ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – combien de larmes ?

Né le 3 avril 1888, Henri MARIE est le fils d’Aristide MARIE et de Marie-Blanche DEVAUX.

Si le petit Henri naît à Canchy, village situé entre Abbeville et Crécy-en-Ponthieu, sa vie d’enfant est rythmée par les changements de poste de son fonctionnaire de père.

Aristide MARIE, le père d’Henri, est originaire de Cauverville-en-Roumois dans le département de l’Eure. Issu d’une famille de cultivateurs, il a quitté le milieu agricole et son hameau de La Vieville pour devenir percepteur. Après ses études, c’est à la perception de Roisel, Rue de l’Eglise, qu’il a trouvé un emploi, travaillant sous les ordres du percepteur principal, Eugène LEBEGUE. Dans cette ville du Nord-Est du département de la Somme, Aristide MARIE a rencontré l’amour. Marie-Blanche DEVAUX était la fille d’un cultivateur de Roisel. Aristide et Marie-Blanche se sont mariés le 30 août 1887 à Roisel. Moins de neuf mois plus tard, est né Henri.

Avant que n’arrive leur premier enfant, le jeune couple avait quitté l’Est du département pour s’installer dans le Ponthieu, à l’Ouest de la Somme. Aristide y avait trouvé un poste de percepteur titulaire. Henri n’a gardé aucun souvenir du petit village de Canchy. Il n’avait même pas trois ans quand ses parents ont décidé de changer de domicile. A la fin du XIXe siècle, la seule possibilité d’évolution salariale, pour les fonctionnaires qu’étaient les percepteurs des petites communes, consistait à postuler vers d’autres postes mieux rémunérés. La destination suivante fut celle du plateau du Vimeu, près d’Abbeville. La famille MARIE s’est installée à Moyenneville. C’est dans cette commune qu’est née en 1892, la petite Suzanne, deuxième membre d’une fratrie qui ne s’est jamais agrandie.  

La famille a poursuivi son tour de la Somme, après plusieurs changements de poste d’Aristide, jusqu’à l’arrivée à Daours au début des années 1900. La famille MARIE s’est installée dans la Rue des Moulins, à proximité du logement des BRON, seule autre habitation de la petite voie qui rejoint la Rue de la République, appelée également Route de Corbie, près du château de Daours.

Après avoir suivi des études supérieures, Henri MARIE devient commis-percepteur chez son père.

Les voisins des MARIE exploitent un moulin installé sur le cours de l’Hallue, petite rivière qui se jette dans la Somme à Daours. Jules BRON a quitté la ferme familiale de la Rue de Caix à Vrély, sur le plateau du Santerre, pour exercer la profession de meunier. Jules a épousé une fille de Daours, Jeanne LEBOULENGER. Les BRON sont agriculteurs et meuniers. Jeanne s’occupe de la petite exploitation agricole et Jules prend en charge le fonctionnement du moulin. En 1902, à la naissance de Thérèse, unique enfant du couple, la grand-mère, Marie BRON née LECORNU, vient s’installer dans la maison de son fils et sa belle-fille, Rue des Moulins.

Henri MARIE est un jeune homme. Si la profession de commis-percepteur semble lui convenir, il aime aussi avoir d’autres occupations beaucoup plus distrayantes. Il n’a pas fréquenté l’école de Daours mais il lui est toutefois facile de lier connaissance avec les jeunes de son âge. Avec ceux du quartier, de la Rue de la République, il aime à partager des discussions et quelques moments de loisirs. Henri discute souvent avec Gaston CARETTE, avec Lucien LEGRAND, avec Henri PARIS ou avec Paul LHOMME. Des jeunes hommes aux parcours bien différents.

Gaston CARETTE est employé comme garçon dans le débit de boissons que dirige son beau-frère, Ulysse REMY ; Lucien LEGRAND est ouvrier à la filature Galland, la plus grande fabrique de Daours ; Henri PARIS travaille dans les fermes de Daours et d’Aubigny, village voisin, comme ouvrier agricole et Paul LHOMME aide son père dans le moulin à farine situé sur le canal de la Somme. Et puis il y a les deux frères BRUXELLE. Charles et Oscar BRUXELLE habitent à quelques dizaines de mètres de chez Henri, de l’autre côté du château. Ils vivent avec leur mère, Flore et leur sœur, Charlotte. Suite au décès de leur père en 1902, c’est leur mère qui a repris la direction de la ferme familiale.

Henri cherche sa voie. Deviendra t’il comme son père percepteur ? Sans attendre d’être convoqué pour effectuer les deux années de service militaire obligatoire, il décide de s’engager. Le 6 juin 1907, en mairie d’Amiens, Henri signe un engagement pour trois ans. Il n’a que 19 ans. Il prend le train en gare d’Amiens et le soir même, il entre dans la Citadelle de Lille. Il est affecté au 43e Régiment d’Infanterie.

Mais la vie de militaire ne lui convient pas vraiment. Il est assez vite promu au grade de caporal mais n’évolue plus ensuite dans la hiérarchie militaire. Les trois années se passent plutôt bien mais sans grand enthousiasme. Henri préfère quitter la caserne à l’issue de son contrat. En juin 1910, il revient à Daours. Il reprend son activité de commis-percepteur et retrouve sa famille et ses amis du quartier, près de la « Vieille Somme ».

Mais dans le quartier rien n’est plus comme avant. Gaston CARETTE est sous les drapeaux. Il est parti au service militaire. D’ici trois mois, Lucien LEGRAND et Paul LHOMME vont partir également et rejoindre leurs régiments d’affectation pour deux ans.  Quant à Henri PARIS, il est en prison pour près de deux ans. Un vol, une grosse bêtise qui lui coûte bien cher.

Les frères BRUXELLE ont quitté la ferme familiale. Charles s’est marié avec Marie CAVILLON. Charles s’est installé avec son épouse dans la ferme de son beau-père à Vecquemont, le village voisin. Oscar s’est également marié. Il a épousé Marguerite, une fille originaire de Mailly-Champagne dans la Marne. Elle est couturière pour les châtelains de Daours pendant que lui exploite leur petite ferme.

Si les copains ont quitté le quartier, il reste Charlotte. Et c’est bien l’essentiel ! Henri MARIE est amoureux de Charlotte BRUXELLE, la sœur de Charles et d’Oscar. Après les fiançailles, vient le temps des épousailles… Le 3 décembre 1913, c’est la fête à Daours ! Henri MARIE et Charlotte BRUXELLE deviennent unis pour toujours. Pour le meilleur et pour le pire !

La place de la mairie à Daours – Aquarelle réalisée par Suzanne MARIE, la soeur d’Henri (coll. pers. Danièle REMY)

La première séparation a lieu le 23 mai 1914. Henri quitte Charlotte pour quelques jours. Il doit suivre une période d’instruction militaire à la caserne Friant d’Amiens, au 72e Régiment d’Infanterie. Ce n’est pas une vraie séparation. Amiens n’est qu’à douze kilomètres de Daours et trois semaines, c’est vite passé. Trois semaines de période militaire tous les trois ans, c’est le régime auquel sont soumis ceux qui ont effectué leur service national. 

L’essentiel est d’être chez soi avant l’été, un été qui s’annonce beau et chaud. Henri a déjà prévu d’aller aider ses beaux-frères pour la moisson quand le blé sera mûr.

Huit mois après le mariage d’Henri et de Charlotte, le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Le jeune époux doit partir. Henri MARIE est mobilisé.

Dans l’infanterie, les combats des premiers mois sont particulièrement meurtriers. Henri échappe au pire. Rescapé de l’enfer, il a vu de nombreux copains tomber à ses côtés. A l’automne 1914, la guerre de tranchées remplace la guerre de mouvement. La mort est toujours aussi présente. La mort, la boue, le froid emplissent les champs de bataille et la tête des survivants.

Le 18 juillet 1915, Henri MARIE est gravement blessé. Au Bois-Haut, près des Eparges, des éclats d’obus lui touchent l’avant-bras. Les blessures sont multiples. Henri a le visage en sang. Le cuir chevelu a également été atteint. La mort est passée très près. Henri est évacué vers un hôpital de l’arrière du front pour y être soigné. La convalescence est longue. Après de longs mois passés entre salles de soin et centres de convalescence, Henri est finalement jugé apte à poursuivre le combat. Le 14 novembre 1916, Henri MARIE doit quitter les rescapés de son régiment. Il est affecté au 128e Régiment d’Infanterie d’Abbeville. 

Les combats l’emmènent vers le Sud de l’Aisne, dans l’Oise et dans la Marne. En août 1918, il participe à la dernière offensive alliée visant à repousser définitivement les Allemands du territoire français. Le 4 septembre 1918, Henri MARIE est tué au combat près de Braye-en-Laonnois, dans le secteur du Chemin des Dames, au Sud de l’Aisne. Henri MARIE avait 30 ans. Après seulement huit mois de vie commune, Charlotte est veuve.

A Daours, la guerre a fait beaucoup d’autres victimes. Si Gaston CARETTE et Paul LHOMME sont revenus vivants, il n’en est pas de même pour tous les copains du quartier de la Rue de la République de Daours. Henri PARIS et Lucien LEGRAND ont été tués. Si les frères BRUXELLE ont survécu, ils portent un lourd fardeau de tristesse et de culpabilité. Leur beau-frère ainsi que de nombreux copains du village ont disparu pour toujours.

A Daours, la guerre n’a pas tué que des soldats. Entre l’automne 1914 et le printemps 1918, la commune de Daours n’a pas connu de combat sur son territoire. Le front stabilisé était situé à une trentaine de kilomètres du village, près d’Albert. Des milliers de blessés de la Bataille de la Somme, essentiellement affectés dans des unités britanniques ou australiennes, ont été soignés dans l’hôpital temporaire de Daours-Vecquemont.

En juillet 1916, il y avait plus de 1 600 lits pour accueillir les blessés dans cet hôpital où étaient soignés des blessés graves ne pouvant être transportés plus loin, vers Etaples ou Le Tréport. S’ils constataient chaque jour les conséquences de la guerre par l’arrivée de nouveaux blessés et les fréquentes inhumations, les habitants de Daours n’étaient pas les victimes directes des combats. La guerre était à leur porte mais les obus ne pouvaient atteindre leurs maisons.

Fin mars 1918, tout a changé. Les Allemands ont lancé une ultime offensive, un déploiement d’envergure de troupes, avec l’objectif d’atteindre Paris et d’occuper toutes les régions du Nord de la France. Ils ont occupé la commune de Villers-Bretonneux, dernière étape avant la prise d’Amiens, à moins de trois kilomètres des villages de Daours et Vecquemont. Les populations de ces villages de la vallée de la Somme ont été évacués. Les habitants sont partis vers la côte picarde ou en direction de Rouen pour se mettre en sécurité. Plusieurs maisons ont été détruites par des tirs d’artillerie. Malgré les fortes incitations des autorités militaires britanniques, quelques habitants avaient refusé de quitter les lieux. Parmi eux, il y avait Jules BRON, le meunier de la Rue des Moulins et sa mère, Marie LECORNU épouse BRON. Tous deux ont été tués par un bombardement le 25 avril 1918.

Une partie du café REMY-CARETTE après les bombardements de 1918 (coll. pers. Danièle REMY)

Thérèse BRON et sa mère ne sont jamais revenues à Daours. Le percepteur, Aristide MARIE a quitté la commune quelques mois après la signature de l’Armistice, avec son épouse et sa fille, seul enfant que la guerre leur avait laissé.

Charlotte BRUXELLE veuve MARIE est retournée vivre chez sa mère dans la ferme familiale Rue de la République. La guerre lui a avait volé l’amour de sa vie et beaucoup de ses illusions.

Le nom d’Henri MARIE est inscrit sur le monument aux morts de Daours, tout comme ceux de Jules BRON et de sa mère, victimes civiles de la Grande Guerre, trois habitants de la petite Rue des Moulins. Les noms de Charlotte BRUXELLE, jeune veuve d’un amour bien trop court, de Suzanne MARIE, morte à 102 ans en 1995 sans avoir oublié le visage de son si jeune frère unique et de Thérèse BRON, orpheline pour toujours du meunier de la Rue des Moulins, ne sont inscrits sur aucun monument. Elles sont pourtant, elles aussi, des victimes de guerre. Combien de larmes ont-elles coulé sur leurs visages à cause de la guerre ?

Charlotte BRUXELLE veuve MARIE n’a jamais eu d’enfant. Elle a vu, avec joie, grandir ses neveux. Oscar a eu deux fils, Auguste et Roger. La famille habitait Rue Deverité à Daours. Charles a eu aussi un fils qu’il a prénommé Henri. Charles et son épouse Marie résidaient Rue du Fort à Vecquemont. Le nom de famille des BRUXELLE avait survécu à la guerre. Avec trois garçons, il pouvait s’installer durablement à Daours et à Vecquemont.

Dans ces deux communes, il n’y a jamais eu d’enfant portant le patronyme de MARIE.

Le 3 décembre 1913, dans la tête de celles et ceux qui sortaient de la mairie de Daours, entourant un jeune couple d’amoureux, tout laissait pourtant penser le contraire…

Xavier BECQUET

La Route de Pont-Noyelles vers l’église de Daours – Aquarelle réalisée par Suzanne MARIE, la soeur d’Henri (coll. pers. Danièle REMY)

Merci à Danièle REMY pour son aide et la mise à disposition des illustrations

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