Né le 28 juillet 1892, Gaston est le fils de Jules DESBIENDRAS et de Véronique HENRY.
Née le 16 août 1895, Yvonne est la fille d’Edmond DELABARRE et de Maria RASSE.
Les familles de Gaston et d’Yvonne sont originaires de Saint-Valery-sur-Somme depuis plusieurs générations. Elles résident dans la Ville-Basse.

A Saint-Valery, la Ville-Basse comprend les quartiers de la Ferté, du Courtgain, du Port et du Chantier. Les parents de Gaston habitent au Chantier, à la sortie de la ville en direction de Boismont, et ceux d’Yvonne, Rue d’Argoules à la Ferté.

Chez Jules et Véronique DESBIENDRAS, Gaston est le plus jeune d’une fratrie de 3 garçons. Ses frères aînés se prénomment Paul et Albert. Chez Edmond et Marie DELABARRE, Yvonne est l’aînée des enfants, suivie uniquement par Emile qui est né trois ans plus tard.

Jules DESBIENDRAS est journalier. Les activités économiques et artisanales de la commune, près du port de pêche et de commerce, offrent de nombreux emplois occasionnels. Les corderies, les chantiers de construction navale, les entrepôts, nécessitent ponctuellement une main-d’œuvre abondante.
Edmond DELABARRE est artisan menuisier. Installé Rue d’Argoules, il travaille avec son frère Paul.

Jules DESBIENDRAS meurt accidentellement le 19 février 1900. Il est écrasé par la charge d’un tombereau. Il laisse Véronique seule avec ses trois garçons. Gaston n’a que 7 ans quand son père disparaît. Les garçons DESBIENDRAS doivent donc rapidement chercher du travail. Paul, l’aîné, devient jardinier. Albert, le deuxième, devient ferblantier menuisier. Il est employé chez Edmond DELABARRE, Rue d’Argoules. Il y est rejoint quelques années plus tard par Gaston, devenu lui aussi ferblantier.
Les deux aînés ayant quitté la maison familiale, Gaston s’installe avec sa mère dans une maison voisine de celle des DELABARRE, dans la Rue d’Argoules. Maria DELABARRE vend des légumes qu’elle porte parfois à pied, à travers la baie, jusqu’au Crotoy, dans deux seaux attachés à un joug. Emile, le jeune frère d’Yvonne, deviendra ferblantier comme Gaston.

C’est vraisemblablement à cette époque que débute l’histoire d’amour entre Gaston DESBIENDRAS et Yvonne DELABARRE.
Convoqué devant le Conseil de Révision, à l’hôtel de ville de la commune, Gaston est déclaré apte au service armé. Même s’il est considéré comme soutien de famille, il doit effectuer les deux années de service militaire obligatoire. Gaston DESBIENDRAS est affecté au 128e Régiment d’Infanterie d’Abbeville. Gaston et Yvonne sont fiancés.

Quand Gaston prend le train pour gagner son lieu de casernement, le 10 octobre 1913, Yvonne est triste. Elle, si gaie habituellement, a du mal à accepter la situation. Elle est enceinte de quatre mois. Bien sûr, Abbeville n’est qu’à une dizaine de kilomètres de Saint-Valery et les permissions permettront aux deux amoureux de se retrouver souvent, pourtant la séparation lui pèse énormément.
Yvonne a 18 ans et Gaston a 21 ans.

Sur le quai de la gare, si les hommes ne partent pas tous de gaieté de coeur, l’ambiance paraît joyeuse en ce 10 octobre. Rires, éclats de voix, bousculades, tous les Valéricains de 20 et 21 ans se retrouvent pour débuter un voyage qui va les emmener à Abbeville, à Amiens ou pour certains, beaucoup plus loin. Ils sont une trentaine à monter dans les wagons. Comme Gaston, six garçons sont affectés au 128e RI d’Abbeville. Ils se connaissent déjà tous, ayant souvent fréquenté les mêmes bancs d’école et d’église. Il y a le cousin Jules DESBIENDRAS, Charles HEDIN, Auguste MABILLE, Marcel SAMSON, Charles TETU et François VUE.

Les cousins Gaston et Jules DESBIENDRAS sont affectés à la 9e Compagnie du régiment.
Gaston écrit très souvent à sa fiancée. Un des sujets favoris concerne tout naturellement les permissions : « Chère Yvonne. Nous aurons deux jours à la Toussaint si nous ne sommes pas de piquet » ; « Quelques lignes pour te dire que j’ai une permission de 48 heures. J’arriverai au train de 8h à Saint-Valery vendredi soir avec Jules. Si tu peux venir à la gare ça me fera plaisir » ; « Je viens de demander 24 heures pour dimanche » ; « Au retour de permission, nous avons manqué la correspondance à Noyelles. Nous sommes rentrés à la caserne à une heure moins vingt. Mais nous avons fait faire un bulletin au chef de gare de Noyelles, comme ça nous étions en règle ».

Il évoque également la vie au service militaire : « Nous avons fait une trentaine de kilomètres de marche et quand je suis rentré je n’ai pas eu le courage d’écrire » ; « Aujourd’hui nous avons été au tir et au pesage mensuel. J’ai grossi de 2 kg » ; « Jules est de piquet dimanche. Tu parles d’une tête qu’il fait car il ne trouve personne pour le remplacer. Moi, en voilà pour un mois avant que mon tour vienne » ; « Mardi nous avons fait du service en campagne. J’étais comme éclaireur. J’ai réussi. Le capitaine m’a fait des compliments » ; « Aujourd’hui nous rentrons de marche. Nous avons été à Port-le-Grand et rentrés par la route de Calais. Nous avons fait 20 km et je suis un peu fatigué » ; « Comme tu le dis il fait froid, surtout à faire l’exercice avec le fusil. On a les mains gelées. Nous avons touché des gants mais ça n’empêche pas d’avoir froid et dans les chambres il ne fait pas chaud non plus ».

Mais dans l’abondante correspondance entre les deux fiancés, reviennent systématiquement des nouvelles sur la santé des proches, et tout particulièrement, dans les réponses d’Yvonne, celle du petit André, leur fils, né le 1er février 1914 : « Notre petit André se porte toujours à merveille mais tu parles si il a déjà des vices. Il sait bien quand on le promène » ; « Nous avons pesé André aujourd’hui. Il est augmenté d’une livre et vient gros comme un moine » ; « Il est déjà malin comme une chouette. Il a fait son premier sourire aujourd’hui. C’est ta mère qui l’a eu » ; « Notre petit André se porte bien et continue de faire de petits contes. Il est comique comme tout ».

La guerre est déclarée.
6 août 1914 « Chère Yvonne et chère mère. Quelques mots pour vous dire que nous avons quitté Abbeville hier matin à 6 heures. Nous sommes un peu plus haut que Stenay, à 20 km de la frontière. On n’a pas encore tiré un coup de fusil. Quand tu auras reçu ma lettre, va la montrer à la femme de Jules pour lui donner des nouvelles. Il est en bonne santé. Nous sommes ensemble… »

Le 128e Régiment d’Infanterie reçoit son baptême du feu le 22 août près de Virton, en Belgique. Quelques jours plus tard, pendant la Retraite de l’Armée française, deux bataillons du 128e RI sont désignés pour attendre l’ennemi près de Saint-Pierremont, dans les Ardennes. Les combats ont lieu le 31 août dans le hameau de Fontenois. Près de 130 copains du régiment y perdent la vie et au moins 300 y sont blessés. Charles TETU, blessé au pied, est emmené en captivité par les Allemands. Deux gars de Saint-Valery sont morts. Théotime BILLERET et Henri DENEUX. Bien que plus âgés que lui, Gaston les connaissait bien. Théotime était menuisier et Henri travaillait au chantier naval.

L’épreuve suivante se déroule dans la Marne, au Nord de Vitry-le-François, pour les rescapés du 128e.
Près de Maurupt-le-Montois, Gaston DESBIENDRAS est blessé. Soigné à l’hôpital de Périgueux, il écrit à Yvonne dès qu’il le peut : « Ma chère Yvonne. Je t’écris ces quelques lignes pour te donner un peu de mes nouvelles. J’ai été blessé par une balle ennemie au côté droit. Au moment où je t’écris je suis au lit et je n’ai pas le droit de manger. Je bois du lait et du bouillon et deux œufs à chaque repas. J’ai été blessé dans la Marne. Je t’assure qu’il faisait chaud. Il est tombé quelque chose comme obus et balles allemandes (…) J’ai été ramassé par des infirmiers qui m’ont conduit en voiture à Sainte-Menehould. J’ai été soigné par des bonnes sœurs pendant quatre jours et on a formé des trains qui ont conduit tous les blessés loin. On a passé les batailles. Moi je suis à Périgueux, d’autres sont à Bordeaux. Nous sommes très bien soignés par des médecins et des hommes de la Croix-Rouge. Tu vois mon pauvre canard si je suis bien loin de toi et de vous tous, enfin il faut espérer que d’ici quelques mois je serai auprès de vous tous. Quelle belle journée ce jour-là pour moi. »

Les pertes ont été très nombreuses entre le 6 et le 10 septembre entre Pargny-sur-Saulx et Maurupt-le-Montois. Comme l’écrit Gaston « Nous étions 250 à la 9e Compagnie le 4 août mais quand j’ai été blessé il restait 40 hommes », puis l’hécatombe continue en Argonne où le Bois de la Gruerie devient le lieu de repos éternel pour de nombreux hommes du 128e.

Gaston DESBIENDRAS ne sort de l’hôpital Thiviers de Périgueux que le 4 mars 1915. A son grand désespoir, il ne rentre pas à Saint-Valery mais il est envoyé vers le dépôt du 128e à Landerneau en Bretagne. Il part combattre au front trois semaines plus tard. Au 128e, il ne retrouve plus personne ou presque ! François VUE, Auguste MABILLE, Charles HEDIN, Marcel SAMSON et son cousin Jules DESBIENDRAS, aucun de ceux qui attendaient le train avec lui, à Saint-Valery, le 10 octobre 1913, n’est encore présent. Ils sont tous les cinq considérés comme morts ou disparus.
« 22 mars 1915 – Ma chère Yvonne. Je pars demain matin pour le front. A mon grand regret. J’aurais bien voulu jamais retourner voir les boches. Mais que veux-tu. Il le faut. Puis qu’il n’y a rien à faire. D’autres plus blessés que moi repartent aussi. Quel malheur de voir ça. Une pareille guerre. Quand aurons-nous la paix ma Yvonne, pour être revenus l’un près de l’autre. Faut espérer que ce jour sera bientôt ma Nénette où nous pourront être heureux ensemble avec notre petit voyou à qui je pense souvent. Si ce fléau ne serait pas venu, dans quatre mois j’aurais été de retour… »

Si la guerre n’était pas arrivée, Gaston DESBIENDRAS aurait fini son service militaire le 30 septembre 1915. Il aurait épousé Yvonne et aurait pu pleinement participer à l’éducation du petit André.
Le 22 juin 1915, Gaston DESBIENDRAS a été tué à l’ennemi à La Tranchée de Calonne, aux Eparges, près de Verdun . Il avait 22 ans.

André est orphelin. Il n’a que 16 mois et ne reverra jamais son père.
Deux des « disparus » de Saint-Valery, affectés au 128e RI, ont été retrouvés. Rapatriés en janvier 1919 d’Allemagne où ils avaient été internés, Charles TETU et Marcel SAMSON sont revenus vivre à Saint-Valery-sur-Somme. Rescapés. Même s’ils ont été, l’un et l’autre blessé gravement et que leur séjour dans les camps d’Altengrabow, de Merseburg et de Wittenberg n’a pas été une partie de plaisir, Charles et Marcel sont habités par un sentiment de culpabilité. Pourquoi sont-ils les seuls rescapés à avoir survécu alors que tant d’autres copains de Saint-Valery y ont laissé la vie ?
Jules DESBIENDRAS, le cousin de Gaston, déclaré disparu en Argonne, a finalement été reconnu Mort pour la France, comme ses deux frères Albert et Valery. Dans la commune, les familles DESBIENDRAS comme de nombreuses autres familles sont endeuillées.
Frères, cousins, petits-cousins morts à cause de la guerre, le nom de DESBIENDRAS est gravé 6 fois sur le monument aux morts de Saint-Valery-sur-Somme.

Grace à la correspondance échangée entre son père et sa mère, attestant sans ambiguïté la paternité de Gaston, l’administration judiciaire a accepté que le petit André porte le patronyme de DESBIENDRAS. Orphelin de père, André DESBIENDRAS n’a jamais eu ni sœur, ni frère.
Yvonne DELABARRE ne s’est pas mariée, Gaston restant l’homme de sa vie pour toujours. Yvonne a passé toute sa vie dans sa petite maison de la Rue d’Argoules où elle est décédée en 1984.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET
Merci à Daniel DESBIENDRAS, petit-fils de Gaston, et son épouse Catherine pour leur précieux concours.
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