Né le 26 septembre 1895, Paul ROUVILLAIN est le fils d’Ernest ROUVILLAIN et de Berthe GRENIER.
Ernest est originaire de Mesnil-Martinsart, commune de la Somme située dans le canton d’Albert, entre Mailly-Maillet et Aveluy. Berthe est née à quelques kilomètres de là, dans le village de Bécordel. A Mesnil-Martinsart, l’activité est presque uniquement agricole. S’il y avait des tricotiers au milieu du XIXe siècle, il n’y en a plus à l’aube du XXe siècle.

Ernest ROUVILLAIN est fermier comme l’étaient son père Edouard, son grand-père et son arrière-grand père prénommés tous les deux Félix. La ferme ROUVILLAIN est située au même endroit depuis le début du XIXe siècle, peut-être même avant. Et ne dites pas aux ROUVILLAIN qu’ils habitent Mesnil-Martinsart, ils habitent au chef-lieu de la commune : à Mesnil. Ils résident dans la rue de Martinsart à Mesnil. La commune est composée d’un chef-lieu, Mesnil ; d’un hameau, Martinsart ; de trois lieux-dits, la gare, le moulin et Lambourg.
Ernest ROUVILLAIN et Berthe GRENIER se marient à Becordel le 30 mars 1889, mais c’est à Mesnil que se poursuit leur vie dans la ferme familiale de la rue de Martinsart.
En avril 1890 naît Marthe, premier enfant du couple puis, en juillet 1891, vient au monde un garçon prénommé Paul. Il est hélas emporté par la maladie à 14 mois à peine. Une seconde fille, Marie, naît en juillet 1894.
En septembre 1895, la fratrie s’agrandit avec l’arrivée d’un bébé de sexe masculin. Il se voit attribuer le prénom de son aîné disparu. Il s’appellera Paul ROUVILLAIN.

Quatre ans plus tard naît Louis, le benjamin de la fratrie. Il n’y aura pas d’autre enfant dans la ferme ROUVILLAIN.
La vie s’organise autour des saisons et des tâches agricoles. Les enfants apportent leur aide du mieux qu’ils le peuvent tout en assistant avec assiduité aux cours de l’instituteur public, Fortuné FLUTRE et aux offices de l’abbé CARON.
La vie est bien réglée dans la ferme ROUVILLAIN. Rien ne change à part le nom de leur rue. La rue de Martinsart devient la rue d’En-Bas !

Mesnil, le chef-lieu de la commune compte environ 275 habitants au début du XXe siècle. Les garçons du même âge que Paul ROUVILLAIN sont rares. Parmi les voisins de la rue il y a Arthémis MAGNIER et Philogène POURCHEL. Ils sont un peu plus âgés que lui mais Paul aime à les suivre dès qu’il le peut. Il retrouve aussi souvent son cousin Louis FLUTRE, le fils de l’instituteur, qui habite rue d’Auchonvillers. Paul ROUVILLAIN se veut aussi un peu protecteur vis-à-vis de son frère cadet Louis. C’est lui le grand frère !
Le 2 août 1914, pour répondre à l’ordre de Mobilisation générale décrété la veille, les hommes quittent le village. Philogène POURCHEL qui a terminé son service militaire quelques mois plus tôt, en novembre 1913, est prêt au départ. Louis FLUTRE qui avait obtenu un sursis pour poursuivre ses études supérieures à Paris partira quelques jours plus tard. Quant à Arthémis MAGNIER, de santé fragile il a été exempté du service militaire pour « faiblesse générale ». Il devra prochainement passer devant une Commission médicale pour savoir s’il est apte à faire la guerre.
Paul ROUVILLAIN n’est pas mobilisé. Il est encore trop jeune.
Philogène POURCHEL participe avec le 120e Régiment d’Infanterie de Péronne aux premiers combats meurtriers de la Grande Guerre. Le 22 août 1914, les pertes subies par le 120e RI dans le village belge de Bellefontaine s’élèvent à plus de 1 000 hommes. Philogène combat ensuite début septembre dans le Sud de la Marne, avant que le front ne se stabilise et que la guerre de tranchée ne débute. Au début de l’automne 1914, la guerre est aux portes du territoire de Mesnil-Martinsart. Les Allemands ont pris possession du village de Thiepval à portée d’artillerie du village de Mesnil où les troupes françaises s’installent. Ce sont essentiellement des hommes venus du Sud de la Bretagne et de Vendée.

La population est invitée à quitter le village. Certaines familles refusent de partir. Ernest et Berthe ROUVILLAIN décident d’abandonner leur ferme pour une période qu’ils espèrent courte. Comme beaucoup d’autres fermiers du village, l’objectif qu’ils se fixent est de ne pas partir trop loin pour pouvoir revenir au plus tôt dès que les combats cesseront. Il ne faut donc pas quitter le département de la Somme.
C’est la destination de Vignacourt qui est choisie, à 35 km vers l’Ouest. A 35 km des combats.
En décembre 1914, alors que les ROUVILLAIN s’installent provisoirement à Vignacourt et tentent de trouver du travail dans les fermes du secteur, Paul reçoit son ordre de mobilisation. Il doit rejoindre le dépôt du 87e Régiment d’Infanterie à Quimper. Il y est incorporé en même temps que de nombreux jeunes Bretons pour suivre l’instruction militaire obligatoire. Si la langue utilisée dans le 87e RI caserné à Saint-Quentin était majoritairement le picard, c’est maintenant la langue bretonne qui domine.

C’est également en ce mois de décembre 1914 que Philogène POURCHEL est évacué vers l’arrière pour plusieurs mois et que le Conseil de Révision de Corbie confirme l’inaptitude temporaire d’Arthémis MAGNIER.
Louis FLUTRE est capturé par les Allemands le 8 mars 1916 dans la Meuse. Louis finira la guerre dans des camps d’internement en Allemagne et ne sera rapatrié que le 31 décembre 1918. Démobilisé en septembre 1919, il retournera à Paris pour terminer ses études.
Malgré son état de santé, Arthémis MAGNIER est finalement jugé apte à rejoindre l’armée. Etant toutefois inapte au service armé, il sera classé dans les services auxiliaires de régiments d’Artillerie. Arthémis vivra l’année 1918 dans l’angoisse d’être finalement jugé apte et de partir au front. Ce ne sera pas le cas.

Après avoir connu l’enfer à partir du 31 août 1916 dans le secteur de Verdun avec le 81e Régiment d’infanterie de Montpellier où il a été transféré, Philogène POURCHEL est envoyé au printemps 1918 en Flandre occidentale. Le 6 mai 1918, au Mont-Kemmel, il est intoxiqué par gaz. A l’issue de trois mois d’hospitalisation, Philogène est renvoyé au combat. Il termine la guerre et n’est démobilisé qu’en juillet 1919. Toutefois, le mal est entré définitivement dans ses poumons. Dans sa vie de civil, sa vie de rescapé, les journées et les nuits seront emplies de « crises d’asthme » et de respiration difficile.

Paul ROUVILLAIN ne reviendra jamais à Mesnil-Martinsart. Paul ROUVILLAIN a été tué le 24 octobre 1916 à Douaumont.
Sauvé par son âge Louis, son frère cadet né en 1899, a échappé au pire. Appelé fin avril 1918, la guerre était presque terminée quand il a fini son instruction militaire. Louis a échappé au pire mais la guerre lui a volé son frère. Son unique frère…
Les ROUVILLAIN ne sont pas revenus vivre à Mesnil-Martinsart. Leur ferme a été détruite. Le château de Théodore de GUILLEBON a lui aussi été détruit totalement. Toutes les habitations et les bâtiments publics ont totalement disparu. Avant la guerre la commune de Mesnil et de Martinsart comptait un peu plus de 400 personnes. Près de la moitié de la population n’est jamais revenue.

Les filles, Marthe et Marie ROUVILLAIN, avaient quitté la commune avant la guerre. Marthe a poursuivi sa vie près d’Amiens et Marie est partie dans l’Aisne. Louis ROUVILLAIN et ses parents sont restés à Vignacourt, commune où ils s’étaient réfugiés, pour y exploiter en famille une ferme. Louis a épousé une jeune fille de Vignacourt, Marcelle DUBOILLE avec laquelle il a eu trois garçons, Maurice, Paul et Marceau. Le nom de la voie à Vignacourt où était installée la ferme était la rue d’En-Bas… Comme à Mesnil…
Philogone POURCHEL est décédé à Albert en 1970 et Louis-Fernand FLUTRE à Paris en 1978. Si Louis-Fernand y revint régulièrement pendant ses vacances, Arthémis MAGNIER est le seul à avoir vécu à Mesnil-Martinsart. Il a participé à la reconstruction du village et a été élu maire, fonction qu’il a exercé pendant trente ans. Arthémis MAGNIER est mort le 23 novembre 1962 à l’âge de 70 ans.

Paul ROUVILLAIN, dont le nom est inscrit sur le monument aux morts de Mesnil, a 21 ans pour toujours. Même si la famille ROUVILLAIN a quitté la commune c’est dans la caveau familial de Mesnil que repose le jeune Paul.

Comme les survivants des familles POURCHEL et ROUVILLAIN, Louis-Fernand FLUTRE n’a jamais oublié son village et ceux qui l’habitaient avant cette terrible guerre.
« La première guerre mondiale a été des plus funestes pour la commune de Mesnil-Martinsart, restée pendant quatre ans en pleine zone des combats. Les deux villages ont été rasés par les bombardements, les habitants évacués et dispersés. Beaucoup d’entre eux ne sont jamais revenus. Puis les vieux sont morts progressivement. Aussi n’y a-t-il plus aujourd’hui que quelques personnes qui aient connu le Mesnil et le Martinsart d’avant 1914. J’ai, si je puis dire, le privilège d’être de celles-là. Bien que n’habitant plus depuis un demi-siècle mon village natal, je n’ai jamais cessé d’être en intime contact avec lui, y revenant chaque année passer une partie de mes vacances. Je n’y ai plus, hélas ! ma bonne vieille ferme familiale : écrasée par les obus allemands, elle a été remplacée par une quelconque maisonnette en briques ; mais j’y possède encore les champs qu’ont labouré mes aïeux et surtout la tombe où reposent mes parents… » Louis-Fernand FLUTRE, août 1954 (Mesnil-Martinsart : essai d’histoire locale)
Xavier BECQUET

Photo d’en-tête : plaque « Le départ » du monument-aux-morts de Mesnil-Martinsart
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