ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – Mort dans la Somme, loin de son Cantal natal

Né le 16 mars 1894, Joseph BOYER est le fils de Pierre BOYER et de Mélanie DELPRAT.

Joseph est le troisième et dernier enfant du couple. La famille BOYER occupe une ferme à Bancarel dans la commune de Leucamp, située dans le canton de Montsalvy au Sud du département du Cantal.

Bancarel est un hameau de Leucamp blotti dans la vallée du Goul, petit affluent de la Truyère qui marque la frontière naturelle entre les départements du Cantal et de l’Aveyron. La Truyère est déjà célèbre dans toute la France grâce au gigantesque viaduc qui la surplombe au niveau de la commune de Ruynes-en-Margeride, viaduc réalisé par Gustave Eiffel et mis en service en 1888 pour y recevoir la ligne de la Compagnie des Chemins de fer du Midi.

A la fin du XIXe siècle, Bancarel compte 36 habitants répartis dans 7 fermes. L’activité est essentiellement liée à l’agriculture et surtout à l’élevage. Sur ce versant Sud de la profonde vallée, les terres cultivables sont rares. Les châtaigneraies et les bois d’essences diverses couvrent près de la moitié du territoire de Leucamp. Si l’écorçage des jeunes chênes fournit une grande quantité de tan expédiée vers les nombreuses tanneries d’Aurillac, c’est surtout la châtaigne qui constitue la principale richesse du village. Ecoulée essentiellement vers le chef-lieu de département, elle offre à la population locale un revenu non négligeable.

Quelques années avant la naissance de Joseph, on produisait du vin à Bancarel, mais le phylloxéra est passé par là et la culture de la vigne a été abandonnée.

Les jeunes qui quittent le territoire de la commune ne partent plus, comme avant, en Espagne pour devenir scieurs de long ou à Decazeville pour travailler à la mine. L’émigration se fait essentiellement vers Paris. Les jeunes gens du Cantal deviennent frotteurs, marchands de vin et de charbon ou garçons d’hôtel.

Joseph a un frère, Firmin, de 6 ans son aîné et une sœur, Clothilde, née en 1890. Barthélémy, le grand-père paternel, devenu veuf, vit également dans la ferme de Pierre BOYER.

L’école publique du village est située dans le chef-lieu. Les trois kilomètres qui séparent le hameau du village de Leucamp paraissent bien éloignés, à travers bois, pour les jeunes enfants de Bancarel chaussés de sabots. Les tâches agricoles sont souvent prioritaires et l’assiduité n’est pas toujours au rendez-vous pour les fils de fermiers de la vallée du Goul. A la fin de la scolarité obligatoire, Joseph ne sait pas vraiment lire et écrire.

En 1909, Firmin BOYER quitte la région. Il est affecté au 152e Régiment d’Infanterie de Gérardmer, dans les Vosges, bien loin de son Cantal natal, pour y effectuer les deux années obligatoires de service actif. A la fin du service militaire, il revient à Bancarel pour quelques mois avant d’émigrer vers Paris. Il assiste au mariage de sa sœur, Clothilde et part ensuite vers la Capitale pour y occuper un emploi de frotteur puis devenir marchand de vins. Il réside Rue du Cherche Midi. Il paraît donc maintenant évident que Joseph, le fils cadet, reprendra un jour la direction de la ferme familiale.

En juillet 1911, Clothilde BOYER s’est mariée avec Pierre ESTABLIE. Quelques mois plus tard, le ventre de Clothilde s’arrondit. La naissance est prévue pour la fin du mois de mai 1912. Trois jours avant l’accouchement, le futur papa meurt brutalement. La petite Céline ESTABLIE ne connaîtra jamais son père.

Le 1er août 1914, l’ordre de Mobilisation générale est décrété. La guerre contre l’Allemagne nécessite de regrouper tous les hommes aptes au service armé. A Paris, Firmin BOYER reçoit son affectation pour le 12e Bataillon de Chasseurs Alpins. A Bancarel, Joseph BOYER n’est pas mobilisé. Même s’il a atteint l’âge de 20 ans, il n’a pas encore suivi l’instruction militaire nécessaire pour être lancé dans les premiers combats. C’est seulement le 6 septembre 1914 qu’il est convoqué et rejoint le 105e Régiment d’Infanterie de Riom dans le Puy-de-Dôme pour y être formé pendant près de trois mois.

Joseph BOYER avait découvert Paris en rendant visite à son frère avant la guerre, mais il ne savait pas qu’il allait parcourir, avec son unité, autant de territoires inconnus situés bien plus au Nord.

Envoyé en Belgique, en Flandre occidentale, à l’issue de sa formation, il prend position ensuite dans la Somme, à Erches, commune située à 10km au Nord-Ouest de Roye. Fin juin 1915, le régiment doit se diriger vers Marquivillers, puis plus au Sud encore dans le département de l’Oise.

Le 15 juin 1916, à Quennevières dans l’Oise, Joseph BOYER est blessé et évacué vers un hôpital de l’arrière. A son retour, début septembre, il est transféré au 171e RI de Belfort. Il n’y connaît personne. L’ambiance du 105e RI lui manque, un régiment composé d’Auvergnats, comme lui, venus du Puy-de-Dôme, de la Haute-Loire, de l’Allier et du Cantal…

Les hommes du 171e RI entrent dans la Bataille de la Somme le 17 septembre 1916. Ils relèvent des éléments du 7e Corps d’Armée dans le secteur de Bouchavesnes, près de Péronne. Ils subissent de violentes attaques allemandes qu’ils arrivent à repousser au prix de nombreuses pertes. L’ennemi n’a pu passer. Après trois mois dans la boue de la Somme, le régiment est relevé le 10 décembre 1916.

A la fin de l’hiver, il rejoint le secteur du Sud de l’Aisne, près de Soupir, non loin du Chemin des Dames et participe à la grande offensive du général Nivelle. Le 30 avril 1917, blessé assez gravement, Joseph BOYER est évacué vers l’arrière pour y être soigné.

Après plusieurs semaines de soins et de convalescence, Joseph est à nouveau envoyé au combat au printemps 1918. Après avoir été transporté en train jusqu’à Breteuil, dans l’Oise, il retrouve le département de la Somme. Le 171e RI se rend en partie à pied, en partie en camion vers le secteur de Sauvillers-Mongival entre Moreuil et Montdidier. Le 2e Bataillon dans lequel est affecté Joseph BOYER occupe le bois de Mongival. Le 30 mars, les Allemands se portent à l’assaut mais ne parviennent pas à avancer. Après 4 jours de calme relatif, après un bombardement d’une extrême violence, les troupes allemandes attaquent avec plus d’une division le front tenu par les 2e et 3e bataillons. Dans la soirée la situation devient critique. Le commandant avait promis « que les Boches ne passeraient pas ». Le 171e tient parole. Mais à quel prix !

Les ruines de l’église de Sauvillers – 1918 (imagesdefense.gouv.fr)

Les 5, 6 et 7 avril 1918, le 171e subit encore de violents bombardements qui lui causent de lourdes pertes, mais il a pu sauver la situation. L’ennemi n’est pas passé…

Joseph BOYER est mort. Il avait 24 ans.

Fernand SAMSON, de Granges-le-Bourg dans la Haute-Saône et Louis VERGELY, de Murat dans le Tarn, ayant combattu à ses côtés à Mongival, ont confirmé avoir vu Joseph BOYER être mortellement touché. Son corps n’a pas été retrouvé. La date de sa mort a été fixée ultérieurement au 5 avril. Le jeune homme de Bancarel ne reverra jamais la riante vallée du Goul. Il ne succédera pas à son père dans la ferme familiale.

Firmin BOYER, son frère aîné, est rescapé. Capturé le 29 juin 1915 pendant le combat de Metzeral, en Alsace, il a passé toute la guerre dans le camp de Darmstadt en Allemagne. Rapatrié après la signature de l’Armistice, il est démobilisé le 1er avril 1919 et retourne vivre à Paris.

Le 16 décembre 1919, Clothilde BOYER, la sœur de Firmin et Joseph, s’éteint à l’âge de 29 ans, laissant deux orphelines, Céline ESTABLIE, fille de son premier mari et Eugénie COUSSEGAL, bébé qu’elle a eu avec son deuxième mari, Antoine COUSSEGAL, épousé en janvier 1918. Si Eugénie est restée dans la famille COUSSEGAL, la petite Céline a été envoyée vivre dans la ferme des grands-parents Pierre et Mélanie BOYER à Bancarel où elle est restée jusqu’à la mort de sa grand-mère, dernière survivante du couple.

Après le décès de Mélanie, Céline ESTABLIE a alors quitté définitivement Bancarel pour s’installer dans le chef-lieu de la commune. Son père est mort avant sa naissance et sa mère quand elle avait 7 ans. Les grands-parents qui l’ont élevée ont aussi disparu. Son seul oncle vivant, Firmin, réside à 500 km. Son oncle Joseph est mort à la guerre alors qu’elle avait 6 ans. Jeune adulte, Céline a vécu au cœur du village de Leucamp puis elle est partie vivre ailleurs. On ne sait où…  Qu’importe le lieu, de toute façon, pouvait-elle ne pas se sentir seule au monde ?

Joseph BOYER, son oncle, repose pour toujours dans la terre de Somme. Son nom est inscrit sur le monument aux morts de la commune de Leucamp, dans le Cantal.

Xavier BECQUET

Vue sur le hameau de Bancarel (octobre 2022)

Recherches effectuées à partir de documents des Archives départementales du Cantal

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