Né le 24 juillet 1890, Eugène DETOISIEN est le fils de Jules DETOISIEN et de Maria RAYAN.
La famille DETOISIEN habite Le Hamel, près de Corbie, depuis plusieurs générations. Jules DETOISIEN est tricotier comme l’était avant lui son père Jules et son grand-père Médard. En 1885, Jules DETOISIEN a épousé Maria RAYAN, originaire de Lamotte-en-Santerre, commune au territoire voisin de celui du Hamel. Léopold, leur premier enfant, est né en 1886, suivi, quatre années plus tard, par Eugène. La petite fratrie n’évoluera plus.
Jules et Maria DETOISIEN résident Rue de Villers-Bretonneux au Hamel. Jules est tisseur chez DURAND fils et VIEILLARD. Maria est couseuse de bas à domicile.

La famille DECLE habite dans la Rue Michel. Albert, le fils aîné, est né en 1890. Albert et Eugène se connaissent très bien. Ils vont à l’école ensemble dans la petite école publique communale de Monsieur BOURBIER. Ils assistent également aux offices de l’abbé VAQUETTE à l’église Saint-Médard.
Le village du Hamel compte environ 900 habitants à la fin du XIXe siècle. Tous les garçons du même âge se connaissent.
Jules, le père d’Albert DECLE, est badestamier chez MARESSELLE. Léonie, son épouse, est couseuse de bas à domicile, comme l’est la mère d’Eugène DETOISIEN.
Parmi les copains du même âge, il y a aussi Joseph LENGLET. Ses parents ont une ferme dans la Grande Rue. Il y a aussi Benjamin PARIS, Renaud NOIRET, Joseph DANEZ, Georges JOLY…

Le village du Hamel s’est bâti dans la Vallée de la Somme, entre le fleuve et jusqu’aux hauteurs où débutent le plateau du Santerre. Le centre du village est situé à six kilomètres de Corbie et à six kilomètres de Villers-Bretonneux, principaux centres commerciaux du secteur. C’est également à Corbie et à Villers-Bretonneux qu’on trouve les gares les plus proches pour rejoindre Amiens.

Si l’agriculture occupe un nombre important d’habitants au début du XXe siècle, l’activité principale reste encore liée au coton et à la laine. L’usine de velours de coton, de linge de table, nappes, serviettes emploie plus de 120 ouvriers. Il y a également trois ateliers de bonneterie de laine et de nombreux tricotiers à domicile.
A peine âgés de 12 ans, les garçons doivent travailler. Au Hamel, ce n’est pas difficile. Eugène DETOISIEN est embauché chez DURAND fils et VIEILLARD, où travaille son père. Albert DECLE rejoint son père chez MARESSELLE. Quant à Joseph LENGLET, c’est tout naturellement dans la ferme de ses parents qu’il travaille.
La vie semble être un éternel recommencement. Hélas, la vie est aussi parsemée de drames. De santé fragile, Léopold DETOISIEN, le frère aîné d’Eugène, meurt à l’âge de 23 ans. Dans la petite fratrie, alors qu’il n’est pas encore entré dans l’âge adulte, Eugène est alors le seul survivant.

A 20 ans, les copains du Hamel sont convoqués devant le Conseil de Révision de Corbie. Certains départs au service militaire sont ajournés pour raison médicale : Renaud NOIRET, pour acuité visuelle insuffisante et Benjamin PARIS et Joseph DANEZ pour faiblesse générale.
Georges JOLY ayant quitté la France depuis plusieurs années pour devenir cultivateur au Brésil, ils ne sont donc que 3 des copains du Hamel de la Classe 1910 à être jugés aptes au service armé, avec un départ programmé en octobre 1911.
Eugène DETOISIEN et Albert DECLE sont affectés au 51e Régiment d’Infanterie de Beauvais. Joseph LENGLET est affecté au 3e Bataillon de Chasseurs à Pied.

En septembre 1913, après deux années sous les drapeaux, les trois copains en ont terminé avec cette obligation. Ils sont heureux de pouvoir enfin penser à leur vie d’après. Leur vie d’adultes dans leur village du Hamel. L’expérience militaire ne fut pas particulièrement désagréable. Eugène DETOISIEN a même eu l’occasion d’être nommé clairon pendant la 2e année de service. Il y a eu des moments difficiles mais c’est surtout la camaraderie et la solidarité qui restent dans les mémoires. Nul doute que si on croise les copains de la caserne sur le marché de Corbie ou à l’occasion d’une foire à Amiens, on aura plein de souvenirs à échanger…

Le 1er août 1914, l’ordre de mobilisation générale est affiché sur le mur de la mairie du Hamel. Les jeunes hommes des classes 1911,1912 et 1913 sont déjà sous les drapeaux. Les hommes des 3 précédentes classes sont les premiers à quitter leurs familles. L’Armée estime qu’ils sont opérationnels. Ils doivent rejoindre les unités combattantes au plus tôt.
Eugène DETOISIEN et Albert DECLE sont affectés au 51e RI où ils ont effectué leur service militaire. Joseph LENGLET rejoint le 8e Bataillon de Chasseurs à Pied qui est caserné à Amiens. Le 5 août, les 3 copains du Hamel partent vers l’Est de la France, au Nord du département de la Meuse, près de la frontière avec la Belgique.
Eugène, Albert et Joseph ont participé aux premiers combats du mois d’août près des fontières de l’Est. Puis ils ont combattu dans la Marne, début septembre 1914. Le 51e RI a ensuite rejoint le secteur du Bois de la Gruerie, en Argonne. Le 8e BCP est parti en Flandre Occidentale. Joseph LENGLET y meurt, le 2 novembre 1914, dans le secteur de Dixmude.

En décembre 1914, Albert DECLE est évacué pour gelure des pieds. Le froid et l’humidité des tranchées dans le Bois de la Gruerie, en Argonne, ont eu raison de nombreux organismes. Albert revient au front en mars 1915.
Quelques semaines plus tard, c’est le choc. Son copain Eugène disparaît. Le 5 mai 1915, Eugène DETOISIEN meurt dans une ambulance allemande des suites de blessures de guerre.
La guerre continue pour Albert. Le 11 janvier 1916, dans les combats à la Tranchée de Calonne, près de Verdun, des éclats d’obus lui transpercent la joue et lui abîment une main. L’hospitalisation est longue. En mai 1917, Albert est envoyé au front. Il s’illustre immédiatement par son courage et est cité à l’ordre du régiment pour avoir remplacé un brancardier au plus près du champ de bataille.
Albert DECLE a survécu à la guerre. Abîmé physiquement et moralement, mais vivant ! Jules et Maria DETOISIEN auraient tellement souhaité que leur fils unique leur revienne. Même abîmé…
Les 3 « ajournés » du conseil de révision de 1910 ont finalement été jugé apte pour aller à la guerre. Les ajournés pour faiblesse générale, Benjamin PARIS et Joseph DANEZ y sont morts. Le 13 juillet 1915, et malgré une « acuité visuelle insuffisante », Renaud NOIRET a été jugé apte au service armé par la Commission de Réforme de Crécy-en-Ponthieu avant d’être reclassé au dépôt du régiment… Renaud NOIRET a survécu.
Quant au « Brésilien » Georges JOLY, lui aussi a participé à la guerre. Il s’est présenté volontairement au Consulat de France le 6 août 1914 pour remplir son devoir patriotique. Affecté en 163e RI lors des combats en Flandre occidentale, il est considéré comme disparu le 16 décembre 1914 à Nieuport. Prisonnier en Allemagne, il n’est rapatrié qu’en janvier 1919. Il n’est pas reparti en Amérique du Sud. En 1920, il a épousé Louise VOITURIER avec laquelle il s’est installé à Villers-Bretonneux.

Sur le monument aux morts du Hamel, figurent les noms d’Eugène DETOISIEN, de Joseph LENGLET, de Benjamin PARIS et de Joseph DANEZ, quatre des sept copains d’enfance du Hamel. Quatre des sept jeunes hommes du village qui avaient 24 ans en 1914.
Lionel JOLY et Xavier BECQUET
Dans les documents d’archives consultés, le prénom usuel utilisé pour Eugène DETOISIEN peut être également Ernest.
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