ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – Revoir sa mère

Appolinaire BAZIN n’a pas 20 ans quand la guerre est déclarée en août 1914. Il en a 36.

Appolinaire est né le 4 octobre 1878 à Auchonvillers. Il est le fils d’Appolinaire BAZIN et de Léontine JOURDAIN. Le jeune Appolinaire est le second de la fratrie. Il a une sœur aînée prénommée Palmyre.

La famille BAZIN réside dans la rue du Four à Auchonvillers.

Auchonvillers est un village qui compte moins de 300 habitants à la fin du XIXe siècle. Il n’y a aucune industrie, aucune fabrique sur place. L’activité est essentiellement agricole. La commune dispose d’un arrêt sur la ligne de chemin de fer qui relie Albert à Doullens. Pour prendre un train en direction de Paris ou de Lille, il faut se rendre à la gare de Beaucourt-Hamel, à 4 kilomètres du village.

En raison de la position du village, en limite du Pas-de-Calais, les échanges commerciaux, notamment pour les produits de la ferme, s’effectuent autant dans la Somme que sur les marchés d’Arras.

Le père de famille est manouvrier et la mère journalière. Ils changent souvent de ferme, allant là où le travail se présente. Ils proposent également régulièrement leur aide aux artisans du village. A cette époque, pour une famille modeste comme l’est celle d’Appolinaire et de Léontine, l’essentiel est de pouvoir nourrir tous les membres de la famille et de pouvoir se chauffer l’hiver. Pour le reste… on se débrouille !

En 1891, Palmyre quitte la maison familiale pour épouser Paul TABARY. Appolinaire, son frère, vit encore avec ses parents. Il est domestique de ferme.

Peu de temps après le décès de son père, Appolinaire décide de devancer l’appel sous les drapeaux et de s’engager. Agé de 18 ans, le 26 octobre 1896, il contracte un engagement de 4 ans pour entrer dans le Corps des Sapeurs-Pompiers de Paris. Quelques mois avant la fin de son contrat, il est muté vers le 154e Régiment d’Infanterie de Commercy, dans la Meuse. Le 26 octobre 1900, Appolinaire est libéré des obligations militaires. Il décide de ne pas rentrer au pays et de chercher du travail à Amiens puis, dès 1903, il part pour Paris où il a déjà vécu plus de trois ans. En tant que domestique, Appolinaire n’a aucun mal à trouver un emploi. Il débute dans la rue du Pont-Neuf puis Boulevard Mac Donald, dans la rue de Tanger. En 1910, il s’installe à Saint-Ouen. Appolinaire se marie et construit une famille.

Léontine, sa mère, réside toujours dans la petite maison de la rue du Four à Auchonvillers. Pour gagner sa vie, elle accueille des enfants de l’Assistance Publique de la Seine. Les enfants sont bien chez elle. Les petits orphelins parisiens, Abel MARC et Louise CHEVRIER, vivent dans ce petit village du Nord de la Somme une grande partie de leur jeunesse.

L’ordre de Mobilisation générale est décrété en France le 1er août 1914. Appolinaire BAZIN est affecté au 16e Régiment d’Infanterie Territoriale. Le 4 août, il rejoint le chef-lieu d’arrondissement du Nord-Est de la Somme. Le 6 août, le 16e RIT quitte Péronne pour rejoindre Arques, dans le Pas-de-Calais.

Le régiment est chargé de travaux de défense à Arques, à Saint-Omer, à Aire-sur-la-Lys. Fin août, le 16e RIT reçoit l’ordre de se diriger vers Amiens, puis il subit le mouvement du repli général des troupes suite à la terrible défaite de la Bataille des Frontières.

En septembre, les hommes du 16e RIT évoluent essentiellement dans la Somme cantonnant dans le secteur de Talmas, Villers-Bocage au Nord d’Amiens puis dans le Pas-de-Calais sur Ablainzevelle, Courcelles-le-Comte. Le 3 octobre, après une nouvelle attaque, le régiment se replie sur Bucquoy et bivouaque au Nord-Ouest du village.

Bucquoy n’est qu’à quelques kilomètres d’Auchonvillers. Appolinaire voudrait tellement revoir sa mère…

Le 6 octobre au soir, c’est à Bienvillers qu’il cantonne après avoir fait des travaux de campagne. Il occupe des tranchées à Nouchy, à Hannescamps, à Bienvillers. A moins de 10 kilomètres de son village natal…

Dans la nuit du 8 au 9 octobre, à 23h, Appolinaire BAZIN quitte Bienvillers pour se rendre à Auchonvillers. Il part pour revenir le lendemain. Il veut simplement embrasser sa mère. Il pose ses vêtements militaires dans une grange : capote, fusil, baïonnette, cartouchières, carte militaire, ceinturon, tabac, photo de sa femme et il quitte son lieu de cantonnement.

La distance est bien courte entre les deux villages. En un peu plus de 2 heures, il arrive au but. Il aperçoit son village mais il n’y entre pas… L’artillerie ennemie semble proche. Bien que situé à l’arrière du front, son village est aussi en guerre. Les soldats sont partout. Appolinaire a-t-il conscience qu’il est en train de commettre une grave erreur ? Peut-être a-t-il agi avec trop de précipitation ? Trop d’enthousiasme ? N’y aura-t-il pas un moment plus favorable ?… Plus tard…

Appolinaire BAZIN fait demi-tour. Il n’embrassera pas sa mère.

Avant de retrouver son lieu de cantonnement, Appolinaire se fait arrêter sans avoir le temps de reprendre sa tenue militaire.

Le 14 octobre, il est déféré devant le Conseil de guerre ordinaire du Quartier général siégeant à Doullens. Par une majorité de 4 voix sur 5, il est condamné à mort pour « abandon de poste devant l’ennemi ».

L’interrogatoire se résume à un échange très bref :

  • Connaissez-vous le code pénal militaire ? Non, mon lieutenant.
  • Où habite votre famille à Auchonvillers ? Rue du Four
  • De qui se compose votre famille ? Ma mère, Léontine JOURDAIN, 65 ans, veuve. Elle élève des pupilles de l’assistance publique.
  • Vous saviez bien que vous vous exposiez à une peine très grave ? Je comptais rester absent 2 heures et retrouver ma compagnie.

Le 16 octobre 1914 au matin, sur le territoire de la commune de Bavincourt, après s’être confessé auprès de l’aumônier du 16e RIT, Paul LALOY, Appolinaire BAZIN est fusillé. Il est ensuite mis en terre sans sépulture devant tout le régiment. Il avait 36 ans.

En 1933, quand la décision a été prise par le conseil municipal d’Auchonvillers d’ériger un monument aux morts, la question de la liste des noms à inscrire s’est posée. Si la pauvre vieille Léontine avait quitté ce monde, Palmyre, la sœur d’Appolinaire, résidait encore dans le village avec son mari, Paul TABARY. Le village n’avait pas encore terminé sa reconstruction. La guerre avait fait tellement de dégâts, autant dans les familles que dans les rues. Il ne semblait pas nécessaire d’ajouter du malheur au malheur…

Le nom d’Appolinaire BAZIN a été inscrit sur le monument aux morts de son village natal.

Palmyre est décédée le 24 avril 1962 à Albert, à l’âge de 70 ans. Le nom de son frère est inscrit pour toujours sur le monument aux morts d’Auchonvillers. S’il n’a jamais été reconnu « mort pour la France », il est, comme tant d’autres, mort à cause de la guerre…

Xavier BECQUET

Merci à Georges SETA de nous avoir fait découvrir, à travers les carnets de l’abbé Paul LALOY (AD80 DA52), la triste fin d’Appolinaire BAZIN. En 2013, à son initiative, une messe a été célébrée dans l’église reconstruite d’Auchonvillers en mémoire du jeune homme.

Remarque: selon les documents consultés, le nom de la rue où vivait Appolinaire s’écrit rue Dufour ou rue Du Four.

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Un commentaire sur « ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – Revoir sa mère »

  1. je connaissais cette histoire tragique. Appolinaire Bazin appartenait au même régiment que mon arrière grand-père, le 16è RIT et a été fait prisonnier à NEWPORT le 11 novembre 1914.
    Quand je pense que les sénateurs ont refusé dernièrement de réhabiliter 110 ans après les soldats fusillés comme A. BAZIN, c’est affligeant et à désespérer de la République.

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