Né le 6 août 1891, André DUPAYS est le fils de Martin DUPAYS et de Marie BOULANGER.
Martin est originaire de Port-le-Grand, village situé entre Abbeville et Saint-Valery-sur-Somme. Marie est née dans le hameau de Maigneville dans la commune de Frettemeule, près de Gamaches. Au décès du père, Marie et sa mère quittent Maigneville pour résider à Saigneville, près de Port-le-Grand.

Martin rencontre Marie. Ils se plaisent, se marient au printemps 1878 et partent s’installer dans la vallée de la Bresle, dans la rue des Chauffours à Eu. Martin y exerce la profession de charretier. Albert, leur premier enfant, naît à Eu en 1881. André, leur second garçon, naît dix ans plus tard. A cette époque, Martin et Marie quittent la ville d’Eu pour un court séjour à Long, où naît leur fille, Andréa, avant de rejoindre la commune voisine de L’Étoile dans la vallée de la Somme. L’industrie textile a besoin de main d’oeuvre dans la vallée de la Somme.
La petite famille réside rue d’Amiens. Martin est employé comme ouvrier à l’usine de textile des frères SAINT. C’est à L’Étoile, commune du canton de Picquigny, que naît leur troisième garçon. Il se prénomme Joseph.

Martin DUPAYS, le père de famille, meurt le 10 juillet 1901 à l’âge de 46 ans laissant Marie élever seule ses deux plus jeunes garçons. André n’a pas encore dix ans et Joseph en a cinq. Marie est soutenue par son beau-frère, Armand DUPAYS, le jeune frère de Martin, ainsi que Zéa, son épouse, qui logent dans la proche rue Saint-Martin. Armand est tisseur à l’usine SAINT.
Après la scolarité obligatoire, André et son frère Joseph sont embauchés dans l’usine textile, comme le sont presque tous les jeunes hommes de la commune.

A 20 ans, André DUPAYS est convoqué devant le Conseil de Révision à la mairie de Picquigny. Il est jugé apte et doit rejoindre le 8 octobre 1912 le 72e Régiment d’Infanterie à Amiens.
Deux autres ouvriers de l’usine SAINT ont reçu le même ordre d’affectation. André DUPAYS prend le train en gare de Longpré-les-Corps-Saints pour se rendre à Amiens où son unité est casernée. Il est accompagné de Fernand DUCOIN et de Maurice PATRY.

Maurice PATRY est encore célibataire tandis que Fernand DUCOIN et André DUPAYS sont déjà mariés. Fernand a épousé Alice GENITEAU en octobre 1910 et André DUPAYS a dit oui à Germaine BORDEUX en novembre. André et Germaine DUPAYS ont eu un enfant dès l’année suivante qu’ils ont prénommé Marceau.
Fernand DUCOIN est né à Acheux-en-Amiénois, dans le nord du département de la Somme. Sa mère, devenue veuve moins de huit mois après sa naissance a eu cinq enfants avec Léon DUCOIN dont trois ont survécu à la mortalité infantile. Elle ne peut seule subvenir à leurs besoins. Après douze mois de veuvage, Marie épouse Pierre GODBERT, un homme un peu plus âgé qu’elle qui habite à Harponville, village voisin d’Acheux-en-Amiénois. Marie FLAMENT et Pierre GODBERT quittent leur pays pour chercher du travail dans la vallée de la Somme. Ils sont accompagnés des trois enfants de Marie, Blanche née en 1878, Georges, en 1883, et Fernand né le 7 avril 1891. En cette fin du XIXe siècle, l’essor de l’industrie textile entraîne l’exode de milliers d’habitants vers les vallées de la Nièvre et de la Somme. Marie et Pierre s’installent à Pont-Rémy.

Quelque temps plus tard, ils arrivent à L’Étoile.
Les familles d’André DUPAYS et de Fernand DUCOIN ne sont pas originaires du secteur. En revanche, les parents, les oncles et les cousins de Maurice sont presque tous nés à L’Étoile. Ils sont employés dans l’usine SAINT des Moulins-Bleus. Ils sont tisseurs, pareurs, mécaniciens, chauffeurs. Les femmes de la famille sont bambrocheuses, étirageuses, rembobineuses.
Maurice n’est pas ouvrier. Il est employé de bureau dans l’usine SAINT, comme l’est son père, Gérard PATRY. Maurice, né le 4 octobre 1891 à L’Étoile, vit chez ses parents, Gérard et Alphonsine, dans la rue du Presbytère. Il a un frère cadet prénommé Alfred, né en janvier 1893.

André DUPAYS, Fernand DUCOIN et Maurice PATRY se connaissent bien. Ils ont passé une partie de leur jeunesse ensemble et sont aujourd’hui employés tous trois chez les frères SAINT dans l’usine des Moulins-Bleus de L’Étoile. Ils ont été heureux d’apprendre qu’ils allaient vivre deux années ensemble entre les murs de la caserne Friant. La ville d’Amiens n’est pas très éloignée mais l’univers d’une caserne n’a rien à voir avec celui d’une usine. Les trois copains de L’Étoile vont apprendre à se connaître. En ce 8 octobre 1912, les trois garçons descendent sur le quai de la gare Saint-Roch et s’engagent dans l’avenue Foy. Des centaines de jeunes appelés les imitent.
Les médecins militaires examinant les jeunes recrues vérifient leur aptitude au service armé. Pour Fernand DUCOIN et Maurice PATRY, il n’y a aucune hésitation. Ils peuvent débuter l’instruction militaire. André DUPAYS présente une malformation du bras droit. « L’atrophie du membre supérieur droit » l’exempte d’effectuer les manœuvres et les exercices physiques indispensables. Il est classé au Service Auxiliaire du régiment et contribue aux nombreuses tâches nécessaires à la vie d’une caserne.

Un an plus tard, Alfred PATRY, le frère cadet de Maurice est également affecté au 72e Régiment d’Infanterie. Alfred est doué pour les études. Il n’a pas fait le choix d’entrer à l’usine textile comme tous les membres de sa famille. Il est commis des Ponts-et-Chaussée à Noyon dans l’Oise. Sa joie de retrouver Maurice est de courte durée. Quelques compagnies du 72e ont été envoyées à Péronne pour prendre place dans la caserne Foy. Alfred ne partagera pas le quotidien de soldat de son frère. En effet, il rejoint le chef-lieu d’arrondissement de l’est de la Somme pour y effectuer son service militaire.
Le 5 août 1914, le 72e Régiment d’Infanterie quitte la Somme par le train pour se rendre près des frontières de l’Est de la France. La guerre vient d’être déclarée. Les hommes qui étaient déjà sous les drapeaux seront les premiers à connaître les combats visant à repousser l’invasion allemande.
André DUPAYS voit partir ses copains. Quelques semaines plus tard, le dépôt du régiment quitte la Somme pour Morlaix dans le département du Finistère. La commission médicale examinera à plusieurs reprises André, l’estimant toujours inapte au service armé. Il reste au dépôt du régiment dans une vie très éloignée des champs de bataille, et pourtant rythmée par l’arrivée de nouvelles du front, dont bien peu sont bonnes.

Fernand DUCOIN, Maurice PATRY et Alfred PATRY combattent près de Virton, en Belgique, le 22 août 1914. La retraite de l’Armée française, à la suite de la débâcle de la Bataille des frontières, les entraînent ensuite dans de meurtriers combats au nord de la Meuse, près de Cesse. Fernand, Maurice et Alfred sont en vie.
Le 4 septembre, l’ordre est donné par l’état-major de mettre fin à la retraite de l’armée française. Il faut attendre les troupes allemandes lancées à leur poursuite et les empêcher de progresser vers le sud. Les hommes du 72e RI sont dans le sud de la Marne, dans le secteur de Pargny-sur-Saulx, près de Vitry-le-François. Les combats débutent le 6 septembre au matin.
Alfred PATRY est gravement blessé. Fernand DUCOIN et Maurice PATRY sont tués pendant les combats de Maurupt-le-Montois. Il ne sera jamais possible de connaître avec précision les dates de leurs décès.

A distance et avec un décalage de quelques jours, dans sa caserne bretonne, André DUPAYS apprend les tristes nouvelles. Si les morts de ses copains ne sont pas officielles, ces derniers sont considérés comme disparus comme plusieurs centaines de jeunes hommes de la Somme. Après plusieurs semaines d’hospitalisation et de convalescence, Alfred PATRY rejoint le dépôt du régiment à Morlaix où est toujours André DUPAYS.
La Commission spéciale de réforme de Morlaix réunie le 22 octobre 1914 a déclaré André apte au service armé. Son bras n’est-il plus atrophié ? Bien sur que si, mais les besoins en hommes sont très importants. André DUPAYS suit l’instruction militaire à l’issue de laquelle il sera envoyé au front.

Alfred PATRY raconte à son camarade de L’Étoile l’horreur des premiers combats menés par les copains du 72e et plus particulièrement l’hécatombe subie dans la Marne. Le régiment a été décimé. Alfred n’a pas vu les corps de Fernand et de son frère Maurice, mais il n’est guère optimiste.
André DUPAYS part combattre le 27 novembre 1914. Il n’a aucun doute sur ce qui l’attend… L’enfer ! Il sait que Marceau, son fils aîné et le petit André né en 1914, ne reverront peut-être jamais leur père.
Alfred PATRY est renvoyé au front quelques jours plus tard en Argonne puis dans le secteur de Mesnil-lès-Hurlus. Le 5 mars 1915, il est déclaré « tué à l’ennemi ».

André DUPAYS a survécu à la guerre. Evacué le 26 décembre 1914 pour « pieds gelés » dans le Bois de la Gruerie en Argonne, il a passé de longs mois sur un lit d’hôpital. Le 4 septembre 1915, il a retrouvé les combattants de son régiment sur les champs de bataille de la Meuse. Mais il ne s’agissait plus de ceux qui étaient avec lui dans la caserne Friant d’Amiens dans la période précédant la guerre. Presque tous avaient été tués, blessés, capturés ou mutés dans d’autres régiments. La dernière blessure d’André DUPAYS a été provoquée par des éclats d’obus dans l’abdomen. Après avoir été évacué du 30 juin 1917 au 14 mars 1918, c’est avec le 14e Régiment d’Infanterie qu’il a fini la guerre, diminué physiquement et profondément traumatisé par la perte de tant d’êtres chers.
Il a survécu tout comme son frère aîné, Albert, blessé à la main gauche pendant la guerre. Albert DUPAYS a pu reprendre malgré ce handicap une activité de tisseur à l’usine textile de L’Étoile.
L’histoire de Joseph DUPAYS, le frère cadet d’André, est hélas beaucoup plus triste. Exempté à plusieurs reprises pour « faiblesse » par les médecins militaires, Joseph est finalement déclaré apte le 24 mai 1917. Il rejoint le dépôt du 51e Régiment d’Infanterie à Lambezellec dans le Finistère le 4 septembre 1917 pour suivre une formation. Il part au front à la fin de l’année 1917. Qu’a-t-il vu ? Qu’a donc vécu le jeune homme de 22 ans pendant les premiers mois de l’année 1918 ? Renvoyé vers l’arrière au printemps, il est examiné par les médecins de la Commission de Réforme de Saint-Brieuc le 21 mai 1918. Il est déclaré réformé N°2 pour « déséquilibre psychique, hystérie, accès aigus épisodiques ». Le 14 septembre 1918, la Commission de Réforme d’Abbeville confirme le verdict. La guerre a détruit la santé mentale du pauvre Joseph DUPAYS. Quelques années plus tard, il sera interné à l’hôpital psychiatrique de Clermont dans l’Oise qu’on appelait à l’époque « l’asile d’aliénés ».

Après sa démobilisation, André DUPAYS est revenu vivre à L’Étoile. Il a vécu dans sa petite maison de la route d’Amiens et a pu mesurer à quel point il avait de la chance d’avoir échappé à la mort. A la maison, quand il rentrait de l’usine, il avait le bonheur de retrouver Germaine et ses trois garçons, Marceau, André et Robert né en 1922.

La famille DUPAYS est partie ensuite dans le Nord puis dans l’Aisne, à Vervins, au début des années 1930. Employé au Comptoir Linier de Vervins, André résidait avec les siens dans la Cité ouvrière. Il a exercé le métier de tisseur pendant toute sa vie. André DUPAYS s’est éteint le 6 juin 1971 à l’âge de 79 ans.
Ses copains, Fernand DUCOIN et Maurice PATRY ont 23 et 22 ans pour toujours. Leurs noms sont inscrits sur le monument aux morts de L’Étoile.

Au mois de mars 1915, Alice GENITEAU veuve DUCOIN avait accouché à L’Étoile d’un petit garçon. Quand le bébé a poussé un premier cri, son papa était mort depuis six mois. Alice a souhaité donner à l’enfant le prénom de son père disparu. Orphelin de guerre, le petit Fernand DUCOIN est devenu, tout comme Alice, lui aussi une victime de la Grande Guerre. Pour toujours…
Jean DELHAYE, Danièle REMY, Lionel JOLY et Xavier BECQUET
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