ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – les 3 copains de Fienvillers

Né le 14 novembre 1892, Georges VIMEUX est le fils d’Elisa VIMEUX.

Elisa est la fille unique de Charles et de Marie VIMEUX. Charles est journalier. La famille réside rue des Galets à Fienvillers, commune située dans le canton de Bernaville et l’arrondissement de Doullens, au nord du département de la Somme.

Georges VIMEUX est déclaré comme enfant naturel d’Elisa, tout comme l’a été sa sœur Berthe née trois ans plus tôt. Les deux enfants viennent au monde dans la maison de leurs grands-parents maternels.  Quelques années plus tard, Elisa déménage, emmenant ses enfants, pour rejoindre la maison d’Alexandre CARON dans la rue de Candas. Alexandre est maçon. Comme il n’y a pas de mariage entre Elisa et Alexandre, les enfants continueront à porter le patronyme de leur mère.

Le village de Fienvillers compte environ 900 habitants à la fin du XIXe siècle. Le territoire de la commune est essentiellement agricole. Plus de la moitié des terres sont cultivées en céréales, un tiers en plantes fourragères et le reste pour les pommes de terre, le lin et les graines alimentaires. La fabrication du cidre, tout comme la basse-cour et la laiterie offrent d’excellents revenus. On trouve également dans la commune une briqueterie, une panneterie et un four à chaux. Même s’il reste encore quelques ateliers de teillage de lin à domicile, l’activité tend à disparaître. De nombreux hommes du village rejoignent chaque matin l’usine textile des frères SAINT à Beauval où ils sont employés. On compte également quelques boutonniers travaillant à l’usine BERCHET. Après sa scolarité, Georges devient ouvrier tuilier.

Né le 11 juin 1892, Henri BERTHAUX est le fils d’Auguste BERTHAUX et de Marie DELAPORTE. Auguste et Marie sont issus de familles de tisserands de Fienvillers. Ils résident dans la rue des Juifs.

Henri est le 6e enfant mis au monde par Marie. Mais du fait de la mortalité infantile qui frappe lourdement la famille, deux des cinq premiers enfants ne survivent pas.  Les aînés de la fratrie sont Ernest, Xavier et Elise. Après la naissance d’Henri, quatre autres enfants viennent compléter la grande fratrie : Georges, Marie, Anaïs et Berthe.

Auguste, le père de famille, est journalier. Les conditions de vie sont difficiles. Par malchance, le fils aîné, Ernest, est de santé fragile. Les plus jeunes doivent donc quitter l’école assez tôt pour trouver du travail. Henri est journalier et son frère aîné, Xavier, est domestique dans la ferme de Georges BRASSEUR. 

Né le 23 septembre 1892, Sadi VIGNON est le fils d’Henri VIGNON et d’Octavie FRANCOIS. Sadi et sa sœur Marie, née une année après lui, sont les deux seuls enfants d’Henri et d’Octavie. Ils vivent dans la ferme familiale située rue de Bernaville. Henri, seul garçon au foyer, est naturellement désigné pour reprendre un jour l’exploitation.

Les enfants ne sont pas très nombreux à Fienvillers. Une seule salle de classe suffit à réunir tous les garçons scolarisés dans le village. Ceux nés la même année ne sont guère plus que 5 ou 6. 

Georges VIMEUX, Henri BERTHAUX et Sadi VIGNON se connaissent depuis toujours. Ils sont allés à l’école ensemble, ont assisté sur les mêmes bancs aux sermons de l’abbé HARLEUX dans l’église Notre-Dame-de-l’Assomption et ont partagé de nombreux moments de jeux dans les chemins et les pâtures du village. Quand les trois copains reçoivent leur affectation pour le service militaire, c’est la joie ! Tous trois doivent rejoindre le 128e Régiment d’Infanterie. Le 8 octobre 1913, ils prennent le train en gare de Candas-Fienvillers pour rejoindre la gare d’Amiens. A pied, ils se dirigent ensuite vers la Citadelle d’Amiens où deux des trois bataillons du 128e sont casernés depuis quelques jours.

Pendant deux ans, les trois copains de Fienvillers savent qu’ils vont se voir régulièrement. Ils ne sont pas affectés dans la même compagnie mais auront de nombreuses occasions de se rencontrer et de passer d’agréables moments ensemble. Henri est affecté à la 5e, Sadi à la 7e et Georges à la 10e Compagnie du 128e Régiment d’Infanterie.

Le 3 août 1914, c’est-à-dire moins de dix mois après leur arrivée à Amiens, la guerre est déclarée. Il restait 417 jours à décompter avant la fin du service militaire. Avant d’être « bons pour les filles », comme ils disaient. Le 5 août au matin, les hommes du 128e prennent le train en direction des frontières à l’Est du territoire national. Après neuf heures de trajet, ils arrivent à Dun-sur-Meuse au sud de Stenay dans le département de la Meuse.

Le 128e RI participe aux combats en Belgique, près de Virton, le 22 août. L’épreuve du feu laisse des traces. Plusieurs dizaines de jeunes hommes du régiment ne se relèvent pas. Les informations circulent vite au sein du 2e Corps d’Armée de la région d’Amiens dont les unités combattent toutes à quelques kilomètres les unes des autres. Le massacre des copains du 120e de Péronne dans le village de Bellefontaine est connu quelques heures plus tard. Sur les 3 000 hommes du régiment, plus de 1 000 manquent à l’appel. Parmi les disparus, figure Alexandre BRASSEUR, le fils du menuisier de la rue de Montrelet à Fienvillers. Un garçon né en 1893 que les trois copains de la Classe 1912 connaissaient depuis toujours.

Par suite de l’hécatombe du 22 août 1914 en Belgique, le général Joffre donne l’ordre de retraite pour toutes les unités de l’Armée française. Les régiments picards doivent franchir la rivière Meuse puis traverser le département des Ardennes du nord au sud pour se replier dans la Marne.

Deux bataillons du 128e RI sont désignés pour attendre les troupes allemandes à proximité du village de Saint-Pierremont dans les Ardennes. Huit compagnies, de la 5e à la 12e, arrêtent leur marche et attendent l’arrivée des fantassins allemands pendant plus d’une journée. Le 31 août à l’aube, les Français lancent l’offensive au départ du hameau de Fontenois en direction du village de Saint-Pierremont où l’ennemi est arrivé la veille au soir. Sur la colline qui domine les habitations, les Français au pantalon rouge sont des cibles évidentes pour l’artillerie allemande dont 5 batteries ont été mises en position. Les morts se comptent par dizaines. Les blessés sont nombreux. Parmi eux, figurent Oscar CAVILLON et Albert HOUBRON de Candas, commune voisine de Fienvillers. 

Georges VIMEUX, Henri BERTHAUX et Sadi VIGNON s’en sortent sans une égratignure. Ils se sentent miraculés alors que dans chacune de leurs compagnies les morts et les blessés se comptent par dizaines !  Quel traumatisme pour les survivants ! La guerre vient à peine de débuter et tant d’autres combats les attendent…

Le 4 septembre au soir, les régiments de la région d’Amiens arrivent dans le secteur situé entre Vitry-le-François et Sermaize-les-Bains, dans le sud du département de la Marne. L’ordre est donné de stopper la retraite et d’attendre les troupes de l’Empereur Guillaume II pour les repousser. Dans tous les cas, il faut les empêcher de poursuivre leur progression vers Paris. L’ordre est sans ambiguïté : il faut « se faire tuer sur place plutôt que de reculer »…

Les combats débutent le 6 septembre au matin. Les hommes du 128e avaient reçu comme mission d’empêcher l’ennemi de franchir les ponts sur les principales rivières et canaux du secteur. La farouche résistance ne permet pas de remplir cet objectif. Les Français se réfugient très vite dans les villages et dans les espaces boisés pour mieux reprendre leur attaque.

Entre le 6 et 10 septembre 1914, plusieurs centaines d’hommes du 128e RI sont mis hors service. Henri BERTHAUX n’ira pas plus loin. Il est déclaré « tué à l’ennemi ». Il avait 22 ans.

Le 10 septembre au soir, l’état-major du 2e Corps d’Armée d’Amiens rend compte au général Langle de Cary, commandant de la IVe Armée, qu’il ne sera pas possible de tenir encore une journée. Les hommes sont prévenus: ils vont devoir « résister jusqu’à la mort »…

Si dans ce secteur, les Allemands sont en position de force, il n’en est pas de même sur tout le front de la Bataille de la Marne. A l’est de Paris, les Français ont déjà repoussé l’ennemi de plusieurs kilomètres. Dans la nuit du 10 au 11 septembre, l’armée allemande donne l’ordre de repli pour se positionner une soixantaine de kilomètres au nord. Pour les rescapés du 128e, c’est en Argonne, près de Servon, qu’il va falloir poursuivre le combat. Les Français sont épuisés. Les deux régiments de la Somme, le 128e et le 72e RI, sont décimés et la route semble bien longue. Les hommes arrivent sur place le 14 septembre. Les Allemands ont eu le temps de se préparer et de choisir les emplacements les moins exposés.

Dès le début de l’affrontement dans le Bois de la Gruerie, Sadi VIGNON est capturé par les Allemands. Quelques heures plus tard, Georges VIMEUX est blessé par éclats d’obus.

Sadi VIGNON est transféré au camp de Grafenwöhr en Bavière.

Georges VIMEUX n’est pas évacué vers un hôpital à l’arrière du front. Il est soigné sur place dans l’ambulance régimentaire. Quelques jours plus tard, il repart combattre. Georges connaît l’enfer des tranchées. L’automne est très humide, l’hiver est très froid. Dans le Bois de la Gruerie, la maladie tue presque autant que les obus. En février, le régiment est dirigé vers le front de Champagne près de Mesnil-les-Hurlus puis à partir d’avril 1915, il évolue dans le secteur de Verdun. Le 3 septembre 1915, Georges VIMEUX est à nouveau blessé. Un éclat d’obus lui transperce la main.

Georges est évacué vers l’arrière pour y être soigné. La blessure n’est pas trop grave. Après un séjour réparateur de 5 semaines sur un lit d’hôpital à Vichy, il rentre au dépôt du 128e à Landerneau en Bretagne. Le 17 décembre 1915, il retrouve les champs de bataille des Hauts-de-Meuse. Il a été affecté au 72e Régiment d’Infanterie, unité qui combat aux côtés du 128e RI. Mais 72e ou 128e, qu’importe ! Les visages connus ont disparu. En 18 mois, les effectifs ont été presque complètement renouvelés.

Sadi VIGNON ne reviendra pas combattre. Il passe de nombreux mois au camp de Grafenwöhr. Les écuries de l’ancien centre d’entraînement militaire ont été transformées en prison. Les prisonniers y dorment sur des paillasses, puis à partir du milieu de l’année 1915, sur des plates-formes en bois. Sadi est ensuite transféré dans d’autres camps de Bavière comme Amberg et Puchheim qu’il quitte en janvier 1919.

Le 7 octobre 1916, à Bouchavesnes dans la Somme, Georges VIMEUX est blessé gravement par balle à la cuisse gauche. Il est évacué vers l’hôpital de Neuilly-sur-Seine où il reste jusqu’au 29 mai 1917. La fracture de la cuisse présente des complications. Georges passe d’hôpital en hôpital : Vincennes, Neuilly à nouveau, Versailles puis l’hôpital américain de Neuilly-sur-Seine et l’hôpital provisoire 107 de Meudon. Le 2 juin 1918, il est transféré à Nice sur la Côte d’Azur. C’est de l’hôpital Complémentaire n°74 de Cannes qu’il apprend la nouvelle de la signature de l’Armistice. Mais pour lui, le combat contre la maladie n’est pas terminé !

Nouvelle traversée de la France en train sanitaire en mars 1919 : Georges VIMEUX est placé quelques jours à l’hôpital mixte de Beauvais avant de rejoindre celui de Zuydcoote dans le Nord. Fin août 1919, près de trois années après avoir été blessé, Georges VIMEUX est dirigé vers l’Hôtel-Dieu d’Amiens pour y subir une opération au niveau de la cuisse gauche. L’opération n’apporte hélas pas le résultat escompté et en février 1920, l’amputation est devenue inévitable. Alors que la guerre de son copain Sadi VIGNON s’est passée dans des camps de prisonniers en Allemagne, Georges VIMEUX a vécu la plus grande partie de la sienne dans des lits d’hôpitaux.

Après son retour en France et les trente jours de permission que l’Armée lui a octroyés, Sadi VIGNON rejoint le 128e Régiment d’Infanterie. Démobilisé en août 1919, il revient vivre dans la ferme familiale à Fienvillers. Il se marie en octobre 1919 avec Léonie HIELE, une jeune Belge originaire de Coxyde en Flandre occidentale, qu’il a rencontrée lors de son séjour à l’hôpital de Zuydcoote. Charles naît de leur union en 1919, suivi par Malvina en 1923, André en 1925 et Aimé en 1930. Peu à peu, Sadi prend la direction de l’exploitation tout en continuant à héberger ses parents.

Chez les BERTHAUX, deux des frères d’Henri ont été mobilisés. Xavier BERTHAUX, son aîné, a été fait prisonnier dès la Première Bataille de la Marne en septembre 1914, près du village où Henri a été tué. Georges, le benjamin des fils BERTHAUX, a été cité à l’ordre du régiment pour sa bravoure, notamment « pour s’être porté spontanément au secours de ses camarades ensevelis et après de grands efforts est parvenu à les dégager ». Capturé par les Allemands dans le sud de l’Aisne en mai 1918, Georges a terminé la guerre en Allemagne. Le nom de leur frère est inscrit sur le monument aux morts du village.

Si sa sœur Berthe a passé toute sa vie à Fienvillers où elle a épousé Gaston GAUDRE, un estropié de la Grande Guerre, Georges VIMEUX n’est pas revenu dans le village de son enfance. La Croix de guerre avec palme et les lettres de félicitations ne lui ont rendu ni sa jeunesse, ni sa jambe gauche.

Anick BARDET et Xavier BECQUET

REMARQUES : le prénom de Xavier est inscrit à côté du patronyme de BERTHAUX sur la plaque en marbre fixée sur monument aux morts de Fienvillers alors que le jeune homme concerné portait le prénom usuel d’Henri. Nous n’en connaissons pas la raison. D’après les documents d’archives consultés, le prénom Xavier ne figurait pas dans ses prénoms de l’état-civil (Henri Joseph François) et il n’était ni son prénom usuel, ni son surnom. Or Xavier était bien le prénom usuel de son frère aîné ayant survécu à la guerre. Nous penchons donc pour la possibilité d’une erreur dans l’attente de nouvelles informations. Tout élément pouvant nous éclairer sera le bienvenu !

Plaque commémorative dans l’église de Fienvillers (photo: Lucette FISSET)

A noter que sur certains documents d’état-civil le nom de BERTHAUX est orthographié BERTAUX et que sur la fiche Mémoire des Hommes du Ministère des Armées, le lieu de naissance indiqué est Franvillers et non Fienvillers.

La photo d’illustration en tête d’article n’est pas celle des jeunes de Fienvillers cités dans le texte. Hélas ! Elle représente bien trois jeunes hommes du 128e RI en 1913 mais nous ne connaissons pas leurs noms.

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