ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – une famille de serruriers du Vimeu

Né le 5 mai 1893, Gaston DERAMBURE est le fils de Désiré DERAMBURE et de Papianille SIFFLET.

Désiré et Papianille se sont mariés le 18 janvier 1883 à la mairie du Béthencourt-sur-Mer, leur village de naissance. Le jeune couple s’est installé dans la Rue de Bas à côté de la maison familiale des SIFFLET.

Désiré est ouvrier chez HAUDIQUER à Béthencourt, une des plus anciennes fabriques de serrurerie du Vimeu. Puis, à l’instar de son beau-père et voisin, Stéphane SIFFLET, il devient serrurier à domicile, alternant travaux des champs et serrurerie dans son atelier. L’agriculture et la fabrication des serrures, des cadenas mais aussi des sécateurs, assurent des emplois pour tous les habitants en âge de travailler. Béthencourt compte environ 1 000 habitants au début du XXe siècle.

Le petit Gaston est un bon élève et s’il sait parfaitement lire et écrire, il n’envisage pas de poursuivre les études. Le jeune Gaston devient tout naturellement serrurier. Avec sa mère Papianille et sa sœur Albertine, Gaston contribue à la vie du petit atelier familial dirigé par Désiré, le père. Les deux sœurs cadettes, Hélène et Adrienne, donnent également un coup de main. La vie familiale des DERAMBURE est organisée autour de l’atelier.

Au printemps 1913, Gaston est convoqué à Ault, chef-lieu de canton, pour y être examiné par les membres du Conseil de Révision. Même s’il lui manque un doigt – l’annulaire de la main gauche – Gaston est jugé apte au service armé. Son départ, comme celui de tous les jeunes hommes de la Classe 1913, est prévu à l’automne 1914. Rien ne presse et la vie peut se poursuivre normalement d’ici là…

A l’été 1913, les parlementaires débattent longuement autour d’un texte visant à modifier la loi sur le service militaire. Après des débats houleux et malgré des manifestations d’opposition sur tout le territoire, la loi des 3 ans est adoptée au mois d’août 1913. La durée du service militaire est allongée de 2 à 3 années et en raison des tensions internationales très vives, la classe 1913 sera appelée dès la fin de l’année 1913 quelques jours seulement après la Classe 1912.

Gaston DERAMBURE reçoit sa convocation pour rejoindre le 120e régiment d’infanterie de Péronne le 27 novembre 1913.

16 jeunes hommes de Béthencourt partent au service militaire le même jour, en cette fin novembre. Charles CAILLET, ouvrier agricole et Eugène DELETTRE, polisseur, sont incorporés, comme Gaston DERAMBURE, au 120e R.I.

Le 27 novembre 1913, ce n’est pas à Péronne qu’ils se rendent mais beaucoup plus loin. A Stenay. En raison de la situation internationale devenant explosive, le 120e RI a quitté Péronne pour aller caserner dans la Meuse, à quelques kilomètres de la frontière belge.

Le 120e RI participe aux premiers combats à Bellefontaine en Belgique, le 22 août 1914. Cette épreuve du feu est particulièrement éprouvante pour Gaston DERAMBURE. Il voit autour de lui tomber des centaines d’hommes. Des centaines de copains avec lesquels il partageait un bout de vie dans la caserne Chanzy à Stenay depuis plusieurs mois. Le traumatisme est d’autant plus violent pour Gaston que deux copains d’école du village sont parmi les disparus. Arcole CARON avait 22 ans et Adrien CASSIN, 21 ans.  

Le 22 août 1914, l’Armée française a perdu des dizaines de milliers d’hommes avec au moins 25 000 morts ou disparus. Après ce terrible échec, les troupes françaises battent en retraite. Le 120e RI traverse le département des Ardennes puis celui de la Marne en direction du Sud où il participe à la Première Bataille de la Marne entre le 6 et 10 septembre. Les combats autour de Sermaize-les-Bains et Pargny-sur-Saulx sont meurtriers. De nombreux copains ont disparu. A la mi-septembre, les hommes du 120e RI qui ont débuté la guerre et qui sont encore en état de combattre représentent moins d’un tiers des effectifs de départ.  

Le front se stabilise quelques jours plus tard après un recul de quelques kilomètres vers le Nord des soldats allemands. Gaston est envoyé, avec les rescapés du 120e RI et ceux des autres régiments de la Région militaire d’Amiens, pour creuser des tranchées dans le Bois de la Gruerie. Après une séance de vaccination contre la fièvre typhoïde, les hommes du 120e RI repartent à l’assaut des tranchées allemandes. Pour quelques mètres gagnés, ce sont, à chaque fois, plusieurs victimes qu’il faut compter.

Fait prisonnier le 24 octobre 1914, Gaston est emmené en captivité à Werben, au Sud-Est de Berlin, puis transféré à Lansdorf, près de Stuttgart où il tombe gravement malade. En juillet 1918, Gaston DERAMBURE est transporté en Suisse pour y être soigné dans un hôpital du Valais.

Quand il a été fait prisonnier par les Allemands, le 24 octobre 1914, Gaston était loin de s’imaginer que la guerre durerait encore plus de 4 ans et qu’elle ferait encore tant de victimes…

Eugène DELETTRE est mort à Vienne-le-Château, quelques jours après le départ en captivité de Gaston.

Charles CAILLET, blessé dans les mêmes combats autour du Bois de la Gruerie, a lui aussi fini la guerre dans un camp de prisonniers en Allemagne. Capturé en avril 1916, au Bois de la Caillette, il n’a été rapatrié en France qu’à la fin de l’année 1918.

De retour dans leur village de Béthencourt-sur-Mer au début de l’année 1919, Gaston DERAMBURE et Charles CAILLET s’estimaient certainement chanceux d’être en vie. Le poids de la culpabilité d’être rescapé sans avoir combattu pendant toute la guerre pesait-il toutefois sur les épaules ?

Deux jeunes cousins de Gaston avaient perdu la vie au combat. Bernard DERAMBURE, le fils de l’oncle Spérat, tué le 22 juillet 1915 à 19 ans et Léon SIFFLET, le fils de la tante Apolexine, mort le 23 août 1918 à l’âge de 20 ans. Aucune famille n’avait été épargné. Qui n’avait pas perdu un mari, un fiancé, un fils, un frère, un cousin, un copain, un voisin ?

Gaston DERAMBURE a épousé, dès son retour en février 1919, Clémence BEAUMONT, une Parisienne puis il s’est fait embaucher comme limeur aux Etablissements ROGER de Friville.

Gaston et Clémence ont vécu dans la Rue de Bas à Béthencourt. Quand Denise est née en 1923 puis Victorien en 1924, Gaston a pu mesurer à quel point il avait eu de la chance de survivre. Même s’il n’a jamais vraiment guéri de la maladie contractée en captivité, la tuberculose, Gaston a vu grandir ses enfants. Ni le copain de service militaire Eugène DELETTRE, ni les camarades d’école Arcole CARON et Adrien CASSIN, ni les cousins Bernard DERAMBURE et Léon SIFFLET n’ont eu cette chance. Ils avaient entre 19 et 22 ans. Leurs noms sont inscrits sur le monument aux morts de Béthencourt-sur-Mer.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET

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