ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – les deux fils du fermier

Né le 19 août 1886, Frédéric DELABRE est le fils de Firmin DELABRE et de Marie GROGNET.

Firmin est originaire d’Yzengremer et Marie est née à Woincourt, commune voisine.

Les DELABRE sont cultivateurs dans la rue de Méneslies à Yzengremer petit village du canton d’Ault à l’Ouest du département de la Somme. Après son mariage avec Firmin en 1881, Marie vient le rejoindre dans la ferme du père de Firmin et de sa mère, Geneviève.

C’est dans cette ferme que naît, l’année suivante, un premier garçon, lequel en tant qu’aîné se voit attribuer le même prénom que son père et son grand-père : Firmin !

18 mois plus tard, une fille prénommée Léa vient agrandir la famille. Hélas, alors que Marie est enceinte de son 3e enfant, la petite Léa ne survit pas à la maladie. La mortalité infantile frappe très durement toutes les familles en cette fin du XIXe siècle, quel que soit le milieu social. Deux mois après la disparition de Léa, à l’âge de 2 ans, vient au monde celui qui sera le dernier enfant du couple : Frédéric.

Le vieux patriarche, Firmin, le grand-père, s’éteint 15 jours seulement après la naissance du dernier né, Frédéric.

Firmin, son fils, devient le patron de la ferme. Le bonheur finit enfin, peu à peu, par trouver sa place dans la petite ferme des DELABRE.

Au fur et à mesure de leur croissance, ses deux fils, Firmin et Frédéric, lui sont d’un précieux secours pour assurer les tâches quotidiennes qu’impose une exploitation agricole. Même si travailler à la ferme est important, l’éducation de leurs enfants reste toutefois une priorité pour Firmin et Marie. Leurs fils assistent avec assiduité aux cours dans l’école du village qu’ils quittent en sachant parfaitement lire et écrire.

Firmin, l’aîné de la fratrie, part au service militaire en novembre 1904. Affecté au 128e Régiment d’Infanterie, c’est à Abbeville qu’il remplit son devoir en donnant deux années de sa vie à la nation. Libéré des obligations militaires, il rejoint la ferme familiale à Yzengremer. C’est lui qui prendra la tête de l’exploitation quand son père passera la main.

Un an plus tard, c’est au tour de Frédéric d’être appelé. Il quitte son village début octobre 1907. D’autres copains comme Alfred WATBLED, Louis HENIN et Francis CANNEVELLE en font de même. Ces quatre garçons ont vécu tellement de moments ensemble. Ils espéraient être incorporés ensemble, dans le même régiment. Il n’en est rien. Frédéric DELABRE doit rejoindre le 5e Régiment de Dragons à Compiègne dans l’Oise. Alfred WATBLED est affecté au 87e Régiment d’Infanterie de Saint-Quentin dans l’Aisne. Louis HENIN est le plus chanceux des quatre. Son incorporation au 128e RI casernée à Abbeville, chef-lieu de l’arrondissement où est située la commune d’Yzengremer, lui permettra de revenir plus facilement pendant les permissions. Quant à Francis CANNEVELLE, il part dans l’Est de la France, en Meurthe-et-Moselle où il rejoint le 16e Bataillon de Chasseurs à pied. Mais Francis n’ira pas au terme des deux ans. En mai 1908, il est reformé et renvoyé dans ses foyers pour tuberculose pulmonaire.

Frédéric DELABRE, Alfred WATBLED et Louis HENIN sont libérés du service militaire à la fin du mois de septembre 1909. Comme beaucoup de garçons qui sont dans cette situation, leur premier objectif est de se marier et fonder une famille. Louis HENIN n’a pas attendu la fin du service militaire pour passer à l’acte. Muté au Prytanée militaire à La Flèche dans la Sarthe en tant qu’ordonnance à la fin de la première année de service militaire, Louis a rencontré une jeune Sarthoise dont il est tombé amoureux. Il l’a épousée en août 1909.  Alfred WATBLED s’est marié en décembre 1909, Frédéric DELABRE en octobre 1910 et Francis CANNEVELLE, deux mois plus tard. La vie de famille peut enfin commencer !

Frédéric DELABRE s’installe avec son épouse, Eugénie DEBOFFE à Woincourt, le village voisin. La petite ferme n’est située qu’à quelques centaines de mètres de celle de Firmin DELABRE, le père de Frédéric. En 1911, naît le premier enfant du couple. Il s’agit d’une fille qui est prénommée Marie-Rose. Puis vient Marcel l’année suivante.

Pour maintenir son niveau de connaissance et de pratique acquis pendant les deux années d’instruction militaire, chaque jeune homme doit participer à des périodes de 3 semaines de formation. Frédéric retourne dans la caserne de Compiègne du 8 au 30 janvier 1912, puis du 13 au 29 janvier 1914. Quand la Mobilisation est décrétée le 1er août 1914, en raison de son récent recyclage, Frédéric est considéré comme immédiatement opérationnel et prêt à combattre. Il est affecté au 21e Régiment de Dragons à Noyon dès le 2 août.

Son frère aîné, Firmin, dont la dernière période d’instruction remonte au mois de mai 1911 ne part que dix jours plus tard.

Les deux fils de Firmin et Marie DELABRE, partent à la guerre. La terrible attente débute pour les parents.

A la mi-août 1914, les villages se sont vidés de leurs jeunes hommes. Louis HENIN a rejoint le 128e RI où il avait effectué le service militaire. Alfred WATBLED a été affecté à la 2e Section d’Infirmiers militaires. Quant à Francis CANNEVELLE, encore sous l’effet d’une tuberculose qui tarde à guérir, il n’est jugé apte au service armé qu’en décembre 1914.

A peine arrivé à Noyon, Frédéric DELABRE suit son régiment en direction des Ardennes. Le 21e Régiment de Dragons cantonne à Vrigne-aux-Bois le 5 août, à Bellevaux le 6 août puis se rapproche rapidement de la frontière belge qu’il franchit le 7 août. Les cavaliers français tentent de s’approcher au plus près des patrouilles allemandes entrées sur le sol belge. Quelques échauffourées se soldent par des morts et des blessés. Même s’il s’agit de missions de reconnaissance, il semble difficile à un soldat français de ne pas tirer quand il aperçoit un casque à pointe …  Le 21e Dragons participe à la Bataille des Frontières les 22 et 23 août dans le secteur de Charleroi.  Puis il bat en retraite, comme toutes les unités de l’Armée française de la fin août au début septembre 1914 avant de participer à la Bataille de la Marne. Mi-septembre, le 21e Dragons poursuit les Allemands jusque dans l’Oise. Puis de nombreux combats sont menés dans la Somme pour tenter d’empêcher l’installation des Allemands notamment dans le secteur de Maucourt.

A l’automne 1914, la guerre s’enterre. L’utilisation des chevaux est alors destinée prioritairement au transport des munitions et des vivres. Les Dragons descendent de leurs chevaux. Ils sont même dotés d’une baïonnette en cas d’engagement à pied poussé jusqu’au corps à corps… En novembre 1915, Frédéric DELABRE est transféré au 118e Régiment d’Artillerie.

Mais qu’importe pour lui cette nomination dans l’Artillerie, l’essentiel n’est vraiment pas là. Son frère aîné, Firmin, est mort.  D’abord considéré comme disparu, il ne semble plus y avoir d’espoir de le revoir vivant un jour. Firmin DELABRE est mort dans le Bois de la Gruerie en Argonne le 30 octobre 1914. Sollicitée par les parents, la Croix Rouge n’a trouvé aucune trace de son passage dans les camps d’internement allemands. Firmin ne reviendra plus.

Frédéric porte alors la lourde responsabilité d’être l’unique enfant vivant de Firmin et Marie. Il porte aussi celle d’être le mari d’Eugénie et le père de Marie-Rose et de Marcel …   Combien de vies seraient-elles brisées si lui aussi disparaissait ?

Frédéric évite les balles et les éclats d’obus. Il semble n’être atteint ni par les maladies, ni par les gaz. Frédéric traverse la guerre en miraculé… jusqu’au 11 juin 1918 à Allemant près de Soissons dans l’Aisne. Frédéric est capturé par l’ennemi. C’est en Allemagne qu’il vit les derniers mois de la guerre. Il est interné à Munster, Darmstadt puis à Friedrichsfeld.

Rapatrié le 4 décembre 1918, Frédéric n’est officiellement démobilisé que le 21 mars 1919. Il peut enfin retrouver son épouse, ses enfants et ses parents… L’enfer est fini. Mais pour lui qui est revenu indemne physiquement, plus rien ne sera jamais comme avant. N’aurait-il pas donné un de ses bras pour que son unique frère soit encore en vie ? Quant aux regards de ceux qui sont dévastés par la douleur, comment doit-il l’affronter, lui le miraculé de la vie ?

Francis CANNEVELLE a été tué le 7 mars 1916 au Bois des Corbeaux dans la Meuse. Alfred WATBLED n’a jamais pu guérir de la tuberculose. Sa guerre, il l’a passée dans les hôpitaux militaires et civils de Béziers, de Saint-Chinian, de Paris rue de Molitor, de Château-Gontier, de Teloché dans la Sarthe. Une commission médicale l’a réformé définitivement le 7 mars 1916. Alfred WATBLED est mort le 23 octobre 1917.

Louis HENIN n’est pas mort mais la guerre a fait de lui un estropié. « Blessé par éclat d’obus, plaie en séton à l’avant-bras gauche, plaie à la cuisse et à la fesse gauche, plaie de la région poplité droit, petit éclat région lombaire, etc… ». Il n’a jamais pu retrouver l’usage normal de ses jambes. Louis a vécu avec son épouse Germaine à La Flèche dans la Sarthe. Il est mort le 31 mai 1966 à l’âge de 79 ans.

Frédéric DELABRE a repris son activité de cultivateur dans sa ferme de la Route Nationale à Woincourt. La famille s’est agrandie avec l’arrivée de Thérèse en 1920 et d’Alfred en 1922. Frédéric a eu la chance de voir grandir ses enfants. Frédéric a eu la chance de voir naître ses petits-enfants.

Le nom de Firmin DELABRE, son frère et ceux de Francis CANNEVELLE et Alfred WATBLED, ses copains de jeunesse, sont inscrits sur le monument aux morts d’Yzengremer.

Frédéric s’est éteint le 5 février 1970 à Woincourt, à l’âge de 83 ans.

Xavier BECQUET

Remarque : le patronyme WATBLED peut être écrit VATBLED selon les documents consultés.

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Un commentaire sur « ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – les deux fils du fermier »

  1. Bonjour Monsieur, je suis l’arrière petite fille de Firmin, puisque Firmin a eu un fils n’est posthume en octobre 1914, je suis passionnée de genealogie et j’ai beaucoup de photos à vous transmettre de Firmin et Frédéric. Florence Christophe. Contact geneaflo@hotmail.fr

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