Né le 2 novembre 1892, Emile FLANDRE est le fils d’Eugène FLANDRE et d’Olympe DULIN.
Emile et son frère Eugène, d’un an son aîné, sont nés à Bouchon dans la Somme. Eugène FLANDRE père effectuait son service militaire au 8e Régiment de Dragons quand ses fils sont nés. C’est dans la maison du grand-père Anthime, à Bouchon, que sont venus au monde les deux seuls enfants du couple formé par Eugène et Olympe. Bouchon, village de 350 habitants, est situé sur la rive droite du fleuve Somme, près de la commune de L’Etoile.

Libéré de ses obligations militaires, Eugène s’installe alors, avec sa femme et ses deux garçons à Longpré-les-Corps-Saints dans la Rue Aux Sacs, à moins de 5 km de Bouchon. L’industrie du textile est en expansion dans le département de la Somme en cette fin du XIXe siècle. L’eau courante de la Somme et de son affluent, la Nièvre, est utilisée pour actionner la force motrice dans les usines textiles. De retour du service militaire, Eugène FLANDRE père est embauché dans l’usine de fabrication de bâches de Longpré-les-Corps-Saints.

La commune de 1 700 habitants est située sur la rive gauche du fleuve Somme. Située sur la ligne de chemin de fer reliant Paris à Boulogne-sur-Mer, Longpré dispose d’une gare dès le milieu du XIXe siècle favorisant les échanges économiques avec les grandes villes d’Abbeville ou d’Amiens.
Si Eugène père et son épouse Olympe sont employés comme tisserands à l’usine Saint, leurs deux garçons s’orientent vers une autre voie. Celle de l’artisanat. Après une scolarité assidue, ils choisissent la menuiserie. Eugène et Emile FLANDRE sont apprentis menuisiers chez Wulphy CARON. Après quelques années dans la petite entreprise, Eugène part chez un dénommé DUHAMEL, un autre menuisier du village, alors qu’Emile devient peintre dans l’entreprise PANNETIER.

A l’adolescence, les deux frères FLANDRE, inséparables depuis leur plus jeune âge, s’imaginent déjà diriger leur propre entreprise, l’un posant portes et fenêtres, l’autre les mettant en couleur.
En octobre 1912, Eugène, l’aîné des deux frères, part au service militaire. Il rejoint le 17e Régiment d’Artillerie. Un an plus tard, c’est au tour d’Emile de quitter la commune. Jugé apte au service armé par le Conseil de Révision d’Hallencourt, il doit rejoindre le 120e Régiment d’Infanterie.
Le 9 octobre 1913, Emile attend sur le quai de la gare de Longpré le train qui doit le conduire vers l’Est de la France. Le 120e RI quitte ses locaux de Péronne, à l’Est de la Somme, pour rejoindre ceux de la caserne Chanzy à Stenay dans la Meuse. Ils sont plus de 15 jeunes hommes de 20 ans sur le quai à attendre le train. Parmi ceux qui, comme lui, sont affectés au 120e RI il y a Emile CORNU et Noël CARTON. Emile habite dans la Cavée Vincent et Noël au lieu-dit Le Marquelet.

Le train arrive. Les jeunes hommes de Longpré montent dans les wagons. Les trois du 120e y retrouvent un ancien copain d’école, Marceau BILHAUT, dont la famille a déménagé pour la commune voisine de Fontaine-sur-Somme. Avant leur départ pour les deux années de service militaire obligatoire, Emile CORNU et Noël CARTON étaient ouvriers à l’usine textile et Marceau BILHAUT terrassier.

Le voyage est long jusqu’à Stenay et la compagnie des copains le rend moins pénible. Même si les journaux parlent de tension internationale et que les conflits se succèdent dans les Balkans, aucun des quatre copains ne pense que la guerre est si proche.
Dix mois plus tard, l’Allemagne entre en Belgique pour diriger des troupes vers la France. Le 120e Régiment d’Infanterie se prépare, depuis plusieurs semaines, à cette éventualité. Dans les premiers jours d’août 1914, plusieurs régiments de la région militaire d’Amiens le rejoignent dans le secteur de Stenay et Dun-sur-Meuse.

Le général Joffre, chef des Armées françaises, décide de mener une grande offensive le long des frontières belge et luxembourgeoise, pour repousser les Allemands et les contraindre à quitter la Belgique. L’offensive doit avoir lieu le 22 août.
Le 21 août, le 120e RI franchit la frontière. Après plusieurs dizaines de kilomètres effectués à pied, les hommes sont épuisés. L’ambiance est orageuse. La température a été particulièrement élevée pendant toute la journée. Ils s’arrêtent à Meix-devant-Virton où ils peuvent se reposer quelques instants. La nuit est courte. Le 22 août, à cinq heures du matin, le ventre vide, les jeunes hommes qui se connaissent tous, ayant passé de nombreux mois ensemble dans la caserne Chanzy, s’élancent en direction du plateau de Bellefontaine. Le brouillard est épais. Les hommes ne parlent pas. Ils marchent d’un bon pas malgré le lourd sac qui leur écrase les épaules. En traversant le petit village de Lahage, ils sont accueillis par les habitants qui leur tendent du pain ou leur offrent des boissons chaudes. Mais la joie est de courte durée, quelques centaines de mètres plus haut, se dessine la grande plaine du Radan. Beaucoup de ces jeunes hommes n’iront pas plus loin.
Emile CORNU est tué. Il ne reverra jamais plus la Cavée Vincent de Longpré…

Noël CARTON est blessé par balle à la jambe gauche. Marceau BILHAUT est blessé par balle à la main droite. Sur les 3 000 hommes du régiment, plus de 1 000 sont hors de combat. Les morts se comptent par centaines. Les blessés les plus graves restent sur le champ de bataille, relevés peu à peu par les habitants du village pour être transportés dans les habitations et bâtiments publics de Bellefontaine afin d’y être soignés. En fin de journée, Noël CARTON et Marceau BILHAUT partent avec les rescapés qui se replient vers le territoire français.
Emile FLANDRE est traumatisé. Il a vu la mort de près. Il sait qu’il ne reverra plus jamais Emile CORNU. Ses deux autres copains de Longpré sont blessés. Emile est un miraculé, dès le premier combat de cette guerre qui en comptera tant d’autres.

Sur tous les champs de bataille du 22 août, la mort a durement frappé. Plus de 25 000 Français ont perdu la vie. La Retraite de l’Armée française emmène Emile FLANDRE vers la Marne, près de Vitry-le-François, plus précisément à Sermaize-les-Bains. Du 6 au 10 septembre 1914, le 120e RI perd encore plusieurs centaines d’hommes. Même si l’objectif initial est atteint, les combats pour empêcher les Allemands de progresser vers Paris sont très meurtriers. Près des 2 tiers des effectifs du 120e RI qui ont commencé la guerre ne sont déjà plus là. Emile FLANDRE a vécu un nouveau miracle. La mort n’a pas voulu de lui. Tant de copains de la Somme ont disparu à ses côtés, ont souffert, ont crié de douleur près de lui à Sermaize-les-Bains et à Maurupt-le-Montois.
Paul LEGRIS et Marius DUBOS de Bray-les-Mareuil sont morts. Robert PRUVOT de Condé-Folie, René MERCHEZ d’Epagne, Michel GARDEZ, Pierre COCQUEREL, Kléber BILHAUT de Fontaine-sur-Somme sont morts aussi. La liste est bien trop longue. Ils habitaient les villages voisins. Emile les connaissait tous. Ils partageaient le quotidien de la caserne du 120e RI depuis tant de temps. Tous étaient venus donner 2 ans de leur vie pour servir leur pays. Pas pour donner leur vie !

Mi-septembre, la guerre des tranchées remplace la guerre de mouvement. En quatre semaines, c’est plus de 150 000 jeunes Français qui ont perdu la vie. Et ça ne va pas s’arrêter…
Le 120e est positionné en forêt d’Argonne dans le Bois de la Gruerie et vers Bagatelle. Le front se stabilise et pour quelques dizaines de mètres gagnés et reperdus le lendemain, ce sont chaque jour des morts et des blessés supplémentaires. Le 10 octobre, après plusieurs jours de canonnade, le régiment se replie. La fièvre typhoïde s’est répandue dans le régiment. Les hommes sont épuisés et beaucoup sont malades. Quand va donc s’arrêter ce cauchemar ?

Ces derniers jours, d’autres copains des villages voisins de Longpré sont tombés dans cette effrayante forêt argonnaise, Alfred DEVAUCHELLE de Long, Raoul BACQUET et Henri LECAT d’Hallencourt. Il y en a certainement beaucoup d’autres, mais les corps ne sont pas tous retrouvés. On évoque des disparitions, en souhaitant secrètement qu’ils soient prisonniers et non enterrés sous des tonnes de terre continuellement remuée par les obus.

Emile FLANDRE n’en peut plus. La mort, la souffrance, la peur… Ce n’est pas possible. La seule issue : être capturé par l’ennemi ou être blessé, pour enfin quitter l’enfer. Revoir ses parents. Revoir son frère tant aimé…
« Emile FLANDRE a été condamné à être fusillé le 29 octobre 1914 par le Conseil de Guerre spécial du 120e Régiment d’Infanterie à Florent (Marne) pour mutilation volontaire ». Il a été fusillé le 29 octobre 1914 à 15h.
Marceau BILHAUT a fini la guerre. Blessé à plusieurs reprises, il a vécu avec ses cicatrices aux épaules, aux bras, aux jambes et à l’arcade zygomatique « sans noter de défiguration notable ». De douleurs corporelles en cicatrices de l’âme, Marceau a survécu longtemps à la guerre. Il s’est éteint le 4 juillet 1966.
Noël CARTON a perdu l’œil droit. Blessé à plusieurs reprises, ayant « toujours fait preuve de beaucoup de courage » pendant la guerre, il est mort le 8 janvier 1919, moins de deux mois après la signature de l’Armistice.
Eugène FLANDRE, le frère aîné d’Emile, a survécu à la guerre. Blessé au bras, à la main, à la cuisse droite, Eugène a toujours boité. Il a bénéficié d’une pension pour fatigue à la marche, atrophie de 2cm de la cuisse ». Eugène FLANDRE s’est installé à son compte comme menuisier, dans sa commune de Longpré-les-Corps-Saints. Habitant dans la rue de son enfance, la Rue Aux Sacs, il a construit une belle famille avec sa femme Hélène. Robert, Daniel, André, Jacqueline et Jacques sont venus agrandir la famille, apportant joie et bonheur à leurs parents.

Dans les premiers mois de la Seconde Guerre mondiale, précisément en octobre 1940, alors que la commune était occupée par les Allemands, Eugène FLANDRE, qui était conseiller municipal, a été désigné pour assurer les missions de maire par interim de Lonpré-les-Corps-Saints jusqu’au retour de l’ancien maire en septembre 1941.
Eugène FLANDRE a exercé le métier de menuisier jusqu’à la fin de sa vie, aidés par ses fils. Il est mort le 21 septembre 1950, à l’âge de 59 ans.

Le nom de son jeune et unique frère, Emile FLANDRE, fusillé pour l’exemple à l’âge de 21 ans, n’a jamais été gravé sur le monument aux morts de sa commune. L’Etat français a refusé que son nom soit pris en compte dans le livre d’or de la commune, condamnant par là même sa famille au déshonneur et à l’absence de toute compensation financière.
Ce nom n’a pourtant pas été ignoré et oublié localement. Le nom d’Emile FLANDRE figure sur la plaque commémorative de la mairie. Même si tous ne sont pas officiellement reconnus « Morts pour la France », tous sont morts à cause de la guerre.
Lionel JOLY et Xavier BECQUET

« De la Somme à Bellefontaine – 22 août 1914 » – recherche collaborative 1891, 1892, 1893 – Département Somme. André MELET a réalisé la collecte de données pour la commune de Bouchon et Jean DELHAYE celle de Longpré-les-Corps-Saints.
[…] UN JOUR, UN PARCOURS – Emile FLANDRE de Longpré-les-Corps-Saints — De la Somme à Bellefontaine […]
J’aimeJ’aime