« Au moment où s’engage une bataille dont dépend le salut du pays, il importe de rappeler à tous que le moment est venu de ne plus regarder en arrière ; tous les efforts doivent être employés à attaquer et à refouler l’ennemi. Une troupe qui ne pourra plus avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles, aucune défaillance ne peut être tolérée » déclare le général Joffre, le 5 septembre 1914.
La contre-offensive est imminente, mais il faut d’abord obtenir le soutien des Britanniques, comme le souhaite également le Ministre français de la Guerre. Le chef des armées, se rendant de bon matin au quartier général de French, lui lance que « l’honneur de l’Angleterre est en jeu ! ». Ce qui suffit à convaincre les alliés de se joindre à l’offensive des armées françaises.
C’est essentiellement en Champagne et en Lorraine qu’auront lieu les affrontements entre les 2 blocs ennemis. Au moins deux millions d’hommes, face à face, sur une bande de terrain de quelques kilomètres de large et de 280 km de long.
Comme en Belgique quelques jours plus tôt, c’est la 4e armée du général Langle de Cary qui sera au centre du dispositif d’offensive (entre Sompuis et Sermaize-les-Bains), appuyée à sa gauche par la 5e armée (de Provins à Sézanne), et à sa droite, par la 3e armée (de Revigny-sur-Ornain à Verdun). Il s’agit du même dispositif que le 22 août, avec la 5e armée, qui était renforcée par les Britanniques, sur l’aile gauche (Mons-Charleroi) et la 3e à droite (Virton, Luxembourg et Meurthe-et-Moselle). Ce sont à nouveau ces 3 armées qui doivent faire la différence en perçant une brèche au milieu de la ligne de défense allemande, pour ensuite espérer prendre ensuite l’ennemi à revers. A la différence de la Belgique, une armée supplémentaire a été créée pour s’intercaler entre la 4e et la 3e. Il s’agit de la 9e armée qui a été confiée au général Foch. A défaut de progresser, elles ne doivent surtout pas céder face à la pression opposée. Les 1ère et 2e armées françaises restent positionnées le long des Vosges. Quant aux Britanniques et à la 6e armée française, c’est à l’Est et au Nord de Paris qu’elles doivent se préparer à forcer la décision en enroulant les troupes de la 1ère armée allemande de Von Kluck.
Les informations sur l’avancée des troupes allemandes inquiètent Joffre. Malgré les succès remportés sur la Meuse, la 4e armée continue de reculer. Certains de ses corps d’armée ont même volontairement opéré un retrait pour se reconstituer à l’arrière. La contre-offensive doit débuter au plus tôt !
C’est demain, 6 septembre, que toutes les armées françaises devront, simultanément, repousser les Allemands par des actions coordonnées. En ce 5 septembre, les accrochages sont, comme les jours précédents, le résultat d’une nouvelle prise de possession d’un village. Les Français sont chassés du village qu’ils tentent de défendre ou de reprendre. Souvent sans y parvenir. Au Nord-Est de Paris, c’est dans cette situation, quand les Allemands ont pris le village de Saint-Soupplets, en Seine-et-Marne, que des combats ont lieu. Cet accrochage de Saint-Soupplets-Villeroy est fatal à un lieutenant de réserve de 41 ans qui avait été appelé à la mobilisation tout naturellement le 2 août. C’est dans ce combat que Charles Péguy, l’écrivain, a été tué le 5 septembre 1914.
René Doumic écrira peu de temps après, en octobre 1914, dans La Revue des deux mondes, que la mort de Charles Péguy n’a pas interrompu son œuvre. Qu’elle la complète, l’achève et la multiplie à l’infini. Et qu’un jour « refleuriront plus saines et plus vigoureuses les plantes qu’il a arrosées de son sang. » La presse aura besoin de trouver des héros pour galvaniser le moral, aussi bien des mobilisés que des civils. Charles Péguy deviendra l’un d’eux.
Dans leur avancée, les Allemands commencent à considérer les régions traversées comme étant sous leur contrôle. Les départements du Nord, du Pas-de-Calais, des Ardennes sont déjà considérés comme acquis par l’armée impériale. Les soldats réquisitionnent les chevaux, les voitures, les vélos. Des officiers allemands exigent, sans mandat régulier, des contributions de guerre. Les maires sont obligés d’afficher des dépêches écrites en français annonçant les déroutes des troupes françaises et l’écrasement des Russes. Tout déplacement est interdit pour la population civile et la peur s’installe peu à peu à l’arrière du front allemand. Les premiers civils français commencent à être déportés en Allemagne.
Les conditions stratégiques imaginées par Joffre en déclenchant la retraite des troupes françaises, le 25 août, sont donc bien réunies. Il voulait reconstituer et réunir tous les corps d’armée, renforcés par les divisions territoriales et de réserve, sur une ligne moins étendue qu’en août. C’est fait. En revanche, comme lui ont dit ses généraux, les hommes qui ont combattu en Belgique, quelques jours plus tôt, sont épuisés par la retraite et ses nombreux aléas. Néanmoins, la volonté de reprendre l’offensive plutôt que de se replier sans cesse est largement partagée, y compris dans l’opinion publique, associée à cette préparation par la forte médiatisation autour de la réquisition de taxis, à Paris, par le général Galliéni, pour emmener des fantassins dans la Marne. La population, nourrie quotidiennement avec la presse par les témoignages sur les horreurs provoquées en Belgique commence à craindre une invasion beaucoup plus large du territoire. Il faut chasser le « Boche ». Joffre est convaincu qu’il peut compter sur les troupes et le moral des soldats pour faire la différence.
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