ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – « mutilation de la face »

Né le 1er février 1890, Xavier BOETTE est le fils d’Alcide BOETTE et de Céline HENON.

Alcide est originaire de Frémontiers et Céline, du village voisin de Velennes, deux communes situées au sud-ouest d’Amiens, entre Poix et Conty.

Orphelin de père à 6 ans seulement, Alcide est élevé par ses grands-parents paternels, Charles et Clémentine, dans leur petite ferme du hameau d’Uzeneville à Frémontiers.

Sa fiancée, Céline est rempailleuse. Les deux amoureux s’installent dans la ferme des grands-parents à Uzeneville dont ils assurent l’exploitation. En 1890, naît Xavier, leur premier enfant. En 1896, un deuxième garçon vient au monde. Il est prénommé Camille.

Le hameau d’Uzeneville compte une soixantaine d’habitants.

Les enfants sont rares à Uzeneville. Seuls 3 garçons sont dans la même tranche d’âge que les frères BOETTE : Kléber PROVILLE, né en 1891, dont la famille originaire de Famechon est venue s’installer à Uzeneville, Raoul ROGER et André BUTEUX, nés tous deux en 1895.

Dans le hameau d’Uzeneville, on trouve une dizaine de petites fermes qui emploient la plupart des hommes et des femmes du hameau. L’activité est donc essentiellement agricole à l’exception d’une fabrique de brosses. L’atelier d’Eugène DUPUIS installé à Uzeneville emploie plusieurs brossières du hameau et du chef-lieu.

L’église du village où exerce l’abbé Armand JOLY est située dans le chef-lieu de Frémontiers. Son père, prénommé Prosper, vit avec lui dans le presbytère. C’est lui qui sonne les cloches.

L’école mixte est également à Frémontiers. Les instituteurs y restent rarement longtemps. Pendant la scolarité des 5 garçons d’Uzeneville, plusieurs maîtres d’école se succèdent : Alfred DOMART, Arthur BOURDEAUX, Achille CARBONNIER, Léon LANSMANT, Eugène DELAPORTE…

Si le chef-lieu ne compte que 160 personnes, l’activité y est très diversifiée même si elle reste majoritairement liée à la culture. On trouve une entreprise de charrois, une entreprise de cailloux, un meunier, un fruitier, des pailleurs de chaises et des culottières. Quatre débits de boissons assurant également la fonction d’épicerie offrent aux habitants du chef-lieu et du hameau, distant d’un kilomètre seulement, la possibilité de tout trouver sur place sans quitter le territoire de la commune. Et quand on ne trouve pas sur place, les grands marchés de Poix et de Conty sont là pour répondre aux besoins !

Les petites fermes d’Uzeneville permettent difficilement de nourrir tous les membres des familles. Dès qu’ils sont en âge de travailler, les garçons vont chercher du travail ailleurs. Xavier BOETTE se fait embaucher comme cantonnier, Kléber PROVILLE devient charpentier et André BUTEUX mécanicien. Raoul ROGER est le seul à vouloir devenir fermier. Il aide son père à la ferme avec certainement l’intention de pouvoir un jour lui succéder.

Camille BOETTE, le benjamin de la fratrie, de santé fragile, ne cherche pas à trouver un emploi ailleurs. Il reste à la ferme. Quand la santé sera bonne, il y aura toujours moyen d’envisager l’avenir différemment…

Xavier BOETTE est le premier des 5 copains à partir au service militaire. Il part le 7 octobre 1911 pour rejoindre le 54e Régiment d’Infanterie de Compiègne dans l’Oise. Deux ans plus tard, il est libéré. Il revient à Frémontiers où il reprend son métier de cantonnier.

Quand la guerre est déclarée, le 3 août 1914, seul Kléber PROVILLE est sous les drapeaux.  Incorporé depuis octobre 1913 pour effectuer le service militaire, il n’a pas été jugé apte au service armé. Handicapé par de proéminentes et douloureuses varices, Kléber a été affecté dans le service auxiliaire du 5e Régiment de Génie à Versailles.

A la Mobilisation générale, Xavier BOETTE est rappelé. Il rejoint le 54e RI de Compiègne.

Les 3 autres copains d’Uzeneville sont trop jeunes pour être mobilisés.

Kléber PROVILLE étant éloigné des champs de bataille en raison de son état de santé, seul Xavier BOETTE connaît les combats des premiers mois de la guerre. Le 54e RI combat près de la frontière française, au sud de Longwy, les 22 et 23 août 1914. Début septembre, le régiment est positionné sur les grands plateaux dénudés du Barrois, autour de Beauzée, Sommaisnes, Rambercourt dans la Meuse pour attendre les troupes allemandes et les empêcher de progresser. L’objectif est atteint au prix de centaines de morts. Le colonel BOISSAUD et le commandant RICQ ont été tués également.

En octobre 1914, les rescapés combattent dans les bois des Eparges près de Verdun pour en déloger l’ennemi. Xavier BOETTE est gravement blessé. Les médecins notent : « une large plaie par éclats d’obus avec hernie musculaire sacro-lombaires au niveau des vertèbres côté gauche ». L’hospitalisation est longue.

Xavier BOETTE est renvoyé au front le 23 juillet 1915.

A Tahure dans la Marne, le 8 octobre 1915, un an après sa terrible blessure dans le bas du dos, Xavier BOETTE est à nouveau atteint par des éclats d’obus. Il est touché au visage. Le maxillaire gauche est fracturé.  Les médecins militaires qui l’examinent notent qu’il s’agit d’une « mutilation de la face » avec « défiguration ». Xavier BOETTE ne retournera jamais au combat. Les séjours hospitaliers se succèdent pendant près de deux années. Xavier BOETTE n’est renvoyé dans ses foyers que le 21 avril 1917. La commission médicale l’a définitivement réformé.

Kléber PROVILLE n’a pas accepté la situation d’être écarté des combats à cause de ses varices. Il a sollicité auprès du général commandant la subdivision de Bourges d’être « classé dans le service armé ». Le 7 novembre 1914, sa requête est acceptée. Kléber PROVILLE peut rejoindre son régiment. Si le Génie ne participe pas aux combats, ses hommes prennent d’importants risques au plus près des champs de bataille.

Kléber PROVILLE est hospitalisé au printemps 1915. Après plusieurs mois passés à l’hôpital auxiliaire d’Aubervilliers, Kléber est renvoyé dans ses foyers. Il est réformé le 16 juin 1915 pour « péritonite bacillaire » consécutive aux conditions de vie pendant la guerre.

Le 13 décembre de la même année, Kléber meurt des suites de cette maladie dans la ferme de ses parents à Uzeneville.

André BUTEUX et Raoul ROGER, de la Classe 1915, sont appelés le 18 décembre 1914. André, le mécanicien, est incorporé dans l’Infanterie et Raoul, le cultivateur, dans le Génie. L’affectation des deux jeunes hommes peut surprendre car ce sont souvent les agriculteurs qui rejoignent l’Infanterie et les mécaniciens qui sont affectés dans l’Artillerie ou dans le Génie. Le jeu de hasard de l’affectation peut se révéler dramatique en tant de guerre.  Si le sapeur Raoul échappe à la mort, ce n’est pas le cas du fantassin André.  André BUTEUX est considéré comme disparu le 8 mai 1915 au Bois d’Ailly, dans le saillant de Saint-Mihiel près de Verdun. Après plusieurs mois d’instruction, il venait de rejoindre les champs de bataille depuis quelques jours seulement.

Malgré une évacuation pour maladie grave en août 1915 et une blessure douloureuse à la fesse par éclat d’obus en avril 1917, le sapeur Raoul ROGER a connu toute la guerre au plus près des combats. Il n’a été démobilisé qu’en août 1919. De retour à Frémontiers, il a épousé Marie-Louise DUPORGE avec laquelle il s’est installé dans le village voisin de Velennes.

Camille BOETTE, le plus jeune des 5 copains, a été mobilisé 10 avril 1915. Il rejoint le 16e Régiment de Dragons caserné avant la guerre à Reims. Mais la guerre n’a pas guéri sa maladie. Camille est examiné par plusieurs commissions médicales. Son état est préoccupant. Camille souffre « d’endocardite et de pleuro-bronchite ». Réformé temporairement à plusieurs reprises, Camille n’est pas renvoyé dans ses foyers. Affecté au service auxiliaire de son régiment, il n’est démobilisé qu’en septembre 1919. Alors seulement, il peut rejoindre ses parents à Uzeneville.

Les noms de 2 des 5 copains d’Uzeneville sont inscrits sur le monument aux morts de Frémontiers.

Camille BOETTE, le benjamin, a été mobilisé en 1939 pour le second conflit mondial. Fait prisonnier en juin 1940, il a été interné au Frontstalag 194 à Chalons-sur-Marne. Il a été libéré en février 1941.

Camille BOETTE a vécu toute sa vie dans la commune de Frémontiers, dans la petite ferme de ses parents à Uzeneville.

Touché au plus profond de son intégrité physique, Xavier BOETTE, son frère aîné, a tenté de retrouver une vie « normale ». Défiguré par la Grande Guerre, une pension de 40% pour « perte de substance osseuse du maxillaire inférieur et perte de 10 dents » lui était versée périodiquement.

Une jeune fille a accepté de voir en lui la beauté de cœur et d’âme qu’il devait y avoir derrière ce visage abimé.  Eugénie BOULANGER a épousé Xavier BOETTE le 15 juin 1918. Le couple a vécu à Brassy puis à Sentelie, deux villages voisins situés au sud de Frémontiers.

Paulette, Paul, Fernand, Michel et Fernande sont venus agrandir la famille.

Xavier BOETTE s’est éteint le 18 septembre 1973 à l’âge de 83 ans.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET

Remarque: par erreur, le patronyme de Xavier a été orthographié BOELLE et non BOETTE sur certains documents d’archives.

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