCOUX occupe un logement communal au-dessus de la salle de classe avec son épouse Berthe. Au Mesge, l’école est située à côté de l’église. Même s’il apprécie l’abbé FAMECHON, Fabien ne veut pas entrer dans les ordres. Fabien veut devenir instituteur comme l’est Monsieur ROUCOUX. Fabien ne sera pas maçon.

En 1906, Marius LAIGNEL quitte le Santerre pour la capitale de la Picardie. Il entre à l’Ecole Normale d’Amiens.

En 1908, Fabien SUEUR quitte son canton de Picquigny pour faire son entrée, lui aussi à l’Ecole Normale des Instituteurs de la Rue Jules Barni.

Quand Fabien commence la formation, Marius débute sa 3e année d’études. Il effectue des stages dans des écoles d’Albert et de Corbie. Fabien et Marius se connaissent de vue. A l’automne 1909, Marius LAIGNEL est nommé instituteur titulaire à Airaines.

En septembre 1911, Marius s’apprête à débuter sa 3e année scolaire dans l’école publique de la Rue Saint-Denis à Airaines quand arrive Fabien SUEUR, fraîchement diplômé de l’Ecole Normale.

L’école des garçons d’Airaines compte trois classes. Elle est dirigée de main de maître par Charles LABITTE. Monsieur LABITTE réside sur place avec son épouse Gabrielle et ses deux filles, Germaine et Solange.

Le troisième instituteur est originaire d’Ailly-le-Haut-Clocher. Il se nomme Georges VILPOIX.

La commune d’Airaines est en plein essor industriel. Les fabriques de toiles à sacs et d’emballages, les usines de velours et de coton, de savon vert, de peignes en corne, ont attiré de nombreuses familles vers cette petite bourgade de l’Ouest du département de la Somme. La population y est jeune. Les enfants sont nombreux. En plus des salles de classes, on trouve également un pensionnat de garçons et un pensionnat de filles.

Pour les jeunes enseignants d’Airaines, la découverte de leur nouvelle vie professionnelle s’accompagne de moments d’amitié. Les instituteurs et les institutrices de la Rue Saint-Denis aiment à se rencontrer. Lucie FACQUEZ, Fernande COTTE ou Augusta CAUX, la fille de la charcutière de la Rue d’Amiens ont presque le même âge que Marius et Fabien. Pour ces jeunes gens de 20 à 23 ans qui viennent d’entrer dans la vie professionnelle, la vie est remplie de bonheur et d’espoir.

A l’automne 1912, Marius LAIGNEL et Fabien SUEUR doivent suspendre leur aventure pédagogique. Comme tous les jeunes hommes en bonne santé, ils doivent donner deux années de leur vie pour la patrie. Le conseil de révision les a jugés aptes au service armé. Georges VILPOIX, le troisième instituteur est exempté en raison de graves troubles visuels.

Marius et Fabien sont affectés au 128e Régiment d’Infanterie d’Abbeville pour y effectuer les deux ans de service militaire. Fin septembre 1914, ils pourront reprendre leur métier d’instituteur. Tous deux espèrent revenir ensuite à Airaines et retrouver leurs collègues et les enfants âgés de deux ans de plus.

Le 9 octobre 1912, Marius LAIGNEL et Fabien SUEUR franchissent le portail de la caserne Courbet à Abbeville. Le 128e Régiment d’Infanterie est composé essentiellement de jeunes hommes originaires de la Somme. L’identité picarde y est affirmée et malgré les manœuvres et les contraintes de la vie en caserne, la bonne ambiance est souvent au rendez-vous. Marius et Fabien sont inséparables.

Après douze mois de service militaire, Fabien SUEUR obtient le titre d’élève officier de réserve. Poussé par la hiérarchie qui voit en lui un futur officier, il accepte de suivre pendant six mois une instruction particulière. En avril 1914, Fabien SUEUR devient lieutenant de réserve.

Marius LAIGNEL ne souhaite pas suivre le même chemin. Contrairement à Fabien, il ne veut pas devenir officier de réserve après le service militaire. Marius veut avant tout terminer son service militaire et retrouver ce qui lui est le plus cher, l’enseignement. Marius est promu caporal puis sergent. Ce statut de sous-officier lui suffit amplement. Marius souhaite rester au 128e et terminer les quelques mois qui le séparent de la fin du service militaire sans rencontrer trop de difficultés.

Devenu officier, Fabien est affecté au 18e Bataillon de Chasseurs à Pied. S’il avait su que devenir officier l’aurait éloigné du 128e, il est vraisemblable que Fabien n’aurait jamais suivi cette voie. Fabien quitte la Somme pour le département de la Meuse où est caserné le 18e BCP.   

Le 5 août 1914, les hommes du 128e RI quittent la Somme pour rejoindre l’Est de la France. Après neuf heures de trajet en train, les jeunes soldats arrivent à Dun-sur-Meuse, à quelques kilomètres de la frontière belge. Bien que leurs régiments évoluent à faible distance l’un de l’autre, les deux instituteurs d’Airaines ne se revoient pas.

Pour les deux hommes, l’épreuve du feu survient le 22 août en Belgique. Fabien et le 18e BCP sont sur le territoire du village de Bellefontaine. Marius et le 128e RI, sont près de Virton. A quelques kilomètres l’un de l’autre.

Pendant la Retraite de l’Armée suivant la terrible défaite de la Bataille des Frontières, les deux copains savent que leurs régiments suivent la même route à travers la Meuse, les Ardennes et la Marne. Ils espèrent toujours pouvoir s’apercevoir. Mais le 18e BCP possède une large avance sur le 128e pour rejoindre le département de la Marne.

Les régiments de la région d’Amiens se positionnent début septembre, en bordure du Canal de la Marne dans le secteur de Pargny-sur-Saulx et Maurupt-le-Montois, pour participer à la Bataille de la Marne. La progression allemande doit être définitivement stoppée. Le général Joffre a rassemblé toute les forces actives et opérationnelles de l’Armée française. Les régiments picards sont positionnés entre Bar-le-Duc et Vitry-le-François.

Fabien sait où sont positionnés les hommes du 128e RI. Marius sait que son copain officier du 18e BCP n’est qu’à quelques kilomètres de lui. Pourtant, l’un et l’autre ont conscience qu’ils ne peuvent se voir une dernière fois avant le début des hostilités. Le 6 septembre, les combats sont rapidement défavorables aux troupes françaises. Les régiments de la Somme sont en situation particulièrement difficile. « Résister jusqu’à la mort » ont dit les commandants…

Le 10 septembre, à Maurupt-le-Montois dans la Marne, le Sous-lieutenant Fabien SUEUR est tué

Marius LAIGNEL survit à la Bataille de la Marne. Le 19 septembre, il est promu adjudant. En automne et en hiver, il connaît les terribles combats menés dans les tranchées du Bois de la Gruerie. La maladie, le froid et l’humidité y font presque autant de victimes que les balles et les obus. Marius est promu sous-lieutenant à titre temporaire à compter du 15 mars. Lui qui ne voulait pas devenir officier l’est finalement devenu. Comme Fabien.

Marius LAIGNEL est tué à l’ennemi le 27 avril 1915 au combat des Eparges, près de Verdun.

Les noms de Fabien SUEUR et Marius LAIGNEL sont inscrits sur la plaque commémorative de l’Ecole Normale des Instituteurs d’Amiens.

Georges VILPOIX, le 3e jeune instituteur d’Airaines, bien qu’ayant été réformé à plusieurs reprises à cause de sa déficience visuelle, a été miraculeusement jugé apte au combat à partir du mois d’août 1917. Les régiments étaient régulièrement décimés. L’Armée avait en permanence beaucoup de combler les trous. Georges a survécu à la guerre. Il a quitté Airaines et a continué sa carrière d’instituteur à Hallencourt puis à Abbeville.

Après la guerre, un jeune instituteur a été nommé dans l’école publique d’Airaines. A Belloy-en-Santerre, en septembre 1916, pendant la Bataille de la Somme, il avait été blessé par balle. Louis HAVET a enseigné toute sa vie, ne laissant rien paraître de l’enfer qu’il avait connu. Le plaisir de transmettre son savoir lui a souvent permis d’oublier cette vilaine cicatrice au niveau du ventre pourtant si douloureuse.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET

Note: les anciens locaux de l’Ecole Normale des Instituteurs à Amiens sont aujourd’hui occupés par le lycée Robert de Luzarches

Retrouvez d’autres parcours d’instituteurs :

Gaëtan CAUET de VAIRE-SOUS-CORBIE

Albert FOY de FOUENCAMPS

Paul LEJEUNE de MONS-BOUBERT

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