ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – remarqué pour son courage et son calme…

Né le 11 septembre 1897, André OUIN est le fils de Christian OUIN et de Maria DEPONS.

Christian et Maria se sont mariés le 11 octobre 1896 à Yzengremer, village d’où est originaire la jeune épouse et ils se sont installés à Ault, commune de naissance du jeune homme.

Les deux communes du Vimeu maritime ne sont distantes que de sept kilomètres mais elles offrent un visage bien différent. Le village agricole d’Yzengremer est installé à l’intérieur des terres, sur le plateau dominant la vallée de la Bresle alors que le bourg d’Ault, est une petite cité commerçante du bord de mer qui fait la liaison entre les hautes falaises de craie blanche au sud et les bas-champs marécageux nommés Hâble d’Ault au nord.

Christian est serrurier à domicile comme l’est déjà son frère aîné prénommé Angèle. Les deux seuls fils de la fratrie OUIN, Christian et Angèle, n’ont pas repris la petite ferme familiale de la rue de la Montagne à Ault. Ils sont serruriers. Le père de Maria est également serrurier à domicile, profession encore très répandue dans le Vimeu à la fin du XIXe siècle.

Christian, Maria et le petit André, né en 1897, résident dans la rue de la République à Ault. La mortalité infantile frappe à plusieurs reprises le foyer et quand Christian et son épouse décident de quitter Ault, André est leur seul enfant vivant. Il a dix ans. La déchirure est douloureuse pour lui. Il en est de même pour Jules BELPAUME, son voisin. Le fils de Marie et de Georges BELPAUME et celui de Maria et Christian OUIN sont unis comme les doigts d’une main. Jules est né en juin 1897. André et Jules ne se quittaient jamais. Jules n’est pas fils unique mais Paul, son frère aîné, est bien trop âgé pour partager ses jeux et ses rêves. Il a neuf ans de plus. André et Jules étaient presque deux frères.

En 1907, Christian et Marie OUIN quittent Ault pour s’installer dans la ville d’Eu en Seine-Inférieure, dans la vallée de la Bresle. La cité royale compte près de trois fois plus d’habitants que n’en compte le bourg d’Ault et dix fois plus qu’Yzengremer, le village de Marie. Une nouvelle aventure commence donc pour Christian et Marie. Ils deviennent commerçants et reprennent l’épicerie située au 39 rue de la République à Eu que tenait Gaston LELEU, originaire de Saint-Blimont. Cette boutique est située à proximité du centre-ville et du collège où André peut poursuivre ses études. Car le petit Aultois est très bon élève !

André OUIN étudie avec sérieux au collège ce qui ne l’empêche pas d’aider ses parents à l’épicerie régulièrement. La vie s’organise avec bonheur à trois, puis rapidement à quatre. En effet, quelques mois après leur arrivée à Eu, naît un garçon prénommé Maurice. Même si la différence d’âge de douze ans est importante, André n’est plus fils unique. La vie des OUIN est simple et heureuse. La ville d’Eu les a adoptés.

Le 1er août 1914, l’annonce du décret de Mobilisation générale provoque un choc dans toutes les familles. Malgré ses 43 ans, Christian, le père de famille, sait qu’il va être rappelé. Comme tous les hommes de moins de 45 ans qui ont effectué un service actif, il n’est pas encore libéré des obligations du service militaire. L’attente du courrier officiel de mobilisation est pesante. Elle dure plusieurs mois. Dans les premiers jours, Christian espérait qu’une guerre courte lui permettrait de rester chez lui. Mais l’arrivée de milliers de soldats français, belges puis venant de l’empire britannique dans le secteur l’incite à penser que son départ ne pourra être évité. La ville d’Eu et ses « soeurs », Mers-les-Bains et Le Tréport, situées à une centaine de kilomètres du front, deviennent des bases arrières pour de nombreuses unités militaires.

Le 26 mars 1915, Christian OUIN reçoit une convocation. Il doit rejoindre le 14e Régiment d’Infanterie Territorial. Son dossier militaire ne plaide pas en sa faveur. Condamné à un an de prison pendant son engagement, Christian n’a jamais obtenu le certificat de bonne conduite. Malgré son âge, Christian est d’abord envoyé au combat avec le 14e RIT puis avec le 11e Régiment d’Artillerie à Pied en octobre 1916, puis encore avec le 10e Régiment d’Artillerie en janvier 1917 avant d’être transféré au 74e Régiment d’Infanterie en mai 1917. L’Armée lui fait payer cher son comportement de jeunesse, au risque de lui faire perdre la vie.

Christian OUIN a de la chance. Beaucoup de chance. Il évite maladie et blessure. Le 14 novembre 1917, à l’âge de 46 ans, il est placé en sursis d’appel et détaché à la Brasserie du Cidre à Eu. Hydrater les centaines de militaires qui cantonnent quotidiennement à Eu nécessite d’y mettre les moyens !

Quand Christian revient à Eu, il y retrouve son épouse, Maria, et le benjamin Maurice. André est parti à la guerre.

Convoqué le 10 août 1916, André arrive à Béziers deux jours plus tard. Il est affecté au 153e Régiment d’Infanterie qui a quitté sa caserne de Toul en Meurthe-et-Moselle pour le sud de la France. Recevant son équipement, André OUIN est dirigé vers le centre d’instruction militaire installé dans un couvent désaffecté à Pézenas, commune distante de Béziers d’environ vingt kilomètres. 

Trois mois plus tard, André OUIN est envoyé au combat. Le contraste est saisissant. La douceur et le calme de Pézenas sont bien vite oubliés. En novembre, les hommes du 153e arrivent dans la Somme. Pendant huit jours, le régiment occupe le secteur près de Sailly-Saillisel. La pluie tombe sans discontinuer. Le sol boueux engloutit tout. Le gel arrive, les corps détrempés se transforment en glace. Sans avoir mené le moindre combat autre que celui contre les éléments, les hommes sont épuisés quand ils sont relevés le 1er décembre. André OUIN sait maintenant à quoi peut ressembler une guerre de tranchées…

Au printemps 1917, le 153e participe à l’offensive du Chemin des Dames dans le sud de l’Aisne. Les succès sont au rendez-vous et plusieurs secteurs comme celui du Bois Brouze sont repris aux Allemands, mais les pertes sont importantes.

André OUIN se fait remarquer par « son courage et son calme ». Il est promu caporal en mai alors que son régiment est maintenant dans le sud de l’Aisne, puis sergent à la fin du mois de juin 1917 au moment de lancer l’offensive dans le secteur de la Côte 204 près de Château-Thierry. Son rôle consiste maintenant à diriger un groupe d’hommes pour les emmener au combat. Il n’a pas encore 20 ans…

André est doué. Remarqué par ses officiers, il est nommé aspirant un mois plus tard, au moment où le 153e est transféré en Lorraine pour se reconstituer à la suite des lourdes pertes du Chemin des Dames. L’état-major est persuadé qu’André OUIN fera un très bon officier. 

Le 11 avril 1918, André est détaché au 2e Groupe d’aviation. André intègre l’escadrille V101 du Groupe de Bombardement GB10. Le 3 octobre, il participe à une mission aérienne en tant qu’observateur. Le pilote est Robert CHATELAIN, un jeune brigadier originaire de Givry dans l’Aisne. André a 21 ans et Robert a 20 ans. Ils décollent à bord de leur Voisin-Renault du terrain d’aviation de Sacy-le-Grand dans l’Aisne. A trois heures du matin, au-dessus du territoire de la commune de Manicamp, au sud-est de Chauny, c’est l’accident. Leur avion effectue un capotage au cours d’un bombardement et s’écrase au sol. En même temps que leur bel avion Voisin, c’est leur vie qui est détruite. Le choc est violent. Les deux hommes sont tués sur le coup. Deux jeunes hommes à la tête et au corps bien faits qui avaient l’avenir devant eux…

Avion Voisin LBP de l’escadrille V101 en 1918 – les deux hommes sur la photo ne sont pas identifiés (site albindenis.free.fr)

Si la guerre a épargné le père, elle a tué le fils.

Christian et Maria ont perdu leur enfant. Maurice ne reverra plus jamais son unique frère. Il a 9 ans.

A Ault, Jules BELPAUME, le copain d’enfance, a survécu à la guerre. Affecté au 147e RI puis au 87e, il a n’a jamais été blessé. Evacué une seule fois pour « grippe » en février 1917, il a participé à de bien terribles combats. Démobilisé en septembre 1919, il a quitté Ault pour vivre en Seine-Inférieure, près de Rouen. Il est un miraculé de la Grande Guerre. Son frère aîné, Paul, blessé gravement à plusieurs reprises, a lui aussi survécu. Miraculé, lui aussi ? Paul BELPAUME, démobilisé en janvier 1919, est mort onze mois plus tard, enseveli par un éboulement de la falaise à Ault.

Le corps d’André OUIN repose au cimetière communal de la ville d’Eu.

Xavier BECQUET

Pour toute information sur les escadrilles françaises pendant la Grande Guerre, consulter l’excellent site www.albindenis.free.fr

L’avant dernière photo représente un avion Voisin VIII de l’escadrille V101 sur un terrain d’aviation du nord de l’Aisne en 1918 (albindenis.free.fr)

Remarque : même si l’orthographe du patronyme de la mère d’André, Maria DEPONS, est écrit avec un s final dans l’état-civil et la presque totalité des documents d’archives consultés, on peut constater qu’il a été orthographié DEPONT sur le caveau familial dans le cimetière communal de la ville d’Eu.

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