ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – les petits-fils d’Aurélie

Aurélie SALLÉ est née en plein cœur du XIXe siècle. Fille de Jean-Baptiste SALLÉ et d’Ambroisine CRIMET, Aurélie a vu le jour le 7 décembre 1840 dans le hameau de Bienfay, commune de Moyenneville.

Cet important hameau compte près de 300 habitants quand le chef-lieu de la commune en totalise à peine 200 de plus. On y trouve une dizaine de fermes. L’activité agricole est complétée, à la mauvaise saison, par des activités de cordonnerie ou de tissage. Plusieurs habitantes sont tisseuses.

La famille d’Aurélie est très modeste. Son père est journalier, alternant les métiers au gré des besoins des cultivateurs ou des artisans. Les trois frères d’Aurélie suivent la même voie que leur père. Ils ne s’installent jamais dans un emploi pour une longue période. Ainsi va la vie chez les SALLÉ de Bienfay. On se contente de peu. Le travail ne manque pas. Il faut juste aller le chercher là où il est et ne pas hésiter à mettre ses bras à contribution.

Aurélie est âgée d’à peine 20 ans quand naît son premier enfant. Prénommé Alfred, il est déclaré de père inconnu et porte donc le patronyme de sa mère. Il en est de même quand arrivent les autres membres de la fratrie. Aurélie donne naissance à six garçons et à une fille. Six des sept enfants survivent à la mortalité infantile. Les cinq garçons d’Aurélie sont de solides gaillards. A la naissance du dernier enfant, Aurélie quitte le hameau de Bienfay pour s’installer dans le chef-lieu, rue de Behen. Les garçons les plus âgés quittent la maison et deviennent ouvriers agricoles, domestiques de ferme ou journaliers, comme leur grand-père.

Aurélie ne se mariera jamais et les cinq garçons seront toute leur vie des « SALLÉ ». Marie, la seule fille de la fratrie, en épousant Charles CERUTTI, un garçon né à Paris, est devenue madame CERUTTI et leur enfant a pris le nom de son père. Mais Charles meurt deux ans après la naissance de son fils. Les quatre enfants suivants de Marie porteront alors le patronyme de SALLÉ, nés de père inconnu, reproduisant ainsi le même parcours de vie que sa mère Aurélie.

Les cinq garçons d’Aurélie se sont peu éloignés de leur mère. Octave et Alfred sont restés à Moyenneville et Ernest, Joseph et Léon ont vécu à Yonval, hameau de Cambron, limitrophe de la commune de Moyenneville. Leur sœur Marie est également restée à Moyenneville. C’est dans la maison de Marie, rue de la Place, qu’Aurélie vivra ses dernières années.

C’est dans les années 1890 que les premiers petits-enfants commencent à voir le jour.

Les petits-fils d’Aurélie, tous cousins germains, vivent dans un rayon de deux kilomètres à peine, entre Moyenneville et Yonval. Ils ont presque le même âge.

Ernest, né le 15 juillet 1891 et Paul, né le 5 août 1895, sont les fils d’Alfred SALLÉ et d’Alphonsine FREVILLE. Au décès de leur mère, ils ont été placés chez leurs grands-parents maternels. Ils résident rue de Behen à Moyenneville. Après la fin de l’école, ils deviennent journaliers agricoles.

Olivier, né le 13 septembre 1892, est le fils d’Ernest SALLÉ et de Zéphyrine FIRMIN. Olivier réside chez ses parents rue de Bienfay à Yonval, puis il se fait embaucher dans la ferme d’Ambroise RICHE à Moyenneville où il est nourri et logé.

Le cousin Léon, fils de Léon SALLÉ et de Marie BURGUET, né le 14 février 1892, suit le même chemin qu’Olivier. Après le décès de sa mère, Léon vit un moment chez sa tante Marie CERRUTI- SALLÉ à Moyenneville. Puis il trouve un emploi de domestique, rue de Behen, dans la ferme d’Ernest DUFESTELLE qui lui offre le gîte et le couvert.

Le cinquième petit-fils d’Aurélie se prénomme Henri. Né le 1er décembre 1897, il est le fils de Joseph SALLÉ et de Théodorine RICHE et réside avec ses parents rue de Cambron à Yonval. Il est le seul des cousins à quitter le secteur pour travailler. Il ne va pas bien loin. Le faubourg de Mautort de la grande cité d’Abbeville n’est qu’à quelques centaines de mètres du hameau de Yonval. Henri est ouvrier cordier chez DIEUDONNE à Abbeville.

Quand la guerre est déclarée, le 3 août 1914, 3 des petits-fils d’Aurélie sont déjà sous les drapeaux. Ils ont été appelés pour remplir leur devoir patriotique. Ernest SALLÉ a débuté en octobre 1912 son service militaire au 3e Régiment de Génie, avant d’être détaché un an plus tard à Casablanca pour participer aux opérations militaires au Maroc.

Olivier et Léon SALLÉ sont partis au service militaire en octobre 1913. Olivier a rejoint le 17e Régiment d’Artillerie à La Fère dans l’Aisne et Léon le 128e Régiment d’Infanterie à Abbeville.

Les cousins Paul et Henri SALLÉ sont trop jeunes pour répondre à l’ordre de Mobilisation générale. Leur tour viendra plus tard. Car contrairement aux prévisions optimistes publiées dans les journaux du mois d’août 1914, la guerre ne sera pas courte…

Les combats des premières semaines du conflit sont particulièrement meurtriers. Si Ernest est encore sur le sol marocain, Olivier et Léon ont déjà vu tomber de nombreux copains de leurs régiments quand l’automne 1914 arrive. La guerre s’enterre alors dans les tranchées. Les régiments de la région militaire d’Amiens sont embourbés dans le bois de Gruerie, en Argonne, où le moindre mètre de terrain gagné sur l’ennemi entraîne des dizaines de victimes. Léon SALLÉ est tué le 7 novembre 1914. Il avait 22 ans.

Paul SALLÉ, comme tous les jeunes de la Classe 1915, est appelé en décembre 1914. Après plusieurs semaines d’instruction militaire, il connaît lui aussi l’horreur des tranchées. Il rejoint le front au printemps 1915 dans le secteur de Mesnil-les-Hurlus puis est envoyé près de Verdun avec son régiment, le 72e RI d’Amiens. Le 24 septembre 1915, Paul est gravement blessé au bras gauche. En quelques heures, une « gangrène gazeuse » gagne son bras gauche. L’issue est irrémédiable. Paul est amputé du bras à hauteur de l’épaule. Il est renvoyé dans ses foyers en janvier 1916. La guerre est finie pour lui.  

Henri SALLÉ, le plus jeune des 5 cousins, est appelé le 5 juillet 1915. Il rejoint le 25e Régiment d’Artillerie de Campagne.

L’année 1916 livre encore un nouveau lot d’horreurs pour les cousins SALLÉ. Le 23 septembre 1916, près du village détruit de Fleury à quelques kilomètres de Verdun, Henri SALLÉ, le plus jeune des cousins, est tué. Il avait 19 ans.

Olivier SALLÉ est évacué vers l’arrière à plusieurs reprises pour maladie. En septembre 1916, il rejoint l’hôpital de Beauvais pour surdité. Il revient au front en janvier 1917 et combat jusqu’aux derniers jours de la guerre. Il est cité à l’ordre du régiment pour « le plus beau courage et un inlassable dévouement ». Olivier survit à la guerre mais son organisme fatigué ne résistera que quelques années à la maladie. Olivier SALLÉ meurt en 1929 à l’âge de 36 ans.

Ernest SALLÉ, l’aîné des cousins, est rapatrié du Maroc en juin 1916 et rejoint le front dans la Somme puis dans le sud de l’Aisne. Ernest échappe aux balles et aux éclats d’obus mais pas à la maladie. Après chaque convalescence, Ernest revient au front et remplit sa mission. Cité comme « travailleur infatigable et d’un grand dévouement », Ernest est démobilisé définitivement le 1er août 1919.

Après la Grande Guerre, les 6 enfants d’Aurélie sont encore tous vivants. Ernest, Léon et Joseph résident à Yonval alors qu’Alfred, Octave et Marie sont à Moyenneville. Ils sont toujours ouvriers agricoles ou journaliers, comme avant la guerre. Quand la guerre se termine, ils ont tous plus de 50 ans. La vie n’est pas simple mais tous peuvent vieillir.

Si la génération des oncles, trop âgée pour être envoyée combattre, n’a pas été touchée par le conflit, celle des cousins l’a été avec violence. Des cousins ayant la malchance d’avoir le « mauvais âge » au mauvais moment… Une génération sacrifiée !

Olivier SALLÉ meurt quelques années après l’Armistice, Ernest SALLÉ est malade des poumons et Paul SALLÉ n’a plus qu’un bras.  Les noms de Léon et d’Henri SALLÉ sont inscrits sur le monument aux morts de Yonval.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET

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