Né le 5 octobre 1892, Maurice CARDON est le fils d’Achiles CARDON. Maurice porte d’ailleurs en deuxième prénom celui de son père, orthographié de la même façon, loin de la Grèce et de la Guerre de Troie.
Achiles CARDON est ouvrier agricole, ou ménager, à Béalcourt, petit village agricole, au Nord de Bernaville, qui compte moins de 200 habitants. Quand naît, le premier fils, Maurice, l’idée de devenir cultivateur-exploitant germe dans la tête d’Achiles.
Achiles a épousé Célina, une fille du village voisin de Beauvoir-Rivière, dans le Pas-de-Calais. Toute la vie des CARDON se passe entre Somme et Pas-de-Calais. Le village de Béalcourt se trouve au coeur des marais, dans la Vallée de l’Authie, rivière qui est la frontière naturelle entre les deux départements.

Pour aller prendre le train, il faut parcourir 3 km et aller à la halte de Wavans (Pas-de-Calais). Le bureau de poste est à Bernaville (Somme), mais le bureau télégraphique à Auxi-le-Château (Pas-de-Calais). Pour vendre les vaches, les habitants de Béalcourt vont au marché d’Abbeville (Somme), mais pour les chevaux, ils vont à Saint-Pol (Pas-de-Calais). Et pour la basse-cour, c’est Auxi.
En résumé, la frontière administrative n’a pas vraiment de sens pour les Béalcourtois.

A Béalcourt, il y a un curieux personnage. L’abbé Perin, le curé du village, est un commerçant qui expédie sa production dans la France entière. Fabricant de miel « garanti sans mélange », d’hydromel et de cire jaune, il dispose également d’une incomparable volière. Il déclare avoir 42 variétés de pigeons pure race et « de 1er choix ». Il est également reconnu comme un spécialiste des serins hollandais. Un curieux personnage pour un curieux monument. L’église Notre-Dame de Mons est située à l’extérieur du village, à plus de 400 mètres des habitations. Chaque dimanche, les paroissiens se retrouvent en cortège pour se rendre à l’office. L’église a été reconstruite au XVIe siècle sur l’emplacement de l’ancienne. A l’époque, elle n’était pas celle de Béalcourt, qui n’était qu’un hameau dans les marais de l’Authie, mais celle de Mons, le chef-lieu. Village qui a été entièrement détruit lors d’une invasion des Espagnols.

Maurice, comme tous les enfants du village, fréquente l’église et l’école publique de Monsieur Courtillier, tout en aidant son père dans la ferme familiale. Achiles possède maintenant son exploitation, Rue Thouillette. La ferme CARDON est située juste à côté de celle de DEFLEURY, l’oncle de son copain Florian DEFLEURY. Les deux garçons ont tout partagé depuis le plus jeune âge. Ils ont fréquenté ensemble les bancs de l’église et de l’école. Ils ont arpenté les marais, les pâtures, les chemins, les bois. Maurice CARDON et Florian DEFLEURY sont inséparables. Florian habite Rue du Haut.

Leur avenir est tracé. Maurice reprendra la ferme de son père, aidé par son petit frère, Marcel. Et Florian viendra travailler avec lui. Mais pour l’instant, ce n’est pas encore l’heure de concrétiser les rêves d’enfant. Dès qu’il a l’âge d’être embauché, Florian devient domestique dans la grande ferme Eloy, Rue du Rang. Il y est logé et nourri.
En 1912, les deux copains partent ensemble à pied, à Bernaville, le chef-lieu de canton, pour se présenter devant le Conseil de Révision. Tous les deux sont jugés aptes au service armé. Ils vont partir servir leur pays pendant une longue période. Mais quitter leur village n’est pas trop pénible. Au contraire. Les deux compères sont affectés, ensemble, au 120e Régiment d’Infanterie de Péronne. Qu’espérer de mieux ?
Ils quittent Béalcourt, le 7 octobre 1913. Pas le temps de découvrir Péronne, le 120e quitte la caserne Foy de Péronne, dès l’arrivée de la classe 1912, pour s’installer dans la caserne Chanzy à Stenay, dans la Meuse.
Les permissions agricoles attribuées en juillet 1914 sont brutalement interrompues le 26 du mois. La tension internationale devient très vive, notamment entre la Serbie et l’Autriche. L’Allemagne va soutenir son alliée, et les Français vont, comme ils l’ont déjà fait à l’occasion des guerres balkaniques, se rallier à la cause serbe. Par le jeu des alliances, la guerre devient donc inévitable.
Le 120e est un des premiers régiments d’infanterie confronté à l’ennemi sur le sol français. Le 10 août, suite à une offensive allemande dans la Meuse, les hommes du 120e participent aux combats de Mangiennes. Les Allemands, en infériorité numérique, sont assez facilement repoussés. Une certaine euphorie gagne alors les fantassins. Si les Allemands ne résistent pas mieux que ça, la guerre va être brève. Maurice et Florian vont pouvoir aller terminer les moissons…
Le 22 août, la situation est tout autre. Envoyés dans le Sud du Luxembourg belge, les hommes du 120e se retrouvent confrontés aux mitrailleuses et à l’artillerie allemande sur le territoire du petit village de Bellefontaine. Le 3e Bataillon, celui de Maurice et de Florian, est complètement décimé. Il perd même son chef, le commandant HOLSTEIN.
Le 120e, avec plus de 1 000 hommes perdus en quelques heures, est contraint de quitter la Belgique pour se replier vers la Marne, où l’attend la prochaine épreuve. Maurice et Florian laissent sur place de nombreux copains. Les tués seront inhumés rapidement dans 16 fosses communes creusées dans la commune. Les blessés graves, soignés dans les maisons du village, seront transportés vers l’Allemagne pour y être maintenus en captivité.
Le 6 septembre 1914, le 120e Ri est dans le secteur de Sermaize-les-Bains. Les premiers combats sont meurtriers. Florian DEFLEURY est déclaré disparu le 7. Offensive et contre-offensive se succèdent pendant cinq journées, et il est bien difficile de savoir qui a été tué et qui a été fait prisonnier par l’ennemi. L’artillerie meurtrit aussi les corps au point de les rendre méconnaissables. Qu’est donc devenu Florian ?
Maurice CARDON poursuit la guerre. Le 120e RI n’a plus rien à voir avec celui qu’il a connu au service militaire. A la fin septembre 1914, les pertes sont supérieures à la moitié de l’effectif initial. L’identité picarde du 120e disparaît peu à peu. Il faut remplacer les hommes qui ne sont plus en état de combattre, et qu’importe leur origine géographique.
Maurice vit alors la guerre, comme tant de jeunes hommes de son âge, les pieds dans la boue des tranchées de l’Argonne. Le froid et l’humidité de l’hiver 1914 sont, pour beaucoup, insupportables. Le 6 janvier 1915, Maurice est évacué pour pieds gelés. Il ne revient au front que quatre mois plus tard.
Maurice quitte ensuite le 120e pour être affecté au 91e RI. En septembre 1915, il embarque à Marseille en direction de Philippeville, en Algérie. La guerre se passe également en Afrique.
En avril 1917, Maurice est évacué pour maladie. Il est rapatrié et repart aux armées dès le début du mois de mai 1917. En mars 1918, Maurice est promu caporal. Maurice CARDON est cité trois fois à l’ordre du régiment. Après la guerre, la Croix de guerre avec deux étoiles de bronze et une étoile d’argent lui sera remise.
Démobilisé en août 1919, Maurice revient à Béalcourt. Il reprend son activité dans la ferme familiale, Rue Thouillette.
Florian DEFLEURY ne reviendra pas. C’est seulement le 11 juin 1920, qu’il est officiellement déclaré « tué à l’ennemi ». Depuis janvier 1919 et le retour des derniers prisonniers, l’espoir de revoir leur fils et leur frère revenir vivant avait disparu chez les DEFLEURY.

Le nom de Florian DEFLEURY a été inscrit sur la plaque commémorative fixée sur le mur de l’église.
Et chaque fois que Maurice CARDON ira participer à une messe, là-bas, dans cette vieille église située si loin du village, il ne manquera jamais de s’arrêter devant la plaque et de rêver à ce qu’aurait pu être cette belle association entre les deux copains. Ce qui était leur rêve d’enfant. A Béalcourt.
Lionel JOLY et Xavier BECQUET
« De la Somme à Bellefontaine – 22 août 1914 » – recherche collaborative 1891, 1892, 1893 – Département Somme. Ghislain FRANCOIS a réalisé la collecte de données pour la commune de Béalcourt.

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