
Le 6 juin 1888, Ovide DARRAS se présente à la mairie d’Airaines dans le canton de Molliens-Vidame, il vient déclarer la naissance de son fils Henri Fernand ; Ovide a 27 ans et exerce la profession de menuisier. Marie Dosithée Noémie DELCOURT, son épouse, âgée de 24 ans est ménagère. Ils résident ensemble à Airaines, rue Saint-Denis.

Airaines est une commune de la Somme située au sud-ouest d’Amiens, peuplée d’environ 1900 habitants au moment où Henri voit le jour.
A côté de l’agriculture, Airaines est en plein essor industriel à la fin du 19e et début du 20e siècle. Ses 17 moulins à blé ou à minette (variété de luzerne) vont permettre aux deux savonneries de prospérer avec la production de leur huile.
Grâce à la mécanisation du tissage, les ateliers de cette commune deviennent florissants : ainsi on travaille le velours dans l’usine LECAT, on fait de la broderie dans les ateliers DENEUX. Près de 200 commerces animent ce bourg, cafés, épiceries, magasins, librairie, et on y trouve couvreurs, menuisiers, horloger, légumier, modiste, etc…
Marchés et foires jouent une grande place dans la vie de chacun, et ce sont deux halles construites un peu avant la Révolution de 1789, qui sont affectées à la vente des grains pour la plus vaste et à la vente des toiles et du fil, pour la seconde, elle s’appelle d’ailleurs « halle aux toiles ».

L’exportation des produits dérivés, agricoles ou industriels, fonctionne aussi bien en France qu’en Angleterre. Airaines a sa gare depuis 1872, sur la ligne de chemin de fer de Canaples à Gamaches qui assure essentiellement le trafic des marchandises.
En 1895, c’est la naissance de la première usine électrique du secteur, créée au moulin Galland, route de Paris.
Quelques années plus tard cette usine fournira l’électricité dans toutes les maisons de la localité.

Ovide DARRAS, le père d’Henri est originaire d’Allery, pas très loin d’Airaines. Marié en 1884 à Marie Lydia HERBET, il se retrouve veuf en 1885, Marie est décédée en septembre des suites de l’accouchement d’une fille Zoé qui n’a malheureusement pas survécu.
Ovide rencontre Dosithée DELCOURT née à Laleu, village voisin d’Airaines. Dosithée est tisseuse, elle vit chez ses parents, son père est journalier agricole.
Ils se marient à Laleu en 1886, Dosithée est déjà mère d’un enfant naturel, Julien, né en 1885.
Julien, âgé de 18 mois lors du mariage, gardera toujours son patronyme de naissance DELCOURT.

Henri sera l’aîné d’une fratrie de cinq enfants, deux garçons et trois filles. Né en 1888, il voit arriver sa première sœur Jeanne en 1894, son frère cadet Moïse en 1897, Gabrielle en 1899 et enfin, Thérèse la petite dernière en 1903.
Toute la famille DARRAS vit à Airaines avec Julien DELCOURT, ouvrier en grains.
En 1900 elle habite rue d’Amiens. Après avoir déménagé rue de Courchon en 1906, la famille retourne rue d’Amiens quelques années plus tard.

En 1911, Julien vit déjà avec Ernestine SELLIER dans le quartier de Dreuil-Hamel, il est tisserand à l’usine de velours LECAT.
Une vingtaine de jeunes de l’âge d’Henri a fréquenté l’école de garçons dirigée par Monsieur Alexandre PONCHON, et en 1908 ils se retrouvent à Molliens-Vidame pour passer le conseil de révision. Henri est alors déclaré soutien de famille.
Jeune homme aux yeux bleus, aux cheveux châtains, Henri mesure 1m64. Possédant un bon niveau d’instruction, il est employé de magasin à Dreuil-Hamel, un quartier d’Airaines à cette époque.
Le bureau de recrutement d’Amiens, l’incorpore au 72ème Régiment d’Infanterie, le 8 octobre 1909, pour accomplir son service militaire jusqu’en septembre 1911.
Lorsque Henri est encore sous les drapeaux, Jeanne, sa sœur cadette, comme beaucoup de jeunes filles du village, est alors brodeuse chez DENEUX, une usine de broderie mécanique, dépendant de la maison mère à Hallencourt.
Que ce soit à Airaines ou à Hallencourt, les garçons sont tisserands et les filles brodeuses !

A Dreuil-Hamel, où travaille Henri, il fréquente une jeune fille, Elmire RANCON, née en 1891 dans ce quartier d’Airaines.
Elmire, est tisseuse chez HAVET et LECAT, elle vit avec ses parents. Son père Armand, est tisserand dans la même usine.
Le 21 février 1914, leur mariage est célébré dans cette petite ville où ils vont habiter. Henri âgé de 27 ans, est alors journalier.

Le décret de mobilisation générale rappelle Henri à l’activité. Il rejoint le 72ème Régiment d’Infanterie à Amiens, le 3 août 1914, cinq mois après son mariage !
Le 5 août son régiment arrive à Dun-sur-Meuse, c’est la Bataille des Frontières. Après l’enfer de Bellefontaine, un sanglant combat a lieu dans le village de Cesse (Meuse), puis le régiment poursuit son mouvement de recul. Le 5 septembre il se trouve sur la voie ferrée reliant Vitry-le-François (Marne) à Revigny-sur-Ornain (Meuse). La bataille de la Marne va commencer.
Après des combats d’un acharnement inouï, Henri est tué le 6 septembre 1914 sur le territoire d’Etrepy-Bignicourt-sur-Saulx (Marne).

Henri avait 26 ans. Elmire est veuve à 23 ans.
La transcription de son décès ne sera faite que le 25 septembre 1919 à Dreuil-Hamel, 4 ans après !
Henri est inhumé à Bignicourt-sur-Saulx dans le carré militaire du cimetière communal près de l’église Saint-Mathieu, et inscrit sur le Monument commémoratif aux 72ème et 128ème Régiment d’Infanterie érigé dans ce même village.

Son nom est aussi gravé sur le Monument aux Morts d’Airaines.
Moïse, son frère, né en 1897, est déclaré décédé en 1917 au moment du conseil de révision.
Henri et Moïse, les deux garçons de la famille DARRAS ont perdu la vie.
Un copain d’enfance d’Henri, Charles Eugène FERRE, classe 1908, avait accompli son service militaire à la 20ème Section de Secrétaires d’Etat-Major. Charles, employé de bureau, se retrouve mobilisé au 72ème Régiment d’Infanterie le 4 novembre 1914.
Charles sera tué à l’ennemi le 8 juin 1918 au combat de la forêt de Retz (Oise), une citation à l’ordre du régiment lui sera décernée le 19 juin ainsi que la croix de guerre avec étoile de bronze.
Charles avait aussi 26 ans.
Le nom de Charles FERRE est inscrit sur le monument aux Morts d’Airaines avec celui de Henri DARRAS.

Seul, Julien DELCOURT, enfant naturel et le demi-frère d’Henri, survivra. Incorporé au 72ème en octobre 1906 et renvoyé dans ses foyers en 1908, il sera rappelé à l’activité le 4 août 1914 au 254ème Régiment d’Infanterie. Il est alors tisserand et réside à Dreuil-Hamel (Airaines) avec Ernestine SELLIER.
Passé au 154ème en 1917 et nommé caporal en juin 1918, il sera blessé à l’épaule droite le 31 août 1918 à Rantigny (Oise), et évacué vers plusieurs hôpitaux. Julien sera réformé définitivement en 1921 avec une pension d’invalidité de 40%. Le mariage de Julien et Ernestine sera officialisé en juillet 1955 à Airaines, il décèdera en 1964 à Amiens.
Elmire, la veuve d’Henri, s’est remariée le 11 octobre 1919 avec Eugène PARIS à Dreuil-Hamel. Ils ont travaillé tous deux chez LECAT, l’usine de fabrication de velours, et ont toujours habité Airaines. Elmire est décédée en décembre 1961 à Airaines.

Danièle REMY – Lionel JOLY
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