Né le 17 janvier 1891, Joseph ROBILLARD est le fils d’Almire ROBILLARD et de Célénie DAULÉ.
A la fin du XIXe siècle, les familles ROBILLARD et DAULÉ résident à Cagny, près d’Amiens. Les ROBILLARD habitent Rue Fontaine et les DAULÉ Rue des Prés. Almire ROBILLARD et ses frères sont maçons. Ils travaillent pour des artisans amiénois. Cagny est devenu un village de maçons puisqu’ils sont au moins une trentaine à exercer ce métier.

L’autre métier le plus répandu, c’est blanchisseur. Les parents et l’oncle de Célénie DAULÉ sont blanchisseurs. Ils sont employés dans la blanchisserie de linge de table. La grande entreprise, de réputation européenne, est dirigée par les Frères Deneux de Saint-Remy-au-Bois, dans le Pas-de-Calais. On trouve une centaine d’ouvriers permanents dans l’atelier de Cagny.

Cagny est un village situé au Sud-Est d’Amiens, près de la commune de Longueau. Le village compte moins de 500 habitants à cette époque. L’important nœud ferroviaire de Longueau n’est qu’à quelques centaines de mètres du village de Cagny. La gare de Longueau constitue le point de passage et d’arrêt de tous les trains qui font la liaison entre Lille, Boulogne-sur-Mer et Paris.
Joseph ROBILLARD est le 2e enfant de la fratrie. Il a une sœur aînée, Rosine et deux sœurs et deux frères cadets. Alfréda est née en 1892, Philomène en 1896 et les deux plus jeunes garçons se prénomment Noël, né en 1899 et Roger, né en 1900. Almire ROBILLARD est maçon chez Dupont à Amiens.

A Cagny, la Rue Fontaine se prolonge par un chemin qui arrive directement au Sud d’Amiens. Beaucoup de maçons et d’ouvriers passent devant la maison d’Almire le matin pour aller dans la capitale picarde. Plusieurs groupes se forment systématiquement. L’ambiance y est plutôt joyeuse.
Victorine DAULÉ, la sœur de Célénie, a épousé Alphonse SALLÉ, un garçon originaire de Cappy près de Bray-sur-Somme. Alphonse et Victorine se marient en novembre 1890 puis s’installent à Longueau, Route de Camon. Leur premier enfant se prénomme André. Il naît le 9 septembre 1891.

Joseph ROBILLARD et André SALLÉ ont le même âge. Cousins germains ayant le même âge, ils aiment se retrouver dès qu’une réunion de famille, à Cagny ou à Longueau, est organisée. Les sœurs DAULÉ, Célénie et Victorine, se voient souvent.
Alphonse SALLE est domestique et Victorine DAULÉ épouse SALLÉ est piqueuse de bottines.
Les cousins germains ne se voient plus que de loin en loin. Après le décès d’Alphonse SALLE, son époux, Victorine a quitté la région avec son fils, André. Ils résident à Valenciennes, dans le département du Nord. Le chemin des deux cousins s’éloigne. Joseph ROBILLARD, après avoir travaillé dans la blanchisserie Deneux à Cagny, devient maçon, comme son père, même si comme tout jeune travailleur il faut commencer par l’apprentissage. Joseph ROBILLARD est apprenti-maçon dans l’entreprise Paris à Amiens. Rosine, la sœur aînée de Joseph, est employée chez BATTERSBY, le célèbre chapelier.

Le jeune André SALLÉ suit une toute autre voie. Malgré ses origines modestes, il parvient à poursuivre des études supérieures. C’est vers l’art qu’il s’oriente. Il étudie à l’Académie de Valenciennes puis à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts à Paris. Quand il est appelé pour effectuer son service militaire, André SALLÉ réside Rue Jacob, dans le 8e Arrondissement. Joseph ROBILLARD habite, lui, toujours à Cagny.
Les deux cousins germains sont convoqués le même jour. Le hasard de l’affectation ne les a pas réunis pour les 2 années de service militaire obligatoire. Même s’ils sont tous les deux incorporés dans la 2e région militaire d’Amiens, Joseph ROBILLARD est affecté au 72e RI d’Amiens alors qu’André SALLÉ doit rejoindre le 87e RI de Saint-Quentin dans l’Aisne.

Le 3 août 1914, la guerre est déclarée. Les régiments de la région d’Amiens qui ne s’étaient pas encore rapprochés des frontières de l’Est de la France prennent le train le 5 août au matin pour gagner le secteur de Stenay, au Nord de la Meuse.
Les régiments des cousins germains vont connaître les mêmes champs de bataille du début de la guerre. Tout d’abord, le 22 août, dans le secteur Ouest de Virton en Belgique, puis près de Cesse, dans la Meuse, fin août. Après la traversée du département des Ardennes du Nord au Sud, les hommes des régiments picards se positionnent au Sud de la Marne, entre Saint-Dizier et Vitry-le-François. Joseph ROBILLARD et André SALLÉ vont combattre à quelques kilomètres l’un de l’autre. Peut-être même à quelques centaines de mètres.
Le 9 septembre, à Maurupt-le-Montois, Joseph ROBILLARD est gravement blessé. Une balle lui a perforé le thorax. Evacué vers l’arrière pour y être hospitalisé, il revient au front moins de deux mois plus tard.

A son retour, son régiment, tout comme le 87e RI de son cousin André, sont en forêt d’Argonne, tentant de rependre à l’ennemi quelques mètres de terrain dans les tranchées boueuses du Bois de la Gruerie.
André SALLÉ est blessé par coup de feu à l’avant-bras le 4 décembre. Hospitalisé dans le Sud de la France, il ne retrouve pas l’usage de son bras blessé. Le membre reste paralysé. André SALLÉ est reconnu inapte par la commission de réforme de Montpellier le 10 juillet 1915, puis réformé en décembre 1915.

En Argonne, Joseph ROBILLARD, le maçon de Cagny, est remarqué pour sa bravoure. Il est promu caporal puis sergent en mai 1915. Une citation à l’ordre du régiment indique même « bien qu’assez grièvement blessé par des éclats d’obus dès les premiers jours de l’occupation de la tranchée, a refusé de se rendre au poste de secours et a donné à ses camarades le plus bel exemple de courage et d’entrain ».
Après avoir combattu dans le secteur de Vienne-le-Château puis, plus à l’ouest, à Mesnil-les-Hurlus, les régiments picards quittent la Marne pour le département de la Meuse et se positionnent à l’ouest de Verdun. C’est à La Chalade, dans les combats du Bois-Bolante, qu’est tué Joseph ROBILLARD le 31 octobre 1915. Il avait 24 ans.

Les frères cadets de Joseph n’ont pas été envoyés au combat. Noël, mobilisé en 1918, a été jugé inapte au service armé. Il a été affecté au service auxiliaire. Son strabisme divergent lui a peut-être sauvé la vie…
Roger, le plus jeune de la fratrie, n’a été appelé qu’en mars 1920. Il a participé à la campagne d’occupation du Rhin de mai à septembre 1921.
Almire et Célénie ROBILLARD ont fini leur vie à Cagny, dans la petite maison de la Rue Fontaine.

André SALLÉ est devenu un célèbre sculpteur. Avec son unique bras valide, la sculpture est peut-être devenue une forme de rééducation. Après la guerre, André SALLÉ est devenu professeur à l’Ecole des Beaux-Arts de Nîmes. Il participe comme candidat au prestigieux Grand Prix de Rome, en 1924. Il s’agit de composer une œuvre d’après deux vers de la fable de La Fontaine « La mort et le bûcheron ». Son œuvre, fortement marquée par les images de morts des champs de bataille qu’a connus André, est primée.

En 1952, André SALLÉ a réalisé plusieurs sculptures en béton armé qu’il a offert à la municipalité de Longueau, sa ville natale. Elles ont été installées sur la façade du Théâtre de la Renaissance… jusqu’en 2018.

André SALLÉ est mort à Paimpol, en Bretagne, le 10 janvier 1961, à l’âge de 69 ans. Son nom est inscrit sur un monument aux morts, mais pas en tant que victime. Il est l’auteur des sculptures figurant sur le magnifique monument de Limoges.

Le nom de son cousin germain Joseph ROBILLARD est lui aussi inscrit sur un monument. En tant que « Mort pour la France », son nom a été gravé à Cagny, son village de naissance.
Les deux cousins avaient le même âge. Joseph a 24 ans pour toujours.
Lionel JOLY et Xavier BECQUET

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