Né le 14 novembre 1897, Marcel DEFRANCE est le fils de Désiré DEFRANCE et de Jeanne CLABAUT.
Anthime DEFRANCE, le grand-père paternel de Marcel est originaire de la Vallée de la Bresle, où coule le fleuve côtier servant de frontière naturelle entre les départements de la Somme et de la Seine-Inférieure. Anthime y était serrurier.

Anthime a quitté son village de Longroy pour épouser Amélie GRANDPIERRE, la fille d’un charpentier d’Incheville. Ils se sont installés Rue des Fontaines. Désiré, le père de Marcel DEFRANCE, était leur 2e enfant. Désiré n’a pas vécu sa jeunesse à Incheville, en Seine-Inférieure entre Longroy et la Ville d’Eu, mais à Villers-Bretonneux, dans la Somme, sur le plateau du Santerre. L’activité de bonneterie y était en pleine expansion. La main d’œuvre qualifiée était la bienvenue dans les grandes fabriques de la cité.

Anthime DEFRANCE a quitté la serrurerie et la Vallée de la Bresle pour s’installer avec son épouse et ses jeunes enfants dans une petite maison de la Rue Théodore Delacour à Villers-Bretonneux, dans le quartier de la gare.
Villers-Bretonneux comptait près de 6 000 habitants. C’est dans cette grande ville que Désiré DEFRANCE a passé sa jeunesse, qu’il a rencontré sa future épouse, Jeanne CLABAUT, qu’il est devenu fileur de laine chez Delacour et qu’il est devenu père, à la fin de l’année 1897, d’un petit Marcel.

Marcel n’a jamais connu son grand-père Anthime, mort à Villers-Bretonneux longtemps avant sa naissance, à l’âge de 53 ans seulement.
Désiré et Jeanne DEFRANCE n’auront pas d’autre enfant que Marcel. Ils habitent à côté de la maison où vivent les parents et les sœurs cadettes de Jeanne. Le petit Marcel est très souvent chez ses grands-parents maternels, Modeste et Alphonsine CLABAUT. Il passe une jeunesse agréable entourée de l’amour de ses parents, de ses grands-parents et de ses deux tantes, Marthe et Elisabeth.

Marcel fréquente l’école publique de la cité. Brillant élève, il poursuit alors des études supérieures et réussit le concours d’entrée à l’Ecole Normale. En 1913, alors qu’il n’est même pas encore âgé de 16 ans, Marcel DEFRANCE est pensionnaire dans les locaux de la prestigieuse école des instituteurs de la Rue Jules Barni à Amiens. Après deux années d’instruction, si tout se passe bien, il obtiendra un poste d’instituteur dans une école de la Somme. Nul doute qu’il espère enseigner près de ses parents et ses grands-parents, à Villers-Bretonneux ou dans une commune du Santerre…

Le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. De nombreux instituteurs titulaires sont appelés. A 17 ans, Marcel n’est pas encore concerné par la Mobilisation générale. Il doit poursuivre sa formation.
Marcel retourne régulièrement à Villers-Bretonneux pendant les premiers mois de guerre. Le front s’est stabilisé à une vingtaine de kilomètres au Nord et le danger semble assez éloigné. Dans la Rue Théodore Delacour comme dans les fabriques de bonneterie de la ville, il n’y a plus beaucoup d’hommes. Il reste les plus vieux et ceux qui n’ont pas encore atteint l’âge de 20 ans. Désiré DEFRANCE, né en 1865, a été libéré des obligations militaires en 1911. Il n’a donc pas été mobilisé. Parmi ceux de la Rue Delacour qui risquent de partir si la guerre se prolonge, comme Marcel DEFRANCE, il y a 3 des frères CAGÉ et Sadi GOLLE.

Raoul CAGÉ est né en 1895, Eugène en 1896 et Albert en 1898. Les 3 frères travaillent dans l’usine de bonneterie de la Veuve Delacour, comme Désiré DEFRANCE le père de Marcel. Quant à Sadi GOLLE, né en 1895, il est garçon boucher.

Sadi est le premier à partir à la guerre. En décembre 1914, il est incorporé au 87e Régiment d’Infanterie de Saint-Quentin. De la même classe d’âge, Raoul CAGÉ est exempté pour musculature insuffisante.
Le 11 avril 1915, c’est au tour d’Eugène CAGÉ d’être mobilisé. Il n’a que 18 ans. Il rejoint le 45e Régiment d’Infanterie de Laon.
Marcel DEFRANCE sait qu’il fera partie du prochain contingent destiné à renforcer les unités combattantes. En cette année 1915, rien n’indique que la guerre va pouvoir prendre fin rapidement. Les soldats se sont enterrés dans les tranchées et le front ne bouge plus. Marcel est convoqué devant le Conseil de Révision de Corbie. Jugé apte, son départ est imminent. Il peut terminer sa formation d’instituteur. Pour devenir enfin maître d’école, il lui faudra attendre la fin de la guerre. Il est appelé le 9 janvier 1916 et rejoint le dépôt du 4e Régiment de Marche de Zouaves. La fin de la guerre ? Combien de mois, combien d’années faudra-t-il attendre ?

Marcel progresse rapidement dans la hiérarchie. Nommé caporal, puis sergent, il souhaite devenir officier. Le 15 octobre 1916, en tant qu’aspirant, il débute la formation d’officiers. Le 8 mai 1917, Marcel est envoyé au front. Alors qu’il n’a pas encore 20 ans, Marcel DEFRANCE se trouve à la tête d’une section composée de soldats presque tous plus âgés que lui.
Dès les premières semaines, Marcel est remarqué par l’état-major. Il est cité à l’ordre du régiment pour avoir « fait preuve de calme et de sang froid sous de violents bombardements de torpilles et d’obus de gros calibre. A été un très bel exemple pour les hommes de sa section dans les combats du 21 mai au 6 juin 1917 ».

Fin août 1917, le 4e RMZ est envoyé pour reprendre aux Allemands le Fort de la Malmaison dans le Sud de l’Aisne.
Le Fort de la Malmaison occupe le centre d’un plateau en forme de triangle dont la base est formée par le Chemin des Dames et les ravins au Nord de Jouy. Protégé par trois fortes tranchées et des abris nombreux et profonds, il constitue un obstacle de taille. La préparation de l’attaque s’étale sur plusieurs semaines avec notamment la construction d’un terrain d’entraînement reprenant les caractéristiques du Fort de la Malmaison. Les hommes du 4e RMZ lancent l’attaque dans la nuit du 23 octobre. En quelques heures, le Fort est détruit et les Allemands qui ont survécu sont capturés.

En mars 1918, le 4e RMZ est envoyé à Cuvilly dans l’Oise, pour stopper la progression des Allemands. Profitant de l’arrêt des combats sur le front russe, l’Armée de Guillaume II a rassemblé toutes les troupes disponibles pour lancer l’offensive Michael et rejoindre Paris au plus tôt. Pour les hommes du 4e RMZ, c’est dans le secteur d’Orvillers et de Boulogne-la-Grasse que l’affrontement a lieu dès le 28 mars. Pendant trois jours, les combats sont particulièrement meurtriers. Le 30 mars, l’ennemi n’avance plus, les Zouaves lui reprenant même du terrain.

Marcel DEFRANCE a été tué. Il n’avait que 20 ans.
De leur résidence provisoire à Paris où ils viennent d’être évacués, Désiré et Jeanne sont dans l’attente. Pendant plusieurs semaines, ils ne reçoivent plus de courrier de la part de Marcel. Peut-être que les lettres n’arrivent pas au bon endroit ? Peut-être que Marcel ne sait pas qu’ils ont dû quitter Villers-Bretonneux en catastrophe en raison des combats qui menaçaient la ville ? Pas de nouvelle, bonne nouvelle, se répètent-ils fréquemment.

La terrible nouvelle leur parvient quelques semaines plus tard. C’est à Paris qu’ils apprennent la disparition de leur enfant unique.
Après la guerre, Désiré et Jeanne DEFRANCE reviennent à Villers-Bretonneux. Si la commune est en ruines, Villers reste leur commune. C’était la commune de leur enfant mort pour la France. Ils participent activement à la reconstruction et retrouvent un logement dans leur rue, la Rue Théodore Delacour dans le quartier de la gare. Désiré et Jeanne travaillent comme bonnetiers. Ils le resteront toute leur vie. Ils ne se sont jamais quittés. C’est Jeanne qui est partie la dernière, à l’âge de 87 ans.

Dans la Rue Théodore Delacour, les trois frères CAGÉ ont survécu. Blessés, malades, portant le poids des séquelles physiques et morales, mais vivants. Eugène et Raoul sont partis vivre dans l’Oise, à Chaumont-en-Vexin d’où était originaire la fiancée de Raoul. Albert CAGÉ, le cadet, est revenu vivre à Villers-Bretonneux. Il résidait dans la Rue Parmentier.
Sadi GOLLE, le garçon boucher de la Rue Delacour, a survécu à la guerre. Démobilisé en août 1919, c’est à Amiens qu’il s’est installé. S’il a survécu aux combats, c’est bien la guerre qui l’a tué. Sadi GOLLE est mort le 7 octobre 1922, à l’âge de 27 ans.
Dans le cimetière communal de Villers-Bretonneux, ville où il rêvait tant d’enseigner un jour, une tombe porte le nom de Marcel DEFRANCE. Son corps n’y repose pas – il n’a jamais été retrouvé – mais son nom est inscrit au-dessus de celui de son père mort en 1940 et de sa mère décédée en 1957.

Le nom de Marcel DEFRANCE est aussi inscrit sur le monument aux morts de la commune et sur la plaque commémorative dans la cour de l’Ecole Normale d’Amiens où figurent ceux de tous les instituteurs de la Somme morts pour la France.
Lionel JOLY et Xavier BECQUET
Merci à Odile KUSNIERAK pour son aide
Remarque : les locaux de l’ancienne Ecole Normale des garçons sont aujourd’hui utilisés par le lycée Robert de Luzarches.
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