ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – James LELAURIN et Félix DUVAUCHEL d’Ardennes et de Somme

Né le 18 décembre 1891 à Boulzicourt, commune des Ardennes située au Sud de Charleville-Mézières, James LELAURIN est le fils de Louis LELAURIN et de Marie PERIN.

Louis et Marie sont nés, l’un et l’autre, à Boulzicourt. Louis dans une famille de fabricants en ferronnerie et Marie dans une famille d’agriculteurs. Boulzicourt est un bourg de plus de 1 000 habitants à la fin du XIXe siècle, quand naît James LELAURIN, premier et seul fils de la fratrie. Paule, son unique soeur, est née en 1887. Il n’y aura pas d’autre enfant.

L’industrie textile fait vivre beaucoup de familles. Deux grandes filatures sont en activité, la mécanisation s’y installant peu à peu grâce à l’énergie hydraulique fournie par la rivière Vence. A la belle saison, l’agriculture et l’élevage emploient une main d’œuvre nombreuse et pendant la saison d’hiver, les différentes fabriques du bourg permettent également aux habitants de trouver une activité. Ses études terminées, James travaille dans l’usine familiale comme fabricant de ferronnerie. Il s’agit d’une fabrique de marchepieds pour les wagons.

Au début de l’année 1912, James est convoqué devant le Conseil de Révision de Flize. Le jeune homme aux cheveux châtains et aux yeux marron clair est jugé apte au service armé. Il est affecté au 91e Régiment d’Infanterie de Mézières. La caserne est située à moins de dix kilomètres de Boulzicourt. Cette affectation convient fort bien au jeune LELAURIN.

Sa sœur Paule vient de se marier. Elle a épousé Louis DEPARPE. Quand il reviendra du service militaire, James compte bien, lui aussi, se marier et fonder une famille. Et si un fils vient au monde, il pourra reprendre l’entreprise de ferronnerie transmise de père en fils comme son grand-père Jean-Baptiste l’avait transmise à son fils Louis.

Le 8 octobre 1912, James arrive à la caserne Du Merbion de Mézières pour y débuter ses deux années de service militaire.

Ce régiment, fréquenté par beaucoup de jeunes hommes du département des Ardennes, est rattaché à la Région militaire d’Amiens. Mézières est située à proximité de la frontière avec la Belgique. Les hommes du 91e RI savent qu’ils se trouveront en première ligne si la guerre éclate.

Félix DUVAUCHEL n’est pas Ardennais mais natif et habitant du département de la Somme. Pourquoi est-il affecté au 91e Régiment d’Infanterie ? Hasard ou besoin ponctuel d’effectif ou de compétence particulière ? Nul ne le sait.

Les DUVAUCHEL ne sont pas ardennais. Les parents de Félix sont Jean-Baptiste DUVAUCHEL et Maria CROET. La famille DUVAUCHEL est originaire du secteur de Doullens, au Nord de département de la Somme. Jean-Baptiste est né à Outrebois et Maria à Marles-les-Mines dans le Pas-de-Calais voisin.

Jean-Baptiste DUVAUCHEL et ses frères sont venus s’installer à Berteaucourt-les-Dames pour y travailler dans l’industrie textile. Les frères Saint ont bâti une de leurs plus grandes fabriques dans la commune, dans un lieu appelé Harondel. Jean-Baptiste et Maria habitent aux Masures quand naît leur premier enfant, Félix. Il est suivi par Arsène, Victorice, Philomène et Marcel.

En 1898, la famille déménage pour la commune voisine limitrophe de Saint-Léger-les-Domart. Elle réside dans la Rue de Bas. A douze ans, Félix devient ouvrier dans la fabrique Saint comme ses frères et tous ses cousins le deviendront également.

En 1913, Félix DUVAUCHEL est convoqué devant le Conseil de Révision de Domart-en-Ponthieu. Jugé apte, il se voit signifier sa convocation pour se rendre dans les Ardennes. Il est le seul du secteur à être affecté au 91e Régiment d’Infanterie de Mézières.   

Quand Félix DUVAUCHEL, le Samarien, arrive à la caserne Du Merbion, le 28 novembre 1913 pour y effectuer ses trois années de service militaire, James LELAURIN, l’Ardennais, n’a plus que 10 mois à attendre pour en être libéré.

Fin juillet 1914, la situation internationale est tendue. La guerre semble inévitable. La France et son alliée la Russie, sont les deux premiers pays de la Triple Entente à décréter la Mobilisation générale.

Le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France et entre, dès le 4 août, sur le territoire de la Belgique neutre. Le roi des Belges refuse de laisser envahir son territoire sans réagir. La petite armée belge tente d’arrêter la progression des troupes allemandes autour de Liège. La résistance belge est héroïque mais dès le 15 août, les Allemands pénètrent dans tout le pays en direction du sud.

Le 16 août, le général JOFFRE, commandant des Armées françaises, décide de lancer une grande offensive en Belgique pour repousser les Allemands et les « renvoyer à Berlin ». Cette offensive aura lieu le 22 août.

Le 91e Régiment d’Infanterie franchit la frontière le 21 août et bivouaque, la nuit du 21 au 22 août, dans le Haut-Bois entre Sommethonne et Villers la Loue. Au réveil, un épais brouillard recouvre toute la région. Les orages et les pluies violentes de la nuit ont détrempé les chemins.

A 7h45, le régiment dépasse Houdrigny, le 3e bataillon en tête. En chemin, il rencontre les débris des 9e et 12e compagnies du 115e de la IIIe Armée française. Les hommes n’ont plus de munitions et semblent être poursuivis de très près. Le capitaine COUSIN du 115e  rend compte au colonel Blondin, commandant du 91e RI, que d’importantes forces allemandes viennent d’emporter la ferme de Bellevue et que leur direction d’attaque doit les conduire sur Houdrigny. Le 91e RI doit poursuivre sa route vers Bellefontaine pour mener l’offensive à la suite du 120e Régiment d’Infanterie de Péronne et des troupes de la IVe Armée. Mais il n’arrivera jamais à Bellefontaine. Il se retrouve impliqué dans les combats de la IIIe Armée, tout comme d’autres régiments de la région d’Amiens (le 128e RI, le 51e RI, le 87e RI).

Le glacis descendant du mamelon 280 sur Houdrigny et sur la route de Meix-devant-Virton est déjà balayé par les rafales de mousqueterie. Le colonel BLONDIN ordonne de porter un bataillon sur la crête à l’est d’Houdrigny et de rejoindre le gros du régiment à Meix-devant-Virton.

A 8h15, le brouillard commence à céder dans le fond de la vallée du ruisseau « Les Forges » et le 3e bataillon du 91e  gravit les pentes du mamelon 280. Les compagnies de première ligne ouvrent le feu mais en dépit des efforts des officiers qui fouillent le terrain à la jumelle, aucun objectif allemand n’apparaît. Le commandant prescrit de s’installer sur le mamelon 280 sans s’approcher de la crête. L’artillerie allemande, qui semble être à l’est de Robelmont à la lisière du bois, entre en action et les obus éclatent trop haut au-dessus de la compagnie Petin qui se terre.

Quelques minutes plus tard, les Français aperçoivent des mouvements de troupes vers Robelmont.

Le colonel BLONDIN, commandant du 91e RI, marchant à la tête de ses 1er et 2e  bataillons, est sur le point d’atteindre le passage à niveau de la voie ferrée, à un kilomètre au Nord d’Houdrigny. Il détache une compagnie sur la croupe de Berchiwé. Le feu d’infanterie et d’artillerie redouble d’intensité dans la direction de Robelmont, rendant la marche vers le nord trop coûteuse en vies humaines. Le colonel décide alors de prendre plutôt part à l’action vers l’Est. Un bataillon se porte face à Robelmont.

Les feux allemands semblent partir de la lisière de Robelmont. Pour atteindre cette localité, il faut franchir un glacis d’environ 800 m. Très vite, les deux compagnies de tête subissent des pertes et doivent se terrer. Les deux sections de mitrailleuses prennent pour objectif de leur tir la lisière de Robelmont. Le colonel BLONDIN demande des renforts d’artillerie.

Le régiment entame une offensive en direction des hauteurs de Virton.

A midi, la situation semble déjà désespérée pour les Français. Même si l’artillerie française empêche les Allemands d’entrer dans la ville de Virton, il paraît évident que les fantassins français de la IIIe Armée ne parviendront jamais à reprendre les hauteurs de Bellevue à l’ennemi. L’effectif total des Français encore présents dans Virton ne dépasse pas 500 ou 600 hommes valides, avec peu de cartouches.

Les Allemands sont tout aussi épuisés que les Français par les combats. Ils sont abrités dans des tranchées qu’ils continuent à creuser. Les français sont tapis dans des trous de tirailleurs ou simplement derrière leur sac. Les mitrailleuses allemandes déclenchent leur tir sur tout ce qui bouge. Par-dessus l’infanterie, les deux artilleries échangent leur obus.

L’offensive lancée à l’Ouest par les régiments de la Région d’Amiens n’a plus d’intérêt. La bataille est perdue. La situation des trois bataillons du 91e RI est très précaire. Les balles proviennent du Nord et de l’Est, ce qui donne l’impression à la première ligne que l’on tire sur elle de l’arrière.

En fin d’après-midi, le colonel BLONDIN, voyant les blessés refluer de plus en plus nombreux, envoie un officier à l’état-major pour exposer la situation et le danger d’une offensive allemande.

Après validation du général de Brigade, BLONDIN donne un ordre de repli sur Sommethonne par le bois Lavaux.

En quelques heures, le régiment a perdu de nombreux hommes. Dans cette première épreuve du feu, près de 100 jeunes hommes ont perdu la vie et plusieurs centaines ont été blessés. Ce combat pour gagner les hauteurs de Virton constituait pour beaucoup de jeunes fantassins l’épreuve du feu. Un combat meurtrier dans lequel le 91e RI n’aurait jamais dû être impliqué.

On peut estimer que les pertes totales (tués, blessés et prisonniers) de la Bataille de Virton, le 22 août 1914, s’élèvent à 6 800 (5 100 Français et 1 700 Allemands).

La Belgique étant occupée par les Allemands pendant plus de quatre années, les informations concernant les morts des combats du 22 août 1914 ne sont parvenues aux familles que longtemps après la fin de la guerre. Le 22 août 1914, la température était particulièrement chaude. Il fallait enterrer au plus vite les milliers de corps sans vie des combats le long des frontières pour éviter la propagation de maladies. La population locale a été réquisitionnée par les Allemands pour creuser des fosses communes et y déposer les cadavres, recouverts de chaux vive.

L’information officielle du décès de James LELAURIN n’est arrivée dans sa famille qu’en mai 1920. Depuis janvier 1919, avec le rapatriement des derniers prisonniers, l’espoir de revoir James vivant avait presque complètement disparu. Quand le jugement du tribunal de Charleville a été rendu, des ruisseaux de larmes s’étaient déjà écoulés sur les visages des membres de la famille LELAURIN. Quand les fosses communes d’Houdrigny ont été ouvertes, les corps n’étaient plus identifiables. Les restes de James LELAURIN ont vraisemblablement été déposés dans l’ossuaire du cimetière militaire d’Houdrigny, avec ceux des copains de régiment de Mézières tombés à ses côtés le 22 août 1914.

Félix DUVAUCHEL a survécu aux premiers combats. Mais la suite n’est pas un long fleuve tranquille pour lui. Touché le 30 septembre 1914 en forêt d’Argonne, il est évacué pour blessure par balle à la jambe. A son rétablissement, il est envoyé au front dans la Marne où il retrouve quelques copains du service militaire, rescapés des combats du terrible automne 1914. Le 28 février, près de la ferme de Beauséjour, il est à nouveau blessé. Un éclat d’obus lui a perforé le pouce gauche. Après un second séjour à l’hôpital, il est à nouveau envoyé au combat. Le 91e RI est maintenant en action près de Verdun.

Le 8 juin 1916, Félix DUVAUCHEL est gravement blessé à la main droite. Un éclat d’obus lui a arraché tous les doigts de la main droite. La guerre est bien finie pour lui. Une année plus tard, Félix est réformé définitivement. Il revient dans la Somme,à Berteaucourt-les-Dames. Estropié de guerre, Félix retrouve après la guerre un emploi réservé dans les usines textile des Frères Saint.

Si dans la famille LELAURIN, le seul garçon de la fratrie a disparu, chez les DUVAUCHEL les trois garçons mobilisés sont rentrés. Arsène DUVAUCHEL a été blessé une première fois à la main gauche et à la jambe droite, par éclats d’obus, en février 1915 puis plus gravement au bras gauche en septembre 1916. Il n’a jamais pu retrouver l’usage normal du bras. Victorice DUVAUCHEL a été blessé près de Verdun en juillet 1916. Des éclats de grenade ont provoqué de très nombreuses plaies sur les fesses et à l’arrière du genou gauche. Il a boité toute sa vie. Les frères DUVAUCHEL sont restés dans la Vallée de la Nièvre près de Berteaucourt, tous trois estropiés, mais vivants.

Nul doute que les parents et la soeur de James LELAURIN auraient souhaité voir revenir à la maison l’être aimé, même gravement blessé, même gravement malade… Pouvoir le tenir dans leurs bras. Pouvoir l’embrasser…

James LELAURIN avait 22 ans. Son nom n’a jamais été gravé au fronton de l’entreprise familiale. Il est inscrit sur le monument aux morts de Boulzicourt dans les Ardennes.

C’est dans la même commune que Paule, la sœur de James LELAURIN, est décédée en 1966 à l’âge de 79 ans.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET

Merci à Minouche (petite-nièce de James LELAURIN) et Christian GAIGNEUX

Les aquarelles sont de Nestor Outer (Musée gaumais à Virton)

Dans certains documents d’archives consultés, le patronyme DUVAUCHEL peut être écrit également DUVAUCHELLE.

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