Né le 15 juillet 1892, Archange SANTERNE est le fils de Jean-Baptiste SANTERNE et d’Aldegonde BEL.
Jean-Baptiste et Aldegonde se sont mariés en janvier 1889. Sylvanie, leur première fille, est née en novembre de la même année. Archange est le seul garçon de la fratrie. Catherine, la benjamine, est sa cadette de deux années. Il n’y a que trois enfants. La famille SANTERNE réside à Ecoust-Saint-Mein dans le sud du département du Pas-de-Calais, à proximité de Bapaume et à une douzaine de kilomètres du département de la Somme.

Jean-Baptiste SANTERNE est fermier. Dès son plus jeune âge, Archange participe tout naturellement à la vie de la ferme familiale située dans la rue du Calvaire. Ecoust-Saint-Mein est un village qui compte un peu plus de 700 habitants dans le canton de Croisilles. L’activité y est essentiellement agricole.
A l’âge de 20 ans, Archange est convoqué pour passer devant le Conseil de Révision installé provisoirement à la mairie de Croisilles. Plusieurs copains de son âge l’accompagnent.

Il y a Modeste DEMORY, Jean-Baptiste OLIVIER, Eugène ROBERT et Maurice ROGEZ. Ils se connaissent depuis toujours. Ils ont vécu toute leur enfance ensemble dans ce petit village où les garçons du même âge ne sont pas si nombreux.
Modeste fait du commerce de bestiaux, Jean-Baptiste est charretier, Eugène est peintre en bâtiment et Maurice est fils de cultivateur, comme Archange.

Les cinq garçons sont jugés aptes au service armé. Il leur faut maintenant attendre leur ordre d’affectation.
Modeste DEMORY n’attend pas la convocation. Le 13 mars 1913, il signe un engagement avec l’armée pour 3 ans. Cette initiative lui permet de choisir son lieu d’affectation. Il est incorporé au 4e Régiment de Cuirassiers caserné à Cambrai, c’est-à-dire à moins de 25 kilomètres de chez lui.

Les quatre autres copains sont appelés sous les drapeaux pour rejoindre leurs casernes début octobre 1913.
Archange SANTERNE est affecté au 19e Escadron du train des équipages caserné au Quartier Fontenoy à Paris, Jean-Baptiste OLIVIER au 18e bataillon de chasseurs à pied de Longuyon en Meurthe-et-Moselle, Eugène ROBERT au 127e Régiment d’Infanterie de Valenciennes et Maurice ROGEZ au 15e Régiment d’Artillerie de Douai. Les 4 copains d’Ecoust-Saint-Mein sont envoyés dans 4 régiments différents. En intégrant Modeste DEMORY, ce sont même 5 régiments différents qui sont représentés par les 5 copains de la Classe 1912 du village. C’est la déception pour eux ! Sauf s’ils se croisent dans leur village à l’occasion d’une permission, ils ne se reverront pas avant la fin septembre 1915. C’est long, 2 ans pour des jeunes hommes de 20 ans qui ont vécu toute leur jeunesse ensemble. Vivement la fuite !

Quand les copains d’Ecoust-Saint-Mein ont pris le train, début octobre 1913, pour rallier leurs lieux respectifs de casernement, ils ne s’attendaient pas à ce que leur service actif les emmène vers la guerre, dix mois plus tard. Jugés opérationnels, ils se retrouvent en première ligne pour défendre les frontières de l’Est. Les troupes allemandes envahissent le sol de la neutre Belgique dès le 4 août 1914. Trois semaines plus tard, les pertes sont déjà très importantes du côté des Français.

Les premiers engagements sont livrés en Belgique. Eugène ROBERT est tué dès le 23 août 1914 à Saint-Gérard près de Dinant. L’armée française qui a battu en retraite dès la fin des combats, laisse le territoire belge aux Allemands qui l’occuperont jusqu’à la fin de la guerre. De ce fait, le sort des disparus demeure inconnu. Le 127e RI a perdu plus de 200 hommes à Saint-Gérard. Sont-ils morts ou ont-ils été capturés par les Allemands ? Pierre et Victoire, les parents d’Eugène ROBERT, vivront près de deux ans avec l’espoir d’une captivité. Même si la guerre laissera de profondes cicatrices sur leurs autres fils mobilisés, ils reviendront vivants. Eugène ROBERT est mort en Belgique dès le début de la guerre.
La guerre continue pour les combattants rescapés d’Ecoust-Saint-Mein. Survivants non blessés pendant les premiers mois meurtriers de la Grande Guerre, ils font figure de miraculés.
A l’été 1916, Archange SANTERNE est transféré dans l’Artillerie. Après quelques courts séjours dans des unités d’artillerie lourde, il rejoint le 22 juillet 1916 la 157e Batterie du 15e Régiment d’Artillerie de Douai dont le dépôt s’est replié à Saint-Junien en Haute-Vienne.

Le 15 septembre 1916, pendant la Bataille de la Somme, Jean-Baptiste OLIVIER est blessé par éclats d’obus à l’épaule gauche « en dirigeant son équipe de grenadiers à l’attaque de la tranchée ennemie ». Après plusieurs semaines à l’hôpital d’Epernay, il revient au front.
Le 29 décembre 1916, Maurice ROGEZ est évacué pour contusions au pied gauche. Il effectue un séjour de plus de deux mois à l’hôpital de Martigny-les-Bains dans le sud des Vosges. Début mars 1917, il revient au front.
Fin février 1917, le 15e Régiment d’Artillerie d’Archange SANTERNE est envoyé dans le sud de l’Aisne, près de la limite avec le département de la Marne. L’offensive du Chemin des Dames souhaitée par le général Nivelle doit se mettre en place.

Le 6 mars 1917, Archange est grièvement blessé « par éclats d’obus dans la région lombaire gauche avec plaie pénétrante ». Il est évacué vers l’ambulance 14/1 pour « plaie à la région lombaire » puis transféré vers l’hôpital de Cosne et enfin vers celui de Châteauneuf dans la Nièvre pour « névralgie lombo-sacrée ». Archange n’est pas guéri. La plaie de 15 centimètres est maintenant cicatrisée mais le mal au dos persiste. Archange bénéficie d’un congé de convalescence de 25 jours. Il retrouve sa sœur Catherine, évacuée depuis le début de la guerre à Montgeron près de Versailles. La joie des retrouvailles est indéniable. Cependant la tristesse est aussi de mise dans la fratrie : Jean-Baptiste, le père, prisonnier des Allemands et retenu dans le département du Nord, vient de mourir le 12 avril à l’Hôtel-Dieu de Valenciennes. La guerre a fait une victime de plus !
Après la convalescence, Archange rejoint le dépôt du 1er Régiment d’Artillerie à Bourges. Tout en restant dans l’Artillerie, il change à trois reprises d’affectation. Le 1er avril 1918, c’est au 176e RA qu’il est nommé. Le jeune homme souffre toujours du bas du dos mais hélas la médecine n’a aucun traitement à lui proposer. Archange SANTERNE retourne au front au printemps 1918.

Quant à Jean-Baptiste OLIVIER, il est tué au combat le 29 mai 1918 à Muret, au Sud de Soissons dans le département de l’Aisne.
Malgré leur souffrance physique, les deux rescapés de la Classe 1912 d’Ecoust-Saint-Mein, Archange SANTERNE et Maurice ROGEZ, remplissent leur mission sur les champs de bataille jusqu’à la signature de l’Armistice et même au-delà. Les deux copains sont démobilisés le 31 juillet 1919.
Modeste DEMORY, le 5e copain du même âge qui s’était engagé dans l’Armée a été évacué à plusieurs reprises pour maladie et blessures pendant la guerre. Il a toutefois survécu. Après sa démobilisation, il quitte la région pour s’installer en région parisienne puis en Normandie.

Maurice ROGEZ revient dans son village et Archange SANTERNE, après un séjour chez sa sœur Catherine à Montgeron en Seine-et-Oise, retrouve sa mère à Ecoust-Saint-Mein. Catherine les y rejoint quelques mois plus tard.
Maurice épouse Valentine HAVET de Colincamps. En juillet 1922, un fils prénommé Albert naît de leur union. Maurice ROGEZ reprend la direction de la ferme familiale. Sa mère, devenue veuve, vit sous son toit.
Le 2 janvier 1921, Archange épouse Stéphanie DENEKRE, jeune fille de 21 ans originaire de Vaulx-Vraucourt. Archange et Stéphanie donne naissance à Jean le 7 octobre 1921 et à Raymonde le 3 juillet 1924. Il n’y aura pas d’autre enfant.

La guerre a lourdement frappé le village comme tous ceux du canton. De nombreuses habitations sont en ruines. La ferme SANTERNE n’a pas résisté… La reconstruction demande plusieurs mois. La famille ne peut y loger qu’en 1923. Avec l’aide de sa sœur Catherine et de sa mère Aldegonde, Archange reprend l’exploitation de la ferme.
Les deux rescapés de la Grande Guerre deviennent fermiers comme l’étaient leurs pères. Pour eux, la vie continue. Les noms de leurs deux copains, Eugène ROBERT et Jean-Baptiste OLIVIER sont inscrits sur le monument aux morts du village. Ils ont 22 et 25 ans pour toujours.

Pour Archange, une autre guerre débute pourtant…
La commission médicale diagnostique, en 1924, une « fracture de l’apophyse épineuse de la 4e vertèbre lombaire entraînant une gêne dans la marche » consécutive à la blessure par éclat d’obus. En 1932, Archange est réformé définitivement par l’Armée pour « paraplégie spasmodique avec troubles sphinctériens ». La situation se dégrade. Un an plus tard, les médecins notent que « la marche et la station debout sont de plus en plus difficiles ». En 1938, le constat est terrible : Archange SANTERNE « a besoin de l’assistance d’une tierce personne ».

Vingt ans après la guerre, le pauvre Archange ne se déplace plus qu’en fauteuil roulant. Il continue à tenter de diriger la ferme avec l’aide de sa sœur cadette Catherine et de l’ensemble des membres de sa famille, mais lui, est incapable d’effectuer le moindre travail manuel. Les prestigieuses médailles remises en 1935, 1936 puis 1949 n’y changent rien. Archange est un estropié de guerre. La guerre l’a détruit à petit feu.
Dans la famille SANTERNE comme dans la famille ROGEZ, la Seconde Guerre mondiale a épargné les fils. Jean SANTERNE a pris la succession de son père et Albert ROGEZ en a fait de même.

Catherine SANTERNE ne s’est jamais mariée. Elle est restée toute sa vie aux côtés de son frère handicapé pour lui apporter son aide. Elle est décédée en 1969 à l’âge de 75 ans.
Après avoir participé comme chaque année à la cérémonie du 11 novembre dans le village – c’était dans les années 1960 – Archange suivait le cortège qui s’éloignait du monument aux morts pour rejoindre une salle où était servi le traditionnel verre de l’amitié. Devant la salle, Archange, dans son fauteuil roulant poussé par sa fille Raymonde, s’est retrouvé au pied des marches permettant d’accéder à la salle. Seul avec sa fille ! Tous les hommes valides et assoiffés le précédant avaient franchi rapidement les quelques marches et s’étaient engouffrés dans la salle. Archange a été oublié.

Profondément meurtri, il a demandé à Raymonde de lui faire quitter les lieux. Il n’a plus jamais participé à une cérémonie patriotique.
Son nom n’est inscrit sur aucun monument aux morts.
Archange SANTERNE est mort le 21 mars 1974 à l’âge de 81 ans.
Xavier BECQUET
Merci à M et Mme Didier LESAGE
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