ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – Sylvio, le petit frère

Né le 1er mai 1901, Sylvio LEROUX est le fils d’Alexandre LEROUX et de Fidéline FRANÇOIS.

Alexandre et Fidéline sont nés à Monchy-Lagache, commune de l’Est de la Somme située dans le canton de Ham.

Le village est situé dans la vallée de l’Omignon. Il est entouré de plaines très riches où la culture de la betterave se fait sur une grande échelle. La sucrerie implantée dans la commune et les grandes fermes occupent une population ouvrière très nombreuse. Monchy-Lagache, avec ses quatre hameaux, Méreaucourt, Montécourt, Douvieux et Flez, compte près de 1 100 habitants à la fin du XIXe siècle.

Les FRANÇOIS résident dans la rue Basse du chef-lieu de la commune alors que les LEROUX sont originaires du hameau de Douvieux. Jean-Baptiste LEROUX, le père d’Alexandre, et Désiré FRANÇOIS, le père de Fidéline, sont journaliers.

Alexandre LEROUX et Fidéline FRANÇOIS se marient le 26 octobre 1878. Ils s’installent dans la rue des Bovines à Monchy-Lagache. Leur premier enfant, prénommée Valentine, naît deux ans plus tard. Entre 1880 et 1902, Fidéline donne naissance à dix enfants : 7 garçons et 3 filles. Valentine, Désiré, Octave, Eugène, Octavie, Joseph, Emile, Elvire, Sylvio et Pierre sont les membres de cette fratrie.

Alexandre, le père de famille, enchaîne les emplois dans les fermes et les entreprises de la commune, souvent à la journée, pour tenter de nourrir toutes les bouches présentes au foyer. Avant même la fin de leur scolarité, les aînés doivent compléter le salaire du père. Heureusement, à Monchy-Lagache, le travail ne manque pas !

Sylvio, né en 1901, est l’avant-dernier enfant de la fratrie et le 6e garçon. Quand il vient au monde, malgré la différence d’âge avec ses aînés, presque tous les membres de la fratrie sont encore présents dans la maison familiale de la rue des Bovines. Seule Valentine, la sœur aînée, a quitté la maison. Après avoir épousé Jules MARCHANDISE, fils des fermiers qui habitent juste à côté de l’école communale, Valentine quitte Monchy-Lagache pour Amiens.  Jules est garde-frein auxiliaire à la Compagnie du Nord du chemin de fer. Valentine et Jules ont un fils en 1900, Octave, qu’ils laissent en pension quelques années chez les grands-parents LEROUX. Une bouche de plus à nourrir dans une grande famille, ce n’est pas un problème… Sylvio LEROUX et Octave MARCHANDISE, l’oncle et le neveu ayant presque le même âge, vivent ensemble, comme deux frères, leur petite enfance dans la maison de la rue des Bovines.

Ils suivent ensemble leur scolarité dans la classe de l’instituteur public, Octave FOURNIER, et assistent avec plus ou moins d’assiduité aux offices de l’abbé DELEPINE.

La vie d’enfant de la campagne, même dans un milieu très modeste comme l’est celui des LEROUX, est plutôt agréable en ce début du XXe siècle. L’amour des proches et la solidarité familiale permettent de franchir bien des obstacles…

Les frères aînés de Sylvio sont employés dans des fermes du village. Désiré, Octave, Eugène sont domestiques de ferme ou domestiques de labour.

Fin novembre 1913, Joseph LEROUX, le 4e des garçons, part au service militaire. Il est affecté au 72e Régiment d’Infanterie d’Amiens. Quant à Eugène LEROUX, le 3e garçon, il était libéré du service actif depuis 1912. Il était parti remplir son devoir patriotique pendant 2 ans à Toul en Meurthe-et-Moselle.

Sylvio sait que son tour viendra, mais il a encore beaucoup de temps devant lui. Quand l’été 1914 débute, Sylvio en a fini avec l’école et tout s’est bien passé. Il sait lire et écrire. Mais son avenir n’est pas dans les études. Son principal objectif est maintenant de se faire embaucher à la sucrerie ou dans une ferme du village. Sylvio LEROUX veut devenir ouvrier agricole.

Le 1er août 1914, la Mobilisation générale est décrétée. Joseph LEROUX est déjà mobilisé dans la caserne Friant d’Amiens. Eugène LEROUX est convoqué. Ayant terminé son service militaire depuis peu de temps, l’Armée considère qu’il est immédiatement opérationnel. Il doit rejoindre le 120e Régiment d’Infanterie avec lequel il va participer aux premiers combats.

A l’automne 1914, le village de Monchy-Lagache est occupé par les Allemands. Certains membres de la famille ont pu se réfugier chez Valentine à Amiens. Son mari, Jules MARCHANDISE, a été mobilisé par l’Armée dans son emploi au chemin de fer. Valentine est seule avec son fils Octave. Sylvio retrouve celui avec qui il a passé l’enfance. Mais l’heure n’est plus à l’insouciance. C’est la guerre ! La ville d’Amiens est éloignée d’une trentaine de kilomètres du front, mais le danger et la peur sont bien palpables chez les habitants.

En 1914, Sylvio a 13 ans. Quand les Allemands lancent leur dernière offensive vers Paris et que les troupes de Guillaume II sont aux portes d’Amiens, au printemps 1918, Sylvio a 17 ans. Encore trop jeune pour être appelé, il sait que son tour approche. Et l’angoisse grandit. Personne ne peut ignorer maintenant que la guerre tue, que la guerre estropie, que la guerre abime les combattants et leurs familles… Qui peut donc savoir combien de temps va encore durer la guerre ? Doit-il s’engager sans attendre d’être appelé pour venger ses frères ? La famille LEROUX a en effet été déjà durement touchée. Même si l’information officielle de leur mort n’a pas été communiquée à leurs parents, Eugène et Joseph LEROUX sont considérés comme disparus. Ils n’ont plus donné aucun signe de vie depuis la fin de l’année 1914 et la Croix Rouge n’a trouvé aucune trace de leur présence dans les camps de prisonniers en Allemagne.

Sylvio ne partira pas faire la guerre. Le 11 novembre 1918, l’Armistice est signé. De retour dans leur village, les rescapés de la famille LEROUX subissent un nouveau choc. Le village est presque complètement détruit. L’église, la mairie, la sucrerie ne sont plus qu’amas de pierres comme la plupart des maisons endommagées par les combats d’une part et également par les destructions volontairement commises par les Allemands au printemps 1917 quittant les villages occupés de la Somme pour se positionner sur la ligne Hindenburg.

Alexandre et Fidéline LEROUX sont revenus vivre dans la rue des Bovines. Eugène LEROUX, porté disparu le 24 octobre 1914 au Bois de la Gruerie en Argonne, n’est jamais rentré. Son frère, Joseph LEROUX a été déclaré « tué à l’ennemi » le 30 novembre 1914 dans ce même Bois de la Gruerie. Emile LEROUX, le 5e des garçons, est amputé de la jambe droite. Quant à Pierre, le benjamin de la fratrie, s’il a échappé comme Sylvio aux champs de bataille, il n’a pas échappé à la terrible grippe espagnole. Il est mort en 1920 à l’âge de 18 ans.

Nombreux sont les réfugiés qui ne reviennent pas à Monchy-Lagache après la guerre. En 1921, quand la reconstruction débute à peine, le village ne compte plus que 600 habitants alors qu’il y en avait 500 de plus avant la guerre. Beaucoup de fermiers ne sont pas revenus au village. Il a fallu près de dix ans pour reconstruire l’église. Si une râperie a été maintenue sur le territoire de la commune, la grande sucrerie n’a pas été reconstruite. Les indemnités de dommages de guerre la concernant ont été investies pour reconstruire la sucrerie à Eppeville.

A Monchy-Lagache, l’emploi ne court plus les rues comme c’était le cas avant la guerre. Sylvio LEROUX ne sera jamais ouvrier agricole. Sur les conseils de son beau-frère, Jules MARCHANDISE, il se fait embaucher aux chemins de fer à Amiens. Octave MARCHANDISE, le fils de Jules, est également employé par la Compagnie du Nord comme mécanicien.

En 1922, Sylvio LEROUX épouse Marie CAZE avec laquelle il a une fille prénommée Colette née en 1926. Hélas, le bonheur est de courte durée. Sylvio perd son épouse. Il se remarie en 1932 à Poulainville, village au Nord d’Amiens, avec Giselle BOCQUET qui élève Colette, la petite orpheline, comme si c’était sa propre fille. Sylvio et Giselle n’auront pas d’enfant ensemble. Sylvio, Giselle et Colette sont restés plusieurs années à Poulainville avant d’aller vivre dans le Quartier Saint-Leu à Amiens.

Alexandre et Fidéline LEROUX ont terminé leur vie à Monchy-Lagache dans la rue des Bovines. Les noms de leurs deux fils, morts à la guerre à 25 et 21 ans, sont inscrits sur le monument, inauguré le 17 septembre 1922 au centre du village, et sur le vitrail commémoratif de l’église Saint-Pierre reconstruite.

Emile LEROUX est resté à Monchy-Lagache. Amputé de la jambe droite, il a exercé le métier de cordonnier. Emile a épousé Blanche COMMONT avec laquelle il a eu quatre enfants.

Sylvio LEROUX n’a pas fait la guerre. Il n’a pas combattu pendant la Première Guerre mondiale. Ses frères aînés ont fait la guerre. Pas lui ! Sylvio n’a pas connu les champs de bataille pourtant lui aussi est une victime de la guerre comme l’ont été ses parents et ses frères et sœurs survivants. Sylvio avait 6 frères. Deux sont morts pour la France, un autre a succombé à la maladie peu de temps après la fin de la guerre et un quatrième a perdu une jambe. Et les survivants sont revenus dans un village en ruines…

Quelles étaient donc les pensées de Sylvio quand, trente ans après la fin de celle qu’on appelait la « der des der », une autre guerre mondiale a débuté ? Trop jeune pour être mobilisé pendant la Première Guerre, allait-il combattre en 1940 ?

Mis à la disposition de l’Armée dans son emploi au chemin de fer, Sylvio LEROUX n’est pas parti combattre au printemps 1940.

Il s’est éteint le 8 avril 1982 à l’âge de 80 ans.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET

Merci à Sylviane DUFOUR-JOUY et à Maryvonne BOUCHAILLOU

Remarque : dans certains documents d’archives consultés, le prénom de Sylvio peut être écrit Silvio.

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