ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – une famille dans la guerre

Né le 12 décembre 1889, Paul BUIRE est le fils de Damiens BUIRE et de Lydia FLAMENT.

Damiens BUIRE a passé sa jeunesse à Marquaix, route de Péronne, avec ses 3 frères et ses 2 sœurs. Valentin, leur père, était ouvrier agricole. Comme ses frères, à l’adolescence Damiens est devenu également ouvrier agricole. Il a rencontré Lydia dans le village voisin de Longavesnes.

Pour Lydia, née dans la rue d’En-Bas à Longavesnes, l’enfance a été beaucoup plus compliquée. Lydia a perdu sa mère alors qu’elle n’avait que 4 ans. Elle est élevée par son père, Siméon FLAMENT et par sa tante Alzire. Siméon exerce le métier de tonnelier. Agée de 16 ans, Lydia épouse Damiens. Le bonheur semble enfin à portée de main…

Le jeune couple s’installe à Doingt dans la rue du Pavé. Damiens a quitté le monde agricole pour devenir chef-cantonnier. Damiens et Lydia ont quatre enfants, Emile né en 1886, Paul en 1889, Joseph en 1893 et Julien en 1897. Le petit Joseph meurt à l’âge de 9 mois seulement. Après la naissance de Julien, il n’y aura pas d’autre enfant. A la fin des années 1890, Damiens quitte son emploi de cantonnier et devient débitant-charcutier. Lydia et les garçons apportent tout naturellement leur aide pour le fonctionnement du petit commerce de la rue du Pavé.

Bien que bons élèves, il n’est pas question pour les 3 fils BUIRE d’entreprendre des études supérieures. L’école terminée, Emile, devient garçon-boucher tandis que Paul et Julien sont garçons-boulangers. Paul BUIRE travaille chez Victor DECOURT, le boulanger de la Grande-Rue. Il y est logé et nourri.

Emile BUIRE, l’aîné, effectue ses deux années de service militaire au 120e Régiment d’Infanterie à la caserne Foy de Péronne de 1907 à 1909. A quelques centaines de mètres de chez lui.

Emile BUIRE, debout, 2e à gauche avec le 120e RI en manoeuvre à Maisons-Laffitte.

Moins d’un an après la libération de son frère, c’est au tour de Paul de débuter son service militaire. Le 3 octobre 1910 il doit se rendre à Amiens. Il est affecté à la 2e Section de Commis et Ouvriers au Quartier Gribeauval à Amiens. L’armée a besoin de boulangers pour nourrir les milliers d’hommes présents quotidiennement dans la caserne. Les deux années sous les drapeaux se passent plutôt agréablement pour Paul. Il lui arrive d’effectuer quelques manœuvres militaires mais il est beaucoup plus souvent en train de pétrir que de manier une arme. Libéré fin septembre 1912, il revient à Doingt.

Ses deux frères résident toujours avec leurs parents. Les revenus de la boutique familiale ne permettent pas de nourrir toutes les bouches au foyer et contrairement à leur frère, Emile et Julien n’ont pas trouvé un employeur qui leur offre le gîte et le couvert. Lydia, la maman, exerce des activités de couture. Emile aide son père et Julien, le benjamin de la fratrie, est apprenti-boulanger chez GALLET.

Le 1er août 1914, la Mobilisation générale est décrétée. Emile et Paul BUIRE sont mobilisés. Âgé de 16 ans, Julien, le benjamin, n’est pas encore concerné.

Emile rejoint la caserne Foy de Péronne pour y être équipé et habillé. Le 120e Régiment d’Infanterie a été transféré dans le Nord de la Meuse, à Stenay. Emile prend donc le train avec plusieurs centaines d’autres hommes en gare de Péronne-Flamicourt en direction des frontières de l’Est de la France.

Paul est affecté à la 2e Section de Commis et Ouvriers, unité où il a effectué ses deux années de service militaire. En temps de paix, un boulanger est important. En temps de guerre, il devient indispensable ! 

A gauche, Paul BUIRE (croix sur le pantalon) avec l’équipe des boulangers militaires

Fin août 1914, les Allemands traversent le territoire de la Somme du Nord au Sud. Fin septembre, les troupes allemandes s’installent dans le Nord-Est du département. Les villages des cantons de Péronne et de Roisel sont occupés. De nombreux habitants ont quitté les lieux quelques jours avant l’invasion et sont partis se réfugier vers le Sud ou l’Ouest de la France.

Damiens et Lydia BUIRE n’ont pas voulu quitter leur commune.

C’est à Doingt, village occupé dès l’automne 1914, que le premier drame arrive pour la famille BUIRE. Damiens, le père, alors qu’il était dans son jardin à l’arrière de sa maison, est surpris par la vision d’un cavalier uhlan passant sur le chemin qui longe le jardin. L’effet de surprise est violent. La peur est incontrôlable. Damiens avait 14 ans quand les Prussiens ont occupé la région en 1870-1871. Les exactions étaient nombreuses à l’époque. On faisait croire aux enfants que les uhlans coupaient les mains des enfants. Chaque cavalier prussien surgissant dans la rue provoquait de la terreur chez les plus jeunes. 44 ans plus tard, ces mauvais souvenirs hantent toujours la mémoire de Damiens. A la vue du cavalier, l’adulte qu’il est devenu se sauve pour se cacher. Le uhlan et son cheval poursuivent leur chemin… Il aurait pu s’agir d’un événement sans conséquence. Une anecdote de civil en territoire occupé… Hélas, l’état de santé de Damiens se dégrade immédiatement. Il meurt quelques jours plus tard d’une jaunisse, conséquence directe de la violente peur ressentie à la vue du uhlan. Damiens avait 58 ans.

Contrairement à ses parents, Julien BUIRE, le benjamin de la fratrie, a quitté le secteur de Péronne. Rester en zone occupée est synonyme, pour un jeune homme bien portant de 16 ans, de travail forcé pour l’ennemi. Julien part dans la région de Nantes. Il exerce alors son métier de boulanger dans la commune de La Montagne. Pour les civils de l’arrière aussi, le pain est indispensable et Julien préfère de loin travailler pour les Français plutôt que pour les Allemands.

Fin janvier 1915, Lydia reçoit la nouvelle qu’elle redoutait tant. Un de ses fils est mort à la guerre. Emile BUIRE a succombé à ses blessures de guerre à l’hôpital de Brienne-le-Château en Argonne le 20 janvier 1915. Il avait 28 ans.

Un an plus tard, la peur redouble pour la pauvre mère. Le plus jeune de ses fils, Julien, est mobilisé. Réfugié loin de chez lui, il a rempli les formalités administratives pour pouvoir être localisé et recevoir la convocation quand sa classe d’âge doit partir . Le 8 janvier 1916, il rejoint le 148e Régiment d’Infanterie, dont le lieu de casernement avant la guerre était dans les Ardennes.

Julien BUIRE, assis, le plus à gauche.

Le 31 mai de la même année, Paul est transféré au 107e Régiment d’Infanterie. Les combats font rage à Verdun, la Bataille de la Somme se prépare. L’Armée française a besoin de fantassins sur les champs de bataille. Trois mois plus tard, il rejoint le 89e Régiment d’Infanterie.

Le village de Doingt est toujours occupé par les Allemands. Les habitants de sexe masculin ont été transférés, dès les premiers mois de guerre, vers des villages occupés de Belgique ou vers des camps en Allemagne. Les femmes et les jeunes enfants sont restés. En 1916, l’occupant décide d’évacuer totalement les villages. Suite au blocus économique imposé par les Alliés, la population allemande a du mal à se nourrir. Il ne faut donc pas ajouter des bouches supplémentaires avec les prisonnières civiles. Par l’intermédiaire de la Croix Rouge, les prisonnières civiles françaises de l’Est de la Somme sont transférées vers la Suisse puis rapatriées quelques semaines plus tard. C’est à Paris que Lydia BUIRE trouve refuge.

Paul et Julien, ses deux fils rescapés, parviennent à obtenir une permission en même temps pour rendre ensemble une visite à leur mère à Paris.

Julien BUIRE, à gauche, et Paul BUIRE avec leur mère, Lydia.

C’est dans la Somme que Paul BUIRE connaît les premiers combats. Dans le secteur de Rancourt, le 89e RI reçoit comme mission de tenir coûte que coûte sa position face au Bois de Saint-Pierre-Vaast et d’y réaliser des travaux de défense. Les bombardements sont incessants. Le régiment est relevé fin octobre. Il quitte la Somme.

Le 89e RI prend part à l’offensive du Chemin des Dames, dans le sud de l’Aisne, dès février 1917. Paul est cité à l’ordre du régiment pour avoir « contribué à repousser un coup de main ennemi le 16 mars 1917 en restant à son poste sous un violent bombardement ».

Julien BUIRE, en uniforme du 50e Régiment d’Infanterie

Le 28 mars 1917, Julien, son frère cadet, change de régiment. Affecté au 50e Régiment d’Infanterie, il est envoyé combattre en Italie. C’est dans ce pays que, le 5 avril 1918, Julien BUIRE est tué à l’âge de 20 ans.

Une cérémonie a lieu à Doingt quelques mois plus tard, en présence d’une foule nombreuse pour rendre hommage au jeune Julien BUIRE et à sa famille durement éprouvée. Il y est prononcé le texte de la citation qui accompagne la médaille militaire remise à titre posthume : « BUIRE Laurent-Julien : brave soldat tombé pour la France près d’Asiago (Italie) le 5 avril 1918 en faisant vaillamment son devoir. »

Paul BUIRE, le seul rescapé de la fratrie, est démobilisé le 21 juillet 1919. Il n’est ni blessé, ni malade, pourtant qui peut dire de lui qu’il est revenu indemne ? Il a vécu l’horreur des champs de bataille. Il a perdu les deux seuls frères qu’il avait. Son père est mort pendant la guerre. Et son village de Doingt, comme toutes les communes du secteur, est en ruines…

Paul rejoint sa pauvre maman à Doingt avec laquelle il partage les premières années d’après-guerre. Il l’aide à ouvrir un petit commerce de mercerie. Malgré l’insupportable douleur, la vie doit continuer…

Mariage à Barleux de Paul et Isabelle (au 1er rang, assis, 3e et 4e en partant de la gauche).

Paul rencontre Isabelle, une fille originaire de Barleux, commune au sud-ouest de Péronne. Il l’épouse et en 1923 naît un petit garçon. Il est prénommé Julien, en hommage à son grand-oncle de 20 ans mort à la guerre.

Paul BUIRE continue à exercer son activité de boulanger. Pendant plusieurs années, il travaille pour la coopérative d’Epehy avant de partir ouvrir un commerce dans la rue Pierre Cardon à Bernes, village mitoyen de Marquaix d’où est originaire la famille BUIRE. Son fils, Julien, aura 3 enfants : Jean-Paul, Colette et Joël.

C’est dans ce village de Bernes que Paul BUIRE a fermé définitivement les yeux le 21 juillet 1939, à l’âge de 49 ans. Les noms de ses deux frères, Emile et Julien BUIRE, sont inscrits pour toujours sur le monument aux morts de Doingt, le village de leur jeunesse.

Née en février 1867, Lydia BUIRE née FLAMENT a connu à trois reprises l’occupation de son territoire, à l’Est du département de la Somme, par des troupes venues d’outre-Rhin : 9 mois d’occupation des Prussiens en 1870-1871, plus de 50 mois d’occupation des troupes du Kaiser Guillaume II de l’automne 1914 au printemps 1917 et quatre années d’occupation par les soldats du IIIe Reich. Elle s’est éteinte avant que son pays ne soit à nouveau libéré. Lydia est morte le 3 février 1944 à l’âge de 77 ans. Ses quatre fils l’avaient tous précédée dans la mort.

Xavier BECQUET

Merci à Jean-Paul BUIRE de Doingt-Flamicourt, petit-fils de Paul BUIRE, pour la mise à disposition des photos des membres de sa famille.

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2 commentaires sur « ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – une famille dans la guerre »

  1. je remercie Xavier d’avoir réalisé le parcours de ma famille qui a souffert de la guerre 14-18 surtout mon arrière grand mère . Je pense aujourd’hui aux souffrances des ukrainiens – Jean Paul Buire

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