Né le 23 octobre 1895, Paul porte le même prénom que son père. Il est le fils de de Paul LEBEUF et d’Antoinette MAQUET.
Quatrième enfant de la fratrie, Paul a trois sœurs aînées et quatre sœurs cadettes. Il lui faudra attendre d’avoir l’âge de dix ans, pour avoir un frère. Emile, né en 1905, sera le dernier enfant de la fratrie.
Après avoir été cultivateur dans sa jeunesse, le père de famille est devenu mécanicien pour la Compagnie du Nord. L’arrivée du chemin de fer a contribué à transformer le petit village côtier de 400 habitants au milieu du XIXe siècle en une station balnéaire en vogue au début du XXe siècle, une ville qui compte alors près de 1 500 habitants.

Employé de la Compagnie du Nord, Paul LEBEUF, le père, s’est installé tout naturellement dans le quartier du dépôt de chemin de fer. La famille LEBEUF réside Rue du Quatre Septembre. Tous les voisins sont également des cheminots. Mais peu d’entre eux, contrairement à Paul LEBEUF, sont originaires de Mers.
Après le mariage de Paul et d’Antoinette, la petite maison de la Rue du Quatre Septembre se remplit rapidement. Pauline est l’aînée de la fratrie. Elle naît en 1891. Puis arrivent Albertine, Lucienne, Paul, Germaine, Juliette, Virginie, Marie-Thérèse en 1902. Huit enfants en onze ans. Le petit Emile vient au monde trois ans plus tard.

Le 1er août 1914, seul le père, âgé de 42 ans, est mobilisable. Placé sous la responsabilité de l’Armée, il est maintenu dans son emploi de mécanicien au chemin de fer. Le transport des hommes et du matériel va être un des éléments les plus importants de la stratégie militaire, autant pour amener les hommes au plus près des combats que pour évacuer les blessés le plus loin possible.
Quand la mobilisation générale est décrétée, Paul LEBEUF, le fils, n’a que 18 ans. Il espère que la guerre prendra fin rapidement. Si comme le prédisent les journalistes, les Allemands sont vaincus en trois semaines, il ne partira pas. De nombreux copains d’école, un peu plus âgés que lui comme Louis BOQUET, André BRUNET ou François BECQUET, sont déjà sous les drapeaux pour effectuer leur service militaire. Ils ont à peine deux années de plus que lui et vont participer aux premiers combats.

La Classe 1914 est appelée début septembre. C’est au tour de Jean COUILLET, de Maurice LANGUERRE ou d’Arthur CLAIRET, d’autres copains mersois, de partir. Ils ont à peine un an de plus que lui. Après la Bataille de la Marne du début septembre, la guerre de position débute. Elle risque de durer longtemps. L’étau se resserre. A la fin du mois de novembre, Paul LEBEUF a perdu l’espoir d’éviter la guerre. L’échéance de l’incorporation de la Classe 1915 approche. Certaines familles mersoises comme celle de Louis BOQUET sont déjà en deuil. D’autres, comme celle de François BECQUET, compte déjà un « disparu ». Un jeune homme dont le père espérera le retour pendant presque cinq années…
Le 16 décembre 1914, Paul LEBEUF est mobilisé. Affecté au 73e Régiment d’Infanterie de Béthune, il est transféré le 24 janvier au 162e RI. Paul y termine son instruction militaire. Le 9 mars 1915, il est incorporé au 413e RI, nouveau régiment formé à partir de jeunes de la Classe 15 et d’hommes originaires de la région de Clermont-Ferrand. Il n’y connaît personne, à l’exception de quelques copains qui ont partagé les dernières semaines de formation militaire. Fin mars les troupes du 413e RI débarquent en gare de Corbie, près d’Amiens. D’avril à septembre 1915, le 413e prend les tranchées dans la Somme, dans les secteurs de Fontaine-les-Cappy, Lihons et Foucaucourt. A l’automne, les hommes sont déplacés dans le Pas-de-Calais, dans le secteur de Notre-Dame de Lorette. Le 413e RI participe aux combats du Bois en Hache près de Souchez. Les pertes sont considérables.

Le 29 octobre 1915, Paul LEBEUF est blessé. Une balle lui provoque une plaie en sillon sur le cuir chevelu. La mort l’a frôlé de très près. Paul est évacué vers l’arrière. Après un rapide séjour à l’hôpital et quelques jours de convalescence dans sa famille à Mers, Paul LEBEUF doit repartir au front. L’angoisse de repartir au combat est insupportable. Mais comme tous les autres convalescents jugés aptes au combat, Paul obéit aux ordres et quitte les siens. Cette fois-ci, c’est vers Verdun qu’il faut aller combattre…
En juin 1916, le 413e RI occupe le secteur de Tavannes, au Nord de Fleury près de Verdun. En quelques semaines, plus de la moitié des effectifs est hors de combat.

Après une période passée à vivre dans la boue des tranchées d’Argonne, le régiment revient dans le secteur de Verdun en décembre 1916, entre Douaumont et Bezonvaux. Froid, boue, maladie et bombardements incessants, la vie des hommes du 413e RI est un enfer. Peut-on d’ailleurs encore parler de vie ? Ne s’agit-il pas plutôt de survivre en attendant que vienne un jour la délivrance. En trois semaines, plus de 1 000 hommes sont tués ou blessés. Depuis mars 1915, les effectifs ont déjà été renouvelés aux trois-quarts. L’amitié n’a même pas le temps de s’installer. Chacun se sent bien seul. Quand donc Paul reverra t’il la plage et les falaises de Mers ? Quand pourra t’il retrouver ses parents et ses sœurs qui lui manquent tant ?
Le régiment quitte Verdun le 19 janvier 1917 pour le front de la Somme. Il occupe le secteur de Rosières-en-Santerre et de Lihons avant d’être relevé, le 21 février, par des unités de l’Armée britannique.

La prochaine destination est celle de Cuvilly, près de Compiègne dans l’Oise, à 35 km au Sud de Rosières, puis c’est le Sud de l’Aisne où se prépare l’offensive du Chemin des Dames. Les marches sont longues. Les hommes sont épuisés. Le moral est au plus bas. Les permissions tant attendues n’arrivent pas. L’espoir de revoir un jour les siens s’amenuise.
Placé en réserve du 18e Corps d’Armée pendant l’offensive du 16 avril 1917, le 413e RI entre dans le secteur de Craonne le 7 mai. Du 9 au 22 mai, il participe activement aux opérations permettant de conquérir le Plateau de Californie. Les pertes sont nombreuses. Tant d’hommes sont déjà tombés aux côtés de Paul LEBEUF. Tant de camarades de tranchées disparus !

Les quelques centaines de mètres gagnées au printemps n’ont pas entraîné le départ des Allemands. Loin de là. Eux aussi sont persuadés qu’ils peuvent réaliser une offensive décisive dans le secteur du Chemin des Dames. Le 413e RI fait partie des troupes qui repoussent la grosse attaque allemande du 3 juillet sur le plateau Vauclerc, y abandonnant sur place, une fois de plus, de nombreuses vies. Le 13 août, le régiment occupe les tranchées au Moulin de Laffaux. Les bombardements sont incessants. Les obus toxiques sont utilisés dans les deux camps. La mort rode.

Paul n’en peut plus. Il est un des rares rescapés du régiment constitué deux ans plus tôt. Paul a 21 ans. Paul n’a que 21 ans…

Le 20 août 1917, Paul LEBEUF est déclaré manquant à l’appel. Trois jours plus tard, il revient et rejoint sa compagnie. Il avait juste besoin de quelques jours de « paix ». Mais il est trop tard ! La hiérarchie militaire ne peut tolérer qu’un homme s’attribue lui-même une permission. Un temps de paix ? Non, pas tant que l’ennemi est encore là !
Le 10 septembre 1917, Paul LEBEUF est condamné par le Conseil de guerre de la 26e Division d’Infanterie à cinq ans de détention avec exécution immédiate. Les deux motifs retenus contre lui sont : refus d’obéissance sur territoire en état de guerre et désertion en présence de l’ennemi. Paul est transféré à la prison de Caen dans le Calvados.

Loin des champs de bataille, la paix n’est pourtant pas au rendez-vous pour lui. Devant résister à l’humiliation d’être traité comme un déserteur, Paul doit aussi lutter contre la maladie. La fatigue et la peur permanente avaient déjà affaibli son organisme. Les gaz ont empli ses poumons. Paul LEBEUF ne guérira jamais.
Il meurt en prison le 27 octobre 1919.

Paul LEBEUF n’est pas considéré comme « Mort pour la France ». Il ne le sera jamais. Sa « désertion » jette l’opprobre sur sa famille.
La peine de ses parents et de ses sœurs est pourtant la même que celles des BOQUET, des BRUNET, des BECQUET, des COUILLET, des LANGUERRE, des CLAIRET. Toutes ces familles ont perdu un de leurs membres. Un fils, un frère qui avait à peine plus de 20 ans. Des garçons sacrifiés qui avaient la vie devant eux…
Etienne CHANTREL, adjoint au maire de Mers-les-Bains, chargé du recensement des victimes de la Grande Guerre a décidé que le nom de Paul LEBEUF méritait, comme celui de toutes les victimes de la guerre, de figurer sur le monument aux morts de la commune. Qu’il soit reconnu « Mort pour la France » ou non, il était bien mort à cause de la guerre, et sa famille mersoise était aussi en deuil. Et qu’importe si quelques bien-pensants continuaient à regarder de travers les sœurs LEBEUF.

Le monument a été inauguré le 17 septembre 1922. Dans le Livre d’Or de Mers-les-Bains publié la même année, une page est consacrée à chacune des 59 victimes mersoises. Sur celle consacrée à Paul LEBEUF, en introduction, Etienne CHANTREL écrit : « La victoire a été faite du sacrifice de tous : des héros qui ont trouvé un glorieux trépas sur le champ de bataille, des survivants qui ont échappé aux douloureuses meurtrissures des engins de dévastation ou qui ont conservé les stigmates de leurs blessures. Enfin, de ceux, nombreux, que tant de fatigues et d’efforts ont lentement conduit à la tombe ».
Le corps de Paul LEBEUF a été inhumé au cimetière communal de Mers dans une cérémonie où personne n’a évoqué les circonstances précises de son décès. Paul, issue d’une vieille famille mersoise, était avant tout un de ces 59 enfants de Mers morts de la guerre.
Le 26 décembre 1931, la loi d’amnistie a effacé la condamnation de Paul LEBEUF de son livret militaire. Pourtant, malgré ses deux années de souffrance au Front, sa blessure au crâne et son intoxication fatale aux gaz, Paul LEBEUF n’a jamais été considéré comme « Mort pour la France ».
Si sa tombe au cimetière communal n’est plus identifiable, son nom reste inscrit pour toujours sur le monument aux morts de sa commune et sur la plaque commémorative de l’église Saint-Martin.

En 1922, Lucienne LEBEUF, une soeur de Paul, épouse Marcel BECQUET, un estropié de la Grande Guerre, frère cadet de François BECQUET tué au début de la guerre. Lucienne avait un an de plus que Paul, Marcel avait deux ans de moins que François. Sans effacer la douleur du frère perdu, Lucienne et Marcel ont connu le bonheur et ont construit une belle famille. La vie a repris sa place chez les BECQUET-LEBEUF.
En 1926, un garçon est né. Si le premier prénom de l’état-civil qui lui a été donné est le même que celui de son père, Marcel, il est suivi de Paul et de François, comme un hommage rendu aux deux oncles morts à cause de la guerre. Deux oncles qui ne vieilliront jamais…

Paul LEBEUF avait 24 ans et François BECQUET avait 20 ans.
Lionel JOLY et Xavier BECQUET

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